Bleu Klein Issey Miyake printemps-été 2024. Miguel Medina / AFP
Basée sur les comportements des Gen Z et des milléniaux, la plateforme Pinterest, référence en matière de style et de tableaux d’inspiration, dégage pour l’année 2024 des tendances en forme de prédictions dans son très attendu rapport « Pinterest Predicts ». La manière dont se propagent les goûts demeure un mystère. Mais il suffit d’un défilé de mode et du comportement inspirant d’une seule personne, pas nécessairement une icône, pour que tout un groupe décide de l’imiter, jusqu’à ce que ce choix devienne viral et conditionne les goûts de toute une génération. La lassitude ouvrira alors la voie à de nouvelles lubies qui viendront remplacer les précédentes, sur le mode d’un cycle qui n’a pas grand-chose à voir avec les saisons.
L’année de la méduse
Des tentacules, du spongieux, du lumineux, du mouvant. Les fonds marins font rêver, notamment dans la collection Mugler printemps-été 2024 où des franges démesurées semblent balayer les grandes profondeurs, de grandes paillettes captent la lumière pour un effet aquatique et des fibres synthétiques forment des tentacules stylisées.
Collection Mugler printemps-été 2024. Photo tirée de son site officiel
Chez Stella McCartney, on retrouve des manches ballon en tulle et des transparences piquetées de pointillés qui relèvent également de la même inspiration. On peut imaginer que cette envie de capter les mouvements lents et la lumière sourde, presque irréelle, des fonds marins reflète un état d’esprit qui serait une envie de trouver de l’espoir dans un monde de plus en plus sombre. Porter et montrer la lumière au bout de la nuit. Pour les tentacules et autres franges, l’idée serait de porter des capteurs imaginaires, outils de séduction qui partent du vêtement pour toucher l’autre et l’attirer à soi. Notre époque a besoin de formes d’amour que les liens virtuels ne parviennent pas à satisfaire.
Bleu Klein Isabel Marant printemps-été 2024. Photo AFP
L’opulente saturation du bleu Klein
Bien que le nuancier Pantone, ordonnateur des palettes annuelles supposées refléter les tendances de couleurs en matière, notamment, de peintures murales et de décoration, ait choisi pour cette année de mettre en valeur une nuance de pêche, la mode semble avoir choisi le bleu Klein pour exprimer l’humeur de 2024. Ce bleu profond, saturé, extrêmement riche, est un outremer breveté en 1960 par le peintre Yves Klein, l’un des pionniers de la peinture monochrome et de l’art-action. S’appropriant la couleur comme d’autres s’approprient des étoiles, Klein s’est notamment servi de ce bleu pour en imprégner ses « Anthropométries », une série issue de l’une des premières performances de l’histoire de la peinture. Il s’agit de corps de femmes nues enduits de bleu et imprimés sur une toile blanche. Le grand retour du bleu Klein a-t-il un rapport avec cette utilisation du corps comme un pinceau vivant ? Ou bien renvoie-t-il une fois de plus à ce noir de la mer teinté de bleu à plusieurs mètres de la surface ? Il refléterait alors le besoin de calme et de silence auquel répond une méditation réussie, un exercice que les générations précédentes étaient peu enclines à pratiquer.
Kendall Jenner en fourreau argent de la collection L'Oréal Paris printemps-été 2024. Julien de Rosa/ AFP
L’argent, cape d’invisibilité
L’argent n’est pas étranger à ce thème marin que dessinent le bleu et les ornements flottants. « La mer a des reflets d’argent, la mer, des reflets changeants », chantait Charles Trenet. L’argent est eau, métal, miroir. Il est aussi bouclier. S’il est vrai que la Chine a développé une technologie permettant l’invisibilité, l’argent permet lui aussi de refléter l’environnement et de s’y fondre. L’argent renvoie la lumière et permet de briller tout en se fondant dans la scène. Il rejoint ainsi la culture des jeux vidéo, l’esthétique de l’univers virtuel, et taille dans la matière des boucliers le sentiment de protection dont une nouvelle ère de guerres attise le besoin.
Au final, la mode devine nos envies en explorant les tendances culturelles du moment ainsi que l’état du monde. Les créations qu’elle nous présente deviennent ainsi des reflets de notre histoire.
