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Pensées magiques

«Santé, succès, prospérité », les vœux traditionnels du jour de l’An ne sont pas des vœux, ce sont des objectifs politiques qui nécessitent, pour se réaliser, des études en amont, une budgétisation, une organisation rigoureuse. Dans un État qui vous ignore (qui s’ignore d’ailleurs lui-même), ces souhaits que vous adressez aux êtres chers se traduisent en « prévoyance, courage et endurance ». Quant aux vœux de bonheur, dans un Liban classé en mars 2023 avant-dernier, un pas derrière l’Afghanistan, par le World Happiness Report, il n’y a pas, a priori, beaucoup à espérer sur ce plan. Et pourtant. Ceux qui y sont nés et qui y vivent, ceux qui sont partis et qui y reviennent parfois vous diront que malgré les difficultés parfois insoutenables, quand il prend à ce pays d’être beau, il est le plus beau du monde. Défiguré, il reste beau ; appauvri, il reste beau ; ingouverné, instable, sans cesse à un cheveu d’une guerre, il reste beau. Il n’a évidemment pas cette beauté des pays entretenus, manucurés, qui préservent leurs forêts, leurs plages, leurs sites naturels et patrimoniaux, traitent leurs déchets, dégagent leurs canalisations avant les intempéries, assurent leur sécurité énergétique et alimentaire, garantissent leurs citoyens contre les aléas de la vie, comme la maladie ou le chômage, protègent la qualité de leur enseignement public, entretiennent leurs infrastructures, contractent des alliances stratégiques pour se prémunir contre les dangers existentiels. Ces évidences qui constituent la base des sociétés fonctionnelles et viables sous-tendent un travail continu que nos gouvernements n’ont jamais pris la peine d’entreprendre, à moins, les années fastes, d’y trouver quelque bénéfice personnel. Il n’est pas question de les remercier ici pour un devoir parfois accompli, jamais abouti.

Mais le chaos dans lequel nous vivons nous transforme et nous apprend à être heureux presque sans aucun des prérequis du bonheur. Le Liban, quand il se regarde dans nos yeux, il se trouve sublime. Il suffit de choisir son angle. Les paysages qui nous sont offerts sont fabuleux, vus de loin. Il existe des images de Beyrouth vue du ciel, entre mer et montagne, que nous envieraient Paris et Londres et Byzance. Les restaurants refusent du monde, cela ne s’était pas vu depuis les années pré-Covid. Les enfants sont de retour et nos regards ne se lassent pas de les dévorer. Dans le détail, monticules d’ordures, caniveaux inondés et ruelles obscures sont les méchantes petites arrière-pensées de la ville. Le temps des grandes tablées bruyantes passera avec le départ prochain des visiteurs saisonniers qui, le plus souvent, accaparent l’addition. Les résidents locaux ne font même plus semblant de la leur disputer comme le dicte l’usage. L’argent continue à manquer et le panache qui traditionnellement l’accompagne fait le dos rond. Nos enfants, nous ne voulons pas qu’ils restent, nous savons qu’ils ne resteront pas, nous vieillirons sans eux. L’État ingouverné n’est pas capable de les protéger. Les routes sont dangereuses et nos cœurs tremblent quand ils tardent à rentrer. La guerre fait rage au sud, enclenchée inconsidérément en soutien au Hamas et sans l’avis de personne. Elle pourrait s’étendre. Le Liban pourrait devenir un Gaza bis. Une pensée magique tient encore cette perspective à distance, mais que pourrait la magie si les choses venaient à changer leur cours ?

Pour l’heure, les lumières des fêtes transforment nos oripeaux en merveilles et l’année 2023, pas plus brillante mais un peu moins tragique que d’autres, envoie ses derniers feux. Pas de grandes ambitions pour 2024, sinon qu’elle reste tranquille. Qu’elle soit même monotone : de cette monotonie nous ferons nos banals prodiges.

«Santé, succès, prospérité », les vœux traditionnels du jour de l’An ne sont pas des vœux, ce sont des objectifs politiques qui nécessitent, pour se réaliser, des études en amont, une budgétisation, une organisation rigoureuse. Dans un État qui vous ignore (qui s’ignore d’ailleurs lui-même), ces souhaits que vous adressez aux êtres chers se traduisent en...

commentaires (6)

On s’inquiète pour ""nos enfants quand les … les routes sont dangereuses et nos cœurs tremblent quand ils tardent à rentrer"", même un coup de fil ne rassure pas jusqu’à leur arrivée, et d’un autre côté, on brandit fièrement son enfant mort en martyr comme un trophée offert aux "seigneurs" qui n’en demandent pas tant.

Nabil

12 h 08, le 29 décembre 2023

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Commentaires (6)

  • On s’inquiète pour ""nos enfants quand les … les routes sont dangereuses et nos cœurs tremblent quand ils tardent à rentrer"", même un coup de fil ne rassure pas jusqu’à leur arrivée, et d’un autre côté, on brandit fièrement son enfant mort en martyr comme un trophée offert aux "seigneurs" qui n’en demandent pas tant.

    Nabil

    12 h 08, le 29 décembre 2023

  • JE DIRAIS : LES LIBANAIS, TOUS LES LIBANAIS, LES UNS BEAUCOUP PLUS QUE LES AUTRES, NE SONT PAS DE BONS CITOYENS POUR LE LIBAN. TOUTES CES TRIBUS QUI Y VIVENT SONT BONNES POUR LA JUNGLE DONT ILS ONT DEJA ADOPTE LES LOIS. MANGE-MOI AVANT QUE JE TE MANGE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 36, le 28 décembre 2023

  • Le Liban est beau à aimer ! Même défiguré, il est beau. Le Liban est le plus beau pays du monde, dommage qu’il soit habité par certains Libanais. Beau, même dans ses prolongations géographiques au nord comme au sud. Gouverné par des illuminés, des apprentis sorciers qui ont fait désespérer tous les dieux pour finalement l’abandonner à son sort, on peut paraphraser le dicton : "Heureux comme diable au Moyen-Orient".

    Nabil

    12 h 07, le 28 décembre 2023

  • Nous ne pardonnerons jamais à ces tristes sires, le triste sort qu’ils se sont acharné à planifier pour nos chérubins qui ne cessent de rêver d’un monde nouveau, d’un Liban apaisé et prospère que ces malotrus ont transformé en une déchèterie et une poudrière pour s’y sentir dans leur élément. Nos enfants retournent toujours en espérant qu’un jour on leur dirait, reste, le pays a besoin de toi et tu ne risques plus rien, les fossoyeurs de notre pays ont été décimés. Ce jour là nous célébrerons notre indépendance et le nouvel an, quelque soit la date qu’indiquerait le calendrier.

    Sissi zayyat

    11 h 33, le 28 décembre 2023

  • Pas d’ambition pour l’année à venir. Nos rêves d’antan s’étant amenuisés . La jeunesse est partie faire fleurir les rêves des terres d’autrui Terre nourricière a muté en pépinière Semons, semons..

    Nada Maalouf

    07 h 40, le 28 décembre 2023

  • Encore une fois, merci.

    Charles Ghorayeb

    04 h 28, le 28 décembre 2023

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