Rechercher
Rechercher

Société - Témoignage

Zeinab al-Maoula, 60 ans, une balle dans l’épaule

Avant qu’une balle perdue ne la tue, Zeinab el-Maoula et son fils, M. Z., aimaient prendre le café ensemble. 

Zeinab al-Maoula, 60 ans, une balle dans l’épaule

M. Z., le fils de Zeinab el-Maoula, se tenant dans une zone commerciale du quartier d'Ouzaï en banlieue de Beyrouth, le 7 décembre. Photo João Sousa

Près de trente personnes ont été touchées cette année par des balles perdues au Liban, selon un décompte effectué par « L’Orient-Le Jour ». Le témoignage ci-dessous fait partie d’un projet visant à documenter ce problème endémique dans le pays. 

Il aura suffit d’un instant. Cette soirée-là, en juillet dernier, Zeinab el-Maoula, 60 ans, sirotait un thé avec son unique fils sur leur balcon, dans un coin animé du quartier d’Ouzaï dans la banlieue de Beyrouth. Dans la cacophonie de petites boutiques de vêtements, de boucherie et d’épiceries en contre-bas, la vue donnait sur une mer calme et nocturne. « Nous n’avons rien entendu », assure M.Z.*, son fils de 30 ans, graphiste et photographe de mode.

Soudain, sa mère saisit son épaule droite sans un cri. M.Z. se précipite vers elle et écarte sa main : il y découvre alors le trou minuscule mais sanglant d’une balle perdue. Jusqu’à ce jour, il ne sait pas d’où elle est venue. M.Z. emmène alors sa mère vers l’hôpital le plus proche, mais, 15 minutes plus tard, dit-il, elle était morte. Le décès de Zeinab el-Maoula est presque passée inaperçu. Ce qui ne fera qu’un seul gros titre dans une courte histoire d’un site libanais d’actualités vient s’ajouter à la liste des quelques dizaines de personnes touchées par des balles perdues au Liban au cours de l’année écoulée.

Lire aussi

Au Liban, le fléau des balles perdues

Mais le vide laissé par leur mère et épouse hantent toujours M. Z. et son père. Un après-midi de décembre, assis dans le bureau d’un moukhtar d’Ouzaï, où il a accepté de rencontrer L’Orient Today autour d’un café et de cigarettes, M. Z. se souvient des repas de sa mère. Maintenant, sans Zeinab el-Maoula à la maison, son père et lui se contentent de « malbouffe ». Plus de thé ni de café sur le balcon, la chaise occupée jadis par leur mère demeure désespérément vide.

« Parfois, nous nous y asseyons et nous pleurons », dit M. Z., ajoutant que son père est particulièrement brisé par cette mort soudaine. « Il y a un vide dans sa vie. » Interrogé sur les photos préférées de sa mère toujours enregistrées sur son téléphone, M. Z. hausse les épaules : elle n’aimait pas être photographiée. Il y en a juste une, concède-t-il plus tard, lorsqu’elle est accroupie devant son chat orange et blanc, son visage obscurci par un foulard aux couleurs vives.

« Que peut-on dire de plus, si ce n’est “al-hamdulillah” ? »

Selon un moukhtar d’Ouzaï, présent lors de cette rencontre et souhaitant rester anonyme pour sa sécurité, les balles perdues constituent un problème fréquent dans le quartier. « C’est courant pendant les vacances et les mariages », explique-t-il, lorsque les gens tirent en l’air pour célébrer. Mais bien sûr, les balles doivent atterrir quelque part. Souvent, elles tombent simplement dans la mer. Parfois, elles atterrissent parmi les maisons et les commerces, ou sur les balcons des habitants.

Lire aussi

Veh Christ Harboyan, 13 ans, une balle dans le dos

Ce n’était pas toujours ainsi, nuance-t-il. Il y a longtemps, dans le village natal de sa famille à Shaat, près de Baalbeck, « ils tiraient juste trois ou quatre coups en l’air, et seulement dans les vergers ». Désormais, les tirs de joie à l’arme automatique sont monnaie courante dans tout le pays, y compris dans les zones urbaines densément peuplées.

Une rue commerçante à Ouzaï, le 7 décembre 2023. Photo João Sousa

Le moukhtar affirme avoir tenté d’arrêter les tirs de joie ces derniers mois, utilisant son statut social d’autorité locale pour dissuader les gens. « S’il y a un mariage avec des tirs, je n’y vais pas, même si je suis invité », explique-t-il. Et si des tirs commencent alors qu’il se trouve déjà à un événement, « je pars ». Jusqu’à présent, affirme le moukhtar, sa méthode semble fonctionner, ne serait-ce que pour faire passer son message. Après tout, demande-t-il, « pourquoi effrayer et bouleverser les gens ? ».

M. Z., lui aussi, raconte que son père et lui ne fréquentent plus les événements où ils savent que des gens vont tirer en l’air. Récemment, dit-il, « il fallait nous rendre à un enterrement. On a dit aux gens de ne pas tirer, mais ils auraient tiré (de toute façon). Alors, nous n’y sommes pas allés ».

M. Z. confie trouver du réconfort ailleurs avec son père. « Parfois, je me dis que ma mère n’est pas devenue vieille et malade. C’était si rapide et facile pour elle de mourir comme ça. Il n’y a pas eu de douleur. J’espère que je pourrais mourir comme ça, pas d’une balle, mais que ce soit rapide et facile. Que peut-on dire de plus, si ce n’est “al-hamdulillah” ? »

*M.Z. a souhaité uniquement publier ses initiales pour protéger sa vie privée.

Près de trente personnes ont été touchées cette année par des balles perdues au Liban, selon un décompte effectué par « L’Orient-Le Jour ». Le témoignage ci-dessous fait partie d’un projet visant à documenter ce problème endémique dans le pays. Il aura suffit d’un instant. Cette soirée-là, en juillet dernier, Zeinab el-Maoula, 60 ans, sirotait un thé avec son...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut