La laïcité est débordée. En France où elle est, depuis la loi du 9 décembre 1905 qui consacre la séparation de l’Église et de l’État, garante de la liberté de conscience et du libre exercice des cultes, elle se traduit par l’interdiction des signes religieux ostentatoires, comme le port du voile ou de la abaya, la prière musulmane dans la rue, le port d’ornements connotés et autres. À son autel ont été également sacrifiées les traditionnelles crèches de Noël devant certaines mairies, dont celle de Paris. La fête de Noël s’est diluée dans un maelström où se bousculent les fêtes païennes, du solstice d’hiver au Nouvel An. Mais tout cela est de bonne guerre. La laïcité ne supporte pas d’exceptions et la France n’est plus « la fille aînée de l’Église » depuis qu’elle n’est plus une monarchie.
Le 7 décembre courant, pourtant, à deux jours du 118e anniversaire de la loi de 1905, le président Emmanuel Macron célébrait Hanouka, l’une des principales fêtes juives, dans l’enceinte de l’Élysée où le grand rabbin de France Haïm Korsia a allumé la bougie rituelle. Depuis quelques années déjà, Hanouka s’accompagne, en France et notamment à Paris, d’allumages publics de la hanoukkia, le chandelier à huit branches dont on ranime chaque jour une flamme du 7 au 15 décembre. L’événement a fait malaise. Deux poids, deux mesures ? Où se trace, dans ce cas, l’indispensable limite entre l’espace public et l’espace privé où la laïcité est supposée protéger cultes et croyances ? Était-ce de la part de l’homme qui incarne la France un geste politique ou une simple expression d’amitié ? Cela ouvre-t-il la voie à de futures célébrations chrétiennes, musulmanes ou bouddhistes au palais de l’Élysée ?
Quoi que l’on fasse pour les contenir, les religions profitent des temps de crises pour sortir de leur lit, et notre terrible époque est propice à leur crue. Les cultes monothéistes, supposés relier les membres de leurs communautés et, éventuellement, les humains entre eux, n’ont fait depuis leur fondation que s’éloigner de la spiritualité qui les a inspirés pour se transformer en systèmes d’exclusion, de répression, de culpabilisation et de haine de soi et des autres. Chaque croyance est pourtant fondée sur la tolérance. Sans doute les prophètes avaient-ils prévu que ce ferment de violence qui existe en tout être humain est susceptible de fulminer à tout moment. À défaut de le combattre, ils auraient inventé les guerres saintes pour le canaliser, le mettre au service d’un créateur et ainsi le purifier. Paradoxe du mal pour le bien. Le combat des croisés, comme celui des jihadistes et des colonisateurs de tout crin, est au fond le même : une manière de justifier des horreurs au nom d’une mission divine qui permet de tuer de plein droit.
Les images qui nous viennent de Gaza nous posent une question lancinante : que deviendraient ces pères, ces mères désenfantées, ces petits orphelins démembrés sans les certitudes que leur offre la religion ? Quelle consolation auraient-ils au fond de leur désespoir s’ils n’avaient pas la conviction que ces milliers d’êtres chers qui leur sont arrachés tous les jours vont rejoindre un paradis perdu dans l’éther, une éternité sereine loin de l’horreur qu’est leur quotidien ici-bas ? La réponse est évidente. La foi est le seul luxe qu’il leur reste, la seule force, le seul recours. Dieu est avec eux, quoi qu’il arrive, dans le deuil comme dans l’injustice subie. C’est ainsi que se développent les intégrismes et avec eux des haines transmises, des promesses de vengeance qui traversent des millénaires.
À défaut de tolérance, la laïcité est une sentinelle qui a elle-même besoin de bons gardiens. On ne peut pas allumer de flammes, qui plus est rituelles, en fermant les yeux.
commentaires (9)
lumineux, bravo!
May Parent du Chatelet
22 h 57, le 16 décembre 2023