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Culture - Entretien

Rania Stephan : Comment être à la hauteur de la tragédie qui se déroule sous nos yeux ?

Samedi 9 décembre, le film « Le champ des mots : conversations avec Samar Yazbek » (Liban, 2022, 70 min) sera projeté à la Maison de la poésie dans le cadre du festival Adab, il précédera une conversation entre Rania Stephan et Justine Augier.

Rania Stephan : Comment être à la hauteur de la tragédie qui se déroule sous nos yeux ?

Rania Stephan : Mes documentaires oscillent entre un travail sur la réalité de ce qui se passe au présent dans notre région, et un travail d’archéologie de l’image, centré sur les archives. Photo DR

 Dans quel contexte avez-vous créé « Le champ des mots » ?

Je suis artiste réalisatrice, basée à Beyrouth et j'ai fait des études de cinéma en Australie et en France. Je travaille avec des images fixes et mouvantes, pour réaliser des documentaires de création et des vidéos d’art. Mes documentaires oscillent entre un travail sur la réalité de ce qui se passe au présent dans notre région et un travail d’archéologie de l’image, centré sur les archives. Le montage est mon outil de prédilection pour réfléchir aux questions politiques et esthétiques. Mon premier long métrage Les trois disparitions de Soad Hosni (70’ – 2011), a reçu des prix internationaux et m’a propulsée dans le monde de l’art contemporain, j’ai pu mieux réfléchir à la production d’images nouvelles, dans d’autres contextes, pour les visualiser dans différents espace-temps.

Mon deuxième long métrage, Le champ des mots : conversations avec Samar Yazbek  (70’ – 2022), a reçu le prix du meilleur film au festival de la villa Médicis, en septembre 2022.

Quel est l’angle adopté dans votre film ?

Il est constitué d’une série de conversations filmiques que j’ai entreprises avec l’écrivaine, journaliste et activiste syrienne en exil à Paris, Samar Yazbek, entre 2013 et 2019, pour réfléchir et accompagner les événements qui se passaient en Syrie ces années-là, notamment la révolution contre le régime de Bachar el-Assad qui s’est mutée en guerre, et ses retentissements au Liban. La tragédie syrienne a bouleversé notre projet, qui s’est transformé, avec tout le matériel filmique divers et les archives que j’ai accumulées, en une réflexion sur le travail d’une écrivaine en exil. La question centrale qui est posée au début par l’écrivaine est devenue aussi celle du film : la littérature et donc le cinéma, peuvent-ils être à la hauteur de la tragédie qui se déroule sous nos yeux ? Est-ce qu’ils peuvent l’exprimer, y répondre ? Ou sont-ils toujours en deçà du réel violent et tragique que nous vivons ?

En tissant différents éléments visuels et sonores, le film tente de répondre à ces questions par une réflexion politique et poétique.

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La littérature et le cinéma peuvent-ils encore rendre compte de la tragédie de la guerre ?

Dans quelle mesure les événements actuels résonnent-ils avec votre film ?

Ce qui se passe aujourd’hui en Palestine est en résonance totale avec ce que vivent les Syriens et les Libanais et d’autres peuples dans la région. La violence y revêt différents formes et modes, que ce soit la violence issue d’une guerre d’occupation et de colonisation, d’une dictature ou d’un régime mafieux, sectaire, criminel et prédateur. Nos destins sont liés, ainsi que nos aspirations à une vie digne, libre et plus juste aussi. Ce que dit Samar Yazbek dans le film sur la nécessité de témoigner, sur le courage de dire ce qui s’est passé face à un régime de terreur, sur la prise de conscience politique et la beauté du geste artistique est à mon sens très pertinent par rapport à ce que l’on vit et l’on voit aujourd’hui.

Quels sont les points de connexion thématique entre votre travail et celui de Justine Augier ?

Justine Augier a écrit plusieurs livres sur la Syrie, notamment De l’ardeur, sur l’avocate syrienne Razan Zeitouneh, kidnappée à Douma par Jaych el-islam, le 9 décembre 2013, avec 3 autres activistes ; et elle est toujours portée disparue. Elle effectuait un travail remarquable sur les exactions du régime ainsi que celles des groupes islamistes qui se sont constitués là-bas. Son dernier livre, Croire, sur les pouvoirs de la littérature, pose les mêmes questions que Samar Yazbek dans mon film, sur le pouvoir ou non des mots et de la littérature face à la tragédie syrienne, la violence et la mort. Je crois que la conversation avec elle va être très intéressante.

Dans le contexte actuel troublé du Moyen-Orient, quel sens donnez-vous à la création artistique ?

Je ne suis pas très éloquente avec les mots, c’est pourquoi je fais des films. J’admire les gens qui écrivent comme Samar Yazbek, avec une langue arabe claire comme du cristal, visuelle et très construite en même temps. Je dirais qu’un artiste peut donner à voir, à entendre, à sentir et à réfléchir. Il peut ouvrir des fenêtres sur le monde pour essayer de mieux appréhender la réalité complexe, contradictoire et violente dans laquelle on vit aujourd’hui. Il peut aider à poser les bonnes questions et à ouvrir des voies pour des réponses possibles. Enfin, il peut parfois pressentir les choses avant les autres dans une appréhension sensuelle ou affective. Tout cela semble très minime face à la mort et à la destruction, mais c’est un fil nécessaire qui nous relie à la vie.

 Dans quel contexte avez-vous créé « Le champ des mots » ? Je suis artiste réalisatrice, basée à Beyrouth et j'ai fait des études de cinéma en Australie et en France. Je travaille avec des images fixes et mouvantes, pour réaliser des documentaires de création et des vidéos d’art. Mes documentaires oscillent entre un travail sur la réalité de ce qui se passe au...

commentaires (2)

"pour essayer de mieux appréhender la réalité complexe". À Gaza, quand il était en mission, le milicien du Hamas, candidat au martyre, utilise un "genre" du direct qu’il n’a pas créé. Il filme l’action, et mort sous les balles, et qu’il ne reverra jamais son film. Celui-ci est repris pour la documentation, et pour la récupération à des fins de propagande, par qui ? par son tueur, pour justifier sa riposte. Des photos prises par les nazis, et publiées récemment dans des livres, que montrent-elles ? l’horreur et le contraire du divertissement qu’ils voulaient faire dans des cercles familiaux…

Nabil

14 h 15, le 08 décembre 2023

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Commentaires (2)

  • "pour essayer de mieux appréhender la réalité complexe". À Gaza, quand il était en mission, le milicien du Hamas, candidat au martyre, utilise un "genre" du direct qu’il n’a pas créé. Il filme l’action, et mort sous les balles, et qu’il ne reverra jamais son film. Celui-ci est repris pour la documentation, et pour la récupération à des fins de propagande, par qui ? par son tueur, pour justifier sa riposte. Des photos prises par les nazis, et publiées récemment dans des livres, que montrent-elles ? l’horreur et le contraire du divertissement qu’ils voulaient faire dans des cercles familiaux…

    Nabil

    14 h 15, le 08 décembre 2023

  • ""Comment être à la hauteur de la tragédie qui se déroule sous nos yeux ?"" Je ne veux pas polémiquer, mais il faut démystifier le pouvoir "énorme" de l’image, de l’écrit. Ce pouvoir s’exerce sur qui ? Les lecteurs, les cinéphiles s’indignent le temps d’une manifestation culturelle ou de protestation sur ce qui se passe à Gaza, en Ukraine, de la situation en Afrique. Comment la guerre des narratifs sera à la hauteur de la guerre tout court, avec son cortège de morts et de destruction. La photo, la pauvre photo tellement sollicitée, que prouve-t-elle ? Le choc des photos n'est qu'instantané...

    Nabil

    13 h 54, le 08 décembre 2023

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