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Culture - Livre/Coup de cœur

Cette « tondue de Chartres » qui valait bien un roman

Cette « collabo » au crâne rasé, le visage penché sur son nourrisson, fuyant une foule qui la conspue, Robert Capa l’avait immortalisée dans une photo devenue emblématique de l’épuration en France à la Libération. Dans « Vous ne connaissez rien de moi » (JC Lattès, 380 pages), Julie Héraclès « imagine » son parcours, lui donne une voix et une dimension romanesque à la fois bouleversante et controversée.

Cette « tondue de Chartres » qui valait bien un roman

La photo à l’origine du roman de Julie Héraclès. Robert Capa/Magnum Photo

Vous ne connaissez rien de moi  (JC Lattès, 380 pages). Il y a du défi dans ce titre de roman, un ton bravache qui interpelle et excite la curiosité. Un ton qui s’accorde avec la personnalité frondeuse de son « inspiratrice », une jeune femme ayant réellement existé et qui s’appelait Simone Touseau.

Accusée de collaboration avec les Allemands, cette Chartraine de 23 ans avait été tondue à la Libération, en août 1944. Immortalisée par Robert Capa, le crâne rasé, le front marqué au fer rouge, traversant la ville sous les quolibets de la foule, en serrant dans ses bras son nourrisson fruit de sa relation avec un officier nazi, elle était devenue l’incarnation des Françaises ayant frayé avec les « Boches » sous l’Occupation.

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Son image, publiée initialement par le cofondateur de l’agence Magnum dans le magazine américain Life sous la mention « La tondue de Chartres », a fini par devenir l’illustration emblématique de la période de la Libération dans les livres d’histoire.

« Grivise », comme les âmes grises

Originaire elle aussi de Chartres, Julie Héraclès connaissait cette photo depuis toujours. « Je l’avais étudiée au lycée, vue dans la ville… Elle ne m’avait jamais quittée », confiait récemment l’autrice de 44 ans à l’AFP, révélant que la première émotion qui l’avait traversée à la vue de cette femme condamnée à l’opprobre public était « la compassion ». De là à lui consacrer un roman, parcouru en filigrane d’un regard qui l’humanise sans la dédouaner, il n’y avait qu’un pas que la primo-romancière a franchi dans Vous ne connaissez rien de moi. Avant de s’attaquer à ce portrait psychologique pouvant prêter à controverse, la nouvelle romancière avait pris les indispensables précautions d’usage. À savoir, faire de Simone Touseau un personnage de fiction en la rebaptisant Simone Grivise. Et avertir les lecteurs, dans son avant-propos, que « ce roman s’inspire de faits réels mais ne prétend aucunement être une reconstitution historique. Les dates et les lieux ont été, pour la plupart, respectés, mais l’enchaînement des événements est pure fiction ».

À partir de là, en entrelaçant habilement les faits historiques, les détails avérés et documentés de la vie de la « tondue de Chartres » avec ce qu’elle imagine de ses motivations, ses aspirations, ses émois, les humiliations subies durant son enfance de déclassée sociale (ses parents ayant réellement fait faillite), ses rêves fracassés et sa recherche éperdue d’un amour salvateur, Julie Héraclès nous plonge dans le parcours qui mènera « sa » Simone à ce fameux jour du 16 août 1944. Et cela à travers un récit à la double temporalité, alternant entre le déroulement de cette fatidique journée et la description de la succession d’événements et de rencontres qui ont fait pencher sa destinée du mauvais côté de l’histoire.

 « J’ai aimé. Et j’ai été aimée (…) Vous ne me détruirez pas »

En exergue de son roman, Julie Héraclès a aussi pris soin de glisser cette phrase tirée des Âmes grises de Philippe Claudel : « Les salauds, les saints, j’en ai jamais vu. Rien n’est ni tout noir ni tout blanc, c’est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c’est pareil… » Une citation révélatrice de l’orientation antimanichéenne privilégiée par cette auteure. Et qui dit tout de son envie de montrer la complexité de la nature humaine à travers ce subtil et puissant portrait d’une femme, dont elle ne veut faire ni une simple victime ni foncièrement une coupable.

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Une femme dont Julie Héraclès a avant tout cherché à comprendre ce qui a pu la faire basculer si jeune dans la collaboration. Une femme à qui elle « donne voix », à travers l’utilisation narrative de la première personne du singulier. Et dont les mots résonnent à l’oreille du lecteur comme une confession intime d’une personnalité à multiples facettes : tantôt arrogante, tantôt émouvante ; à la fois ambitieuse, intelligente et d’une naïveté parfois confondante ; souvent égocentrique et indifférente à ce qui se passe autour d’elle, mais aussi capable par moments d’actes de courage, d’altruisme même, comme de purs sentiments ; et surtout si touchante dans son amour maternel.

 Sujet à polémique

En inventant un destin romanesque à cette antihéroïne, sur laquelle pèsent en réalité des soupçons – non confirmés – de dénonciation de ses voisins résistants à la Gestapo, en en brossant un portrait de véritable amoureuse d’un officier allemand lui-même contraint par le régime nazi, Julie Héraclès savait qu’elle risquait de soulever des controverses en France. Outre le fait que la romancière s’est vu reprocher par l’un des descendants des voisins déportés son désir de réhabiliter Simone Touseau avec son livre, celui-ci n’a pas reçu l’accueil qu’il méritait dans la presse hexagonale, ni même sur les étals des libraires français. Cela est d’autant plus regrettable que ce roman, à l’écriture fluide, sensorielle et très visuelle – qui devrait d’ailleurs faire l’objet d’une adaptation cinématographique –, est de ceux que l’on n’arrive pas à refermer. De ceux que l’on dévore tout en voulant en économiser les dernières pages parce qu’on n’a pas envie de quitter ses personnages pris insidieusement dans les sombres filets de l’histoire, et qui soulèvent en nous tant d’interrogations. À commencer par cette si « crâneuse » Simone, dont les derniers mots vous trottent longtemps en tête : « Aujourd’hui, vous m’avez rasé le crâne, vous m’avez marquée au fer rouge, et maintenant vous m’insultez comme une chienne. Mais vous ne me détruirez pas. Vous n’aurez pas cette étincelle qui me pousse à continuer, envers et contre tout. Car aujourd’hui encore plus qu’hier, je suis forte d’un trésor inestimable. Un trésor que beaucoup d’entre vous passerez toute une vie à chercher et n’obtiendrez jamais. J’ai aimé. Et j’ai été aimée ». Rien que pour cela La tondue de Chartres valait bien un roman.

« Vous ne connaissez rien de moi » (JC Lattès, 380 pages) de Julie Héraclès. Disponible à la librairie Antoine. 

Vous ne connaissez rien de moi  (JC Lattès, 380 pages). Il y a du défi dans ce titre de roman, un ton bravache qui interpelle et excite la curiosité. Un ton qui s’accorde avec la personnalité frondeuse de son « inspiratrice », une jeune femme ayant réellement existé et qui s’appelait Simone Touseau.Accusée de collaboration avec les Allemands, cette Chartraine de 23 ans avait...

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