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Nos Lecteurs ont la Parole

La bioéthique, une discipline pour la vie

Le mot « bioéthique » est apparu en 1970 et s’est répandu vite, comme une traînée de poudre. Une nouvelle discipline venait de naître pour répondre aux exigences d’une médecine au développement technologique rapide ainsi qu’à des transformations profondes qui envahissaient nos sociétés.

En effet, la morale est essentielle, mais comment l’appliquer en médecine ? La déontologie est nécessaire, mais non suffisante. Elle regroupe un ensemble de lois qui régissent le métier de soignant, mais une loi est forcément toujours réductrice. Le « primum non nocere » ou « en premier ne pas nuire », tant connu des médecins, ne suffit plus.

Il fallait donc une discipline qui s’inspire de la morale, la mette en pratique dans les actes de soins et de recherche, et qui couvre des aspects que le législateur ne pouvait regrouper dans un code de déontologie. Et ce fut l’éthique, définie par Paul Ricœur comme « la visée d’une vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes », qui s’est développée dans le domaine médical sous le vocable de « bioéthique ».

Celle-ci connut vite un essor considérable. Aux confins de la philosophie, de l’anthropologie, de la sociologie et des sciences dans leur aspect le plus large, la bioéthique est vite devenue incontournable. Car, au-delà de la science, de la technique et du savoir en soi, il fallait comprendre le sens de nos actes en médecine et dans la recherche, leur vraie valeur, leur inconsistance par moments, leur fragilité à d’autres moments.

À la fin des années soixante-dix parut un ouvrage fondamental de deux chercheurs américains, James Childress et Tom Beauchamp. Il s’intitulait Les principes de l’éthique biomédicale. Il allait révolutionner les concepts de bioéthique. Il définissait quatre principes qu’il fallait toujours et sans cesse rechercher dans tout acte de soins : autonomie, bienfaisance, non-malfaisance et équité ou égalité d’accès aux soins. Utopiques, presque impossibles à mettre tout le temps en place, les auteurs s’échinent à assurer que ces valeurs doivent être prépondérantes, mais elles ne sont pas uniques et doivent être complétées.

L’autonomie par exemple a été mise à mal lors de la pandémie du Covid-19. Pourtant érigée presque en dogme, quel sens pouvait-on lui donner ? Que dire aux personnes qui refusaient de se faire vacciner, au nom de leur indépendance, alors qu’on leur a assené pendant des décennies que l’autonomie de la personne primait et qu’il fallait tenter de les convaincre que la vaccination contre le Covid-19 est devenue une forme presque obligatoire, une force coercitive ?

Malheureusement, l’enseignement de la bioéthique dans les facultés de médecine et paramédicales reste obsolète. Car la bioéthique heurte. On préfère enseigner un savoir que de le décortiquer, d’en ressortir le meilleur pour l’homme. Un fossé existe encore entre le savoir en soi et les valeurs qu’il véhicule. Il faut donc le combler pour les apprentis soignants et les soignants eux-mêmes qui n’ont pas pu bénéficier de telles réflexions, en multipliant cours et formations sur les enjeux des soins et de la recherche. Car, s’il n’existe pas de vérités assenées en éthique, il n’y a pas non plus nécessairement de zones grises dans la réflexion éthique. Dans la plupart des cas, les valeurs sont claires, nettes et précises. Il appartient au thérapeute ou au chercheur seulement d’y réfléchir, et surtout de les appliquer. De l’œuvre de Paul Ricœur, on retient qu’un acte de soins est éthique à partir du moment où il y a le souci de l’autre. De plus, « l’éthique est compréhension et non compromis. Il ne s’agit pas de gouverner au centre. Il faut confronter, allier, unir les expériences, les jugements, les pensées de chacun d’entre nous pour obtenir la réponse la plus sage », comme l’affirmait pour définir l’éthique Jean Bernard, grand académicien, premier président du Comité consultatif national d’éthique en France.

La bioéthique est une discipline pour la vie car elle s’occupe de la vie, dans son sens le plus large. Ou plutôt son essence. L’essence de la vie demeure la dignité humaine. Il n’y a pas de vie sans dignité. La dignité est inhérente à la vie, car toute vie est digne. C’est un principe irréductible et inaliénable. Quelles que soient les épreuves qu’une personne peut traverser, sa vie est digne en tant que telle. La dignité humaine est ontologiquement liée à la personne humaine. Une réflexion éthique devrait partir et se baser sur cela. La bioéthique le rappelle constamment.

Ainsi, dans les enjeux de la vie humaine, de son début – interruption de grossesse, fécondation in vitro, dépistage génétique… – jusqu’à la fin – refus de l’acharnement thérapeutique, soins palliatifs, euthanasie, aide active à mourir ou suicide assisté –, la bioéthique permet de veiller à cette dignité, au-delà des juridictions des pays et des débats qui peuvent en naître.

Aujourd’hui présente à travers les comités d’éthique des hôpitaux, des universités, des institutions pour handicap et personnes âgées, des centres de recherche et des laboratoires de tout genre, la bioéthique demeure un rempart qui protège pour une culture de la vie. Surtout pour une culture de la vie digne.

Pr Michel SCHEUER, s.j.,
directeur du centre d’éthique de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth

Pr Sami RICHA,
membre correspondant de l’Académie nationale de médecine de France

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Le mot « bioéthique » est apparu en 1970 et s’est répandu vite, comme une traînée de poudre. Une nouvelle discipline venait de naître pour répondre aux exigences d’une médecine au développement technologique rapide ainsi qu’à des transformations profondes qui envahissaient nos sociétés.En effet, la morale est essentielle, mais comment l’appliquer en...

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