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Nos Lecteurs ont la Parole

Pour une écologie humaine

L’histoire, en ce siècle, paraît de nouveau subir une bifurcation. Les nations les plus puissantes, qui donnaient l’impression d’avoir été construites pour défier l’usure du temps, se brisent et disparaissent. Des événements spectaculaires s’impriment dans les esprits de tous les hommes comme les images d’une transformation décisive dans les rapports entre des coalitions politiques ou culturelles antagonistes.

Les événements quotidiens, si dramatiques parfois soient-ils, ne sont que la mousse de ces transformations, qui restent ignorées car elles ne sont pas immédiatement visibles : jour après jour, l’actualité nous cache le mouvement réel de l’histoire.

Oui, nous sommes en train de vivre une révolution, et nous ne devons pas oublier que toute révolution partage les hommes en deux camps : ceux qui la subissent et ceux qui la conduisent. Nous devons donc nous rendre compte que nous avons le devoir de participer activement aux changements en cours, pour leur donner la bonne direction.

Il est avant tout fondamental d’approfondir notre condition d’hommes et de femmes, d’aller au fond de nous-mêmes en nous posant la question de savoir ce qu’est l’être humain. Commençons par constater combien, au cours de ce siècle, a été transformée notre vision de la réalité et par conséquent notre vision de nous-mêmes. Constatons également que nous n’en avons pas suffisamment pris conscience. Nous faisons comme si la description actuelle du monde était la même que celle des siècles passés, alors qu’elle est complètement différente.

Certes, les notions d’univers, de temps, d’espace, de matière ont totalement changé, mais notre capacité de destruction s’est aussi accrue de plusieurs ordres de grandeur. Avec les moyens que nous possédons aujourd’hui, quelques jours seraient suffisants pour détruire l’humanité entière. Simultanément, nous avons étendu nos pouvoirs sur le monde vivant, qu’il s’agisse des animaux, des végétaux ou surtout de nous-mêmes. Actuellement, nous savons transformer la nature même des êtres humains. Nous sommes donc obligés d’affronter des problèmes auxquels aucun philosophe du passé n’aurait jamais pu penser.

Ce qu’est en train de vivre la société d’aujourd’hui n’aura pas une fin ramenant à l’état antérieur. Il ne faut donc pas parler de « crise », mais de « mutation irréversible », au sens où l’entendent les biologistes : il n’y aura pas de retour.

Les changements que nous vivons nous conduisent à une situation définitivement inédite.

S’habituer à l’impossibilité du retour en arrière engendrée par certains processus est donc un exercice cérébral de plus en plus nécessaire, mais qui contraste évidemment avec la paresse intellectuelle à laquelle nous sommes habitués. Cette paresse est à l’origine de l’idée dominante que l’avenir peut être imaginé comme une répétition du passé. Il est urgent de nous débarrasser de cette illusion.

Chez l’être humain, la préoccupation de l’avenir domine la conscience du présent. Plus que chez tout autre animal, l’essentiel des instants vécus est consacré à la préparation des instants qui suivront. D’où l’angoisse permanente du lendemain.

La prise de conscience de notre responsabilité dans le devenir de la planète nous contraint à proposer un projet. Nous devons partir du constat de sa fragilité et de notre capacité à le détruire. La phrase célèbre de Paul Valéry, « Le temps du monde fini commence », signifie que nous entrons dans une période nouvelle de l’histoire de l’humanité. Nous nous sommes jusqu’ici comportés comme si la terre pouvait supporter sans broncher nos pires actions. Il nous faut désormais comprendre qu’elle est entre nos mains, et qu’elle est fragile.

Le comportement de l’humanité d’aujourd’hui est scandaleusement destructeur. Faire confiance à la science et à la technique en croyant qu’elles apporteront des réponses aux problèmes que suscite ce comportement est une attitude infantile. La finitude de la planète est une donnée qui ne peut être écartée. Malheureusement, cette évidence n’est guère évoquée par les médias. Ils entretiennent les idées préconçues remplaçant la réflexion par des formules devenues des slogans : telle la notion de croissance, appelant à consommer toujours plus.

Aujourd’hui, nous devons comprendre que la joie d’un instant apportée par un succès peut se doubler d’une angoisse, car ce succès prépare peut-être un désastre à long terme. L’exemple le plus évident est celui des armes nucléaires, à la fois fantastique réussite de l’intelligence humaine et menace pour l’existence même de l’humanité.

Nous ne sommes plus uniquement des homo faber, mais des faber hominis, des « créateurs de l’homme ». Avec quel projet ?

Nous sommes face à la nécessité d’une réflexion éthique nous guidant dans le choix de ce qui, parmi une multitude de possibles, sera effectivement réalisé.

En fin de compte, l’important est de montrer à chacun qu’il n’est pas « de trop ». Par son appartenance à la communauté humaine, il doit être considéré comme une source, non comme une charge. Hélas, notre société est loin de diffuser ce sentiment. Il est temps de comprendre le danger de son autodestruction à travers la violence, la guerre, la délinquance et la drogue.

Insérons donc dans nos écoles et universités des leçons d’écologie humaine, car c’est l’homme, et seulement l’homme, qui devrait être l’obsession première de tout projet de vie.

Laissons, en nous, parler cette angoisse permanente : ce que nous réalisons aidera-t-il les hommes de demain à vivre plus sereinement ?

Le « toit » de notre maison humanité, ce seront nos générations à venir.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

L’histoire, en ce siècle, paraît de nouveau subir une bifurcation. Les nations les plus puissantes, qui donnaient l’impression d’avoir été construites pour défier l’usure du temps, se brisent et disparaissent. Des événements spectaculaires s’impriment dans les esprits de tous les hommes comme les images d’une transformation décisive dans les rapports entre des coalitions...

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