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Idées - ENTRETIEN

Gaza : « L’utilisation massive du bombardement pour écraser l’adversaire s’apparente à une tactique de terreur »

La séquence ouverte le 7 octobre a laissé peu de place à la réflexion. L’urgence, les angoisses, comme les automatismes de langage ont pris le dessus. Au milieu de ce prêt-à-penser, un mot tourne en boucle : le « terrorisme ». Quels sont les implicites idéologiques de ce terme forgé dans la modernité politique ? Rares sont ceux dans le contexte actuel à prendre le temps d’interroger ses fondements. Gilles Ferragu, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Nanterre, auteur d’une Histoire du terrorisme (Perrin, 2014) revient sur ce « mot-valise » utilisé « contre ceux que l’on veut priver de toute légitimité ».

Gaza : « L’utilisation massive du bombardement pour écraser l’adversaire s’apparente à une tactique de terreur »

Une colonne de fumée s'élève à Gaza après une frappe aérienne israélienne le 18 novembre 2023. REUTERS/Alexander Ermochenko

De quoi parle-t-on lorsque l’on parle de « terrorisme » ?

Le terrorisme est l'utilisation d’une émotion, la terreur, à des fins politiques. La terreur étant ici comprise comme une peur qui fige, qui empêche la réaction et provoque la sidération. Les victimes directes ne sont pourtant pas la cible principale du terrorisme. La cible, ce ne sont pas les morts qui restent à terre, mais la population, l’opinion publique, l’État.

Ce « mot valise » est par ailleurs devenu un terme juridique. La plupart des juridictions occidentales sont aujourd’hui dotées de lois anti-terroristes. En France, c'est tout un appareil législatif qui s'est mis en place avec un parquet antiterroriste dès 1986. Le terrorisme y est défini par la nature des actes : des méthodes de combat avec une intentionnalité politique. Pourtant il s’agit d’un crime « normal » et non pas d'un crime « politique », comme l’est la trahison. Car donner aux terroristes un statut politique, c'est déjà reconnaître leur cause. Le terme est évidemment de ce fait un objet politique. Il soulève la question du « droit » à la résistance : les « terroristes » sont ceux que l’on veut priver de légitimité. Une arme rhétorique, idéologique, permettant de lutter contre un adversaire politique.

Quand et comment émerge le terme ?

La première étape est l'apparition du mot, dans la France révolutionnaire, à partir de 1793. Il entre officiellement dans le dictionnaire de l'Académie française dès 1798, avant d’être repris par Napoléon Bonaparte pour qualifier les responsables de l'attentat dont il est victime le 24 décembre 1800. L’expression restera, bien qu'elle ne soit presque pas utilisée tout au long du XIXe siècle : on préfère alors parler d’ « attentateur ».

Il revient dans la bouche d'un jeune révolutionnaire russe, Sergueï Netchaïev. Fait rare dans l’histoire du phénomène, ce dernier revendique ouvertement l’étiquette « terroriste » lors de son procès à Moscou en 1873. Dès l’origine, il existe donc un lien organique entre le terrorisme et l'idée révolutionnaire : la plupart des acteurs qui s’en revendiquent considèrent que l'attentat doit provoquer une transformation politique radicale, et déboucher sur une révolution.

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La seconde étape est la généralisation du terme, en Europe, tout au long du XXe siècle. C'est là que le mot va s'imposer pour qualifier une certaine forme de violence politique exercée via l’attentat - qu’il s’agisse des assassinats d’opposants par l’Italie fasciste ou de l’action des résistants durant la guerre. Il est utilisé dans tous les sens – mais systématiquement pour priver l’adversaire de toute légitimité. C’est à ce moment que se cristallise la confusion entre résistance et terrorisme, quand Hitler qualifie ces résistants de terroristes, confusion qui pose le problème d’une définition internationale.

Pourquoi est-ce si important de définir le terrorisme ? Quelle est la position de la communauté internationale à ce sujet ?

A partir des années 1970-80 - notamment marquées par une série de détournements d'avion et l’essor du terrorisme palestinien - les États directement touchés par cette violence demandent à ce que la communauté internationale tranche sur la question. Définir sur le plan du droit, à l’échelle internationale, permet par ailleurs d’imposer des règles à certains États – en agissant notamment sur les pays hébergeant malgré eux des groupes terroristes (comme la Jordanie avec le Front Populaire de Libération de la Palestine - FPLP - dans les années 1960).

Cependant, si les juridictions nationales se sont rapidement dotées d’une législation « anti-terroriste », aucun consensus n’a émergé au niveau international malgré les nombreuses tentatives en ce sens. En Europe, le premier essai afin d’esquisser une définition commune a lieu en 1898 lors de la conférence de Rome. Elle concerne seulement l’anarchisme : la plupart des États européens, ciblés par des attentats anarchistes, se réunissent pour criminaliser ces actes et définir des mesures de lutte. Mais le mot « terrorisme » n’est pas encore utilisé. La première véritable tentative a lieu en 1937, au sein de la Société des Nations (SDN), quelques années après l'assassinat d’Alexandre Ier, roi de Yougoslavie, par un terroriste croate. C’est un échec, la SDN ne parvenant pas à transcender les conflits entre États. Il revient aux Nations Unies, à partir de 1996, de se pencher sur le sujet à travers l’établissement d’une commission ad-hoc. Nouvel échec : cette dernière finit par être dissoute, incapable d'aboutir à une définition en raison des mêmes obstacles politiques.

Difficile de parler de terrorisme sans évoquer le 11 septembre 2001. Qu’est-ce que cet événement a changé dans l’histoire de cette notion ?

On en parle souvent comme du plus grand détournement d’avion de l’histoire. C’est faux ! La plus grande opération jamais réalisée en la matière a lieu le 6 septembre 1970 dans le désert jordanien par le FPLP : le « Dawson’s Field highjacking » mène à la destruction de quatre avions de ligne.

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La véritable nouveauté avec le 11 septembre réside en revanche sur le plan de l’image : c’est la première fois qu’un attentat bénéficie de la puissance médiatique du début du XXIe siècle. La deuxième nouveauté, la plus importante à mon sens, est que c’est la première fois qu'un pays comme les États-Unis est touché de la sorte au cœur de son territoire national. Il y avait déjà eu des attentats, mais l'ampleur de la frappe est sans commune mesure avec les précédents. Le contraste entre la puissance du symbole visé, le World Trade Center, et la mise en scène d’un Oussama Ben Laden revendiquant l’attentat depuis une grotte afghane, impressionne aussi. La combinaison de ces deux éléments fait que l'attentat du 11 septembre sera rapidement instrumentalisé afin d’imposer des lois extrêmement sévères. Le dilemme sécurité - liberté voit le jour.

Vous parlez de « mot valise ». Quels points communs entre un terrorisme tel que pratiqué par des mouvements comme le Hamas ou le Hezbollah, le terrorisme de groupes régionalistes, les actes isolés de « loups solitaires » et ce que certains qualifient de « terrorisme d'État » (à propos d’Israël ou de la Syrie par exemple) ?

Tous ces phénomènes ont en commun leur capacité à utiliser la violence politique sur un point donné du corps social pour pousser un État, une communauté, une population vers une politique spécifique. Que ce soit des groupes terroristes qui s’attaquent à un État, des loups solitaires (qui revendiquent parfois une affiliation) s’attaquant à une communauté, ou un État qui utilise ce type de violence contre une communauté, à chaque fois l’objectif est d’obtenir une décision politique. Bien sûr, les moyens d’un État sont sans commune mesure avec ceux d’un groupuscule. Il y a une différence d’échelle, mais pas d’objectifs.

Dans le cas du conflit actuel, le 7 octobre représente un attentat terroriste mené avec des moyens quasiment militaires par le Hamas. Côté israélien, il y a une offensive anti-terroriste mais aussi l’utilisation massive du bombardement pour écraser l’adversaire, ce qui s’apparente à une tactique de terreur, comme on en a vu durant la Seconde Guerre mondiale.

On parle aujourd’hui de « terrorisme intellectuel » ou « psychologique ». N’est-ce pas contradictoire avec l’idée de violence physique inhérente au terrorisme ?

La notion de terrorisme intellectuel prend racine à la fin du XIXe et au début du XXe. Elle émerge à l’extrême droite en réponse à la notion d’hégémonie culturelle, formulée par Antonio Gramsci, penseur communiste italien. Ce philosophe considère qu’il faut opposer aux valeurs dominantes ses propres valeurs, conquérir culturellement l’opinion publique en revendiquant pour soi le monopole de la morale, et cela avant d’engager une révolution. Cette manière de penser le combat politique en essayant d'imposer ses conceptions est qualifiée par l’opposition de droite, qui est attaquée sur le terrain de la morale, de « terrorisme intellectuel ». C'est à dire un moyen rhétorique, là aussi, pour priver l’adversaire de toute légitimité et de droit à la discussion.

Le terme me semble néanmoins très discutable. L’idée de terrorisme intellectuel, tel que formulé à partir de la fin des années 1960, reviendrait à imposer, par la parole, et en revendiquant le monopole de la morale, le silence à un parti politique. Or c’est quasiment un oxymore : on ne peut pas parler, d’un côté, d’une forme de violence et, de l'autre, d’un espace de dialogue. Si un Etat, ou un parti utilise la violence physique, il n’est plus dans le domaine de la parole et le terrorisme est réel. Il n'y a pas de terrorisme intellectuel en tant que tel. Il existe tout au plus une incapacité des uns à dialoguer avec les autres.

Outre le terrorisme, vous êtes l’auteur d’un ouvrage sur la prise d’otage (« Otages, une histoire. De l’Antiquité à nos jours », Folio, 2020). Quel lien faites-vous entre ces phénomènes ?

La prise d’otage, qui remonte à l’Antiquité, a longtemps été un instrument diplomatique, utilisé d'abord par les États pour garantir des traités, mais aussi par des armées pour obtenir un laissez-passer ou conquérir un territoire sans risquer un tir dans le dos. La prise d’otage est ensuite pratiquée en tant qu’acte politique dans les années 1960 en Amérique latine par des mouvements qui se revendiquent de la guérilla urbaine. Ces idées vont ensuite rayonner à travers le monde. Elles voyageront dans les années 1970 en Europe - avec l’émergence de groupes d’extrêmes gauche tel que les Brigades rouges en Italie ou la Fraction armée rouge en Allemagne - mais aussi au Proche-Orient, où des organisations comme le FPLP emploient des méthodes similaires et développent la tactique des détournements d’avion à grande échelle. La prise d’otage devient un moyen pour une organisation clandestine de discuter d’égal à égal avec un État - avec l’idée qu’on ne tue pas un otage. Mais l'exécution d'otages devient petit à petit une réalité, en permettant de terroriser. Et ce qui était au départ un outil tactique sur le chemin d’une lutte libertaire devient un moyen criminel d'obtenir des rançons ou simplement de faire peur.

De quoi parle-t-on lorsque l’on parle de « terrorisme » ?Le terrorisme est l'utilisation d’une émotion, la terreur, à des fins politiques. La terreur étant ici comprise comme une peur qui fige, qui empêche la réaction et provoque la sidération. Les victimes directes ne sont pourtant pas la cible principale du terrorisme. La cible, ce ne sont pas les morts qui restent à terre, mais la...

commentaires (5)

2/2 Il fallait donc provoquer Israël de façon à générer le type de réponse que nous voyons. L’horreur de l’attaque du 7 octobre était donc voulue, comme était anticipé et désirée la réponse Israélienne. Le Hamas n’a donc aucun intérêt à ce qu’Israel modère son attaque, et ce sont les civils qui en paient le prix.

Bachir Karim

16 h 59, le 20 novembre 2023

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Commentaires (5)

  • 2/2 Il fallait donc provoquer Israël de façon à générer le type de réponse que nous voyons. L’horreur de l’attaque du 7 octobre était donc voulue, comme était anticipé et désirée la réponse Israélienne. Le Hamas n’a donc aucun intérêt à ce qu’Israel modère son attaque, et ce sont les civils qui en paient le prix.

    Bachir Karim

    16 h 59, le 20 novembre 2023

  • Il y a une erreur fondamentale de grille de lecture. D’une part personne ne peut croire que le Hamas ne pensait pas qu’Israel réagirait de cette façon à leur attaque du 7 Octobre. D’autre part, les dirigeants du Hamas savent parfaitement qu’ils ne peuvent gagner une guerre conventionnelle contre Tsahal. Il est donc très clair que ceci n’est pas le but du Hamas. Quel est donc ce but? De fait, celui qui est en train de s’accomplir: le retournement de l’opinion publique mondiale en faveur des palestiniens. 1/2

    Bachir Karim

    16 h 55, le 20 novembre 2023

  • IL Y A DEUX SORTES DE TERRORISME. LE BON TERRORISME. ET LE MAUVAIS TERRORISME. - LE BON TERRORISME EST CELUI DE TOUS LES TYRANS, LES UNS DIT DEMOCRATES ET LES AUTRES FRAPPES DU SCEAU DE DESPOTES. ILS LE PRATIQUENT EN IMPOSANTS PAR LA FORCE FINANCIERE OU MILITAIRE LEUR CHOIX SUR LES REGIMES DES AUTRES PAYS ET SUR LEUR LIGNE POLITIQUE A SUIVRE. ILS APPELENT CA DE LA COOPERATION AMICALE. - ET IL Y A LE MAUVAIS TERRORISME. IL ENGLOBE TOUS CEUX QUI DEMANDENT LEURS DROITS ET COMBATTENT POUR RECUPERER LEURS TERRES ET LEUR LIBERTE, QU,ILS SOIENT PALESTINIENS, KURDES, UKRAINIENS OU AUTRES ETHNIES

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 41, le 20 novembre 2023

  • "… Côté israélien, l’utilisation massive du bombardement pour écraser l’adversaire s’apparente à une tactique de terreur …" - Dis-donc dis-donc, ce postulat ne serait-il pas limite anti-ces-mites?

    Gros Gnon

    08 h 47, le 20 novembre 2023

  • Israël ne devrait pas se lancer dans des opérations de combat contre le Hamas dans le sud de la bande de Gaza tant que les planificateurs militaires n'auront pas pris en compte la sécurité des civils palestiniens en fuite, a déclaré dimanche un responsable de la Maison Blanche, cité par Reuters. "Dans l'éventualité où Israël se lancerait dans des opérations de combat, y compris dans le sud, nous pensons (...) qu'il a le droit de le faire"........et alors ?? mais ca c" est l' autorisation de tuer ...terrorisme pur et dur

    Z KD

    18 h 35, le 19 novembre 2023

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