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Idées - Guerre de Gaza

Lettre à mes collègues des Nations unies : « Comment retracer la voie vers le respect universel des droits alors que le droit international est piétiné ? »

Lettre à mes collègues des Nations unies : « Comment retracer la voie vers le respect universel des droits alors que le droit international est piétiné ? »

Photo d’illustration : la sculpture « Non-Violence » de Carl Fredrik Reuterswärd devant le siège des Nations unies à New York. Crédit Wikimedia Commons

Plus d’un mois s’est écoulé depuis le début de la guerre. Dans mon pays et ma région, la vie suit désormais le rythme des images provenant des champs de bataille. Nous assistons, avec une douleur atroce, à la mort des villes, à la décimation de vies innocentes et de principes universels. Et nous regardons, impuissants, des patients atteints de cancer mourir dans des hôpitaux bombardés, tandis qu’une femme de plus de 90 ans est contrainte de prendre le chemin de l’exil pour la troisième fois de sa vie.

Le monde reste sourd aux appels à mettre fin à ces atrocités. Avec le soutien flagrant des États-Unis et de l’Europe, les appels de nombreuses personnes, y compris ceux du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, à cesser le feu restent sans réponse, tandis que l’enclave assiégée qu’est Gaza devient un « cimetière pour enfants ». M. Guterres a dit à juste titre : « Le cauchemar à Gaza est plus qu’une crise humanitaire. C’est une crise de l’humanité. » Pourtant, le monde est sourd et la Palestine est seule face à son horrible sort : la « punition » collective imposée aux Palestiniens, l’expulsion forcée et les dépossessions massives d’au moins un million de personnes – une seconde Nakba, 75 ans après la première, en 1948. Nous savons désormais que la paix a été enterrée dans le même cimetière.

Quel avenir pour notre travail sur le seizième objectif de développement durable,« Paix, justice et institutions efficaces », voué à promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et inclusives ? Comment retracer les voies vers le respect universel des droits, maintenant que le droit international est piétiné ? Comment assurer à tous, équitablement, l’accès à la justice ? Redonner à la vie humaine sa valeur ? Quelle confiance peut-on encore avoir dans les institutions censées protéger le droit des peuples, surtout ceux sous occupation ? Et comment bâtir des institutions efficaces lorsque l’horizon ultime est le renouvellement des conflits ?

Ces questions nous hanteront et nous survivront évidemment, et pendant de nombreuses générations à venir maintenant qu’elles sont bien inscrites dans la mémoire des jeunes générations. Qui oubliera les paroles de la députée israélien Merav Ben-Ari lors d’un débat sur la protection des civils dans la bande de Gaza ? « Il n’y a pas de symétrie (entre les victimes). Les enfants de Gaza ont eux-mêmes provoqué cela », avait-elle déclaré. Qui pourrait oublier les nombreuses autres déclarations déshumanisant les Palestiniens, les décrivant notamment comme des « animaux humains » ?

En tant que professionnelle du développement, j’ai consacré ma vie à élaborer des politiques et à mettre en œuvre des programmes qui n’ont qu’un seul objectif : une vie meilleure, paisible et prospère, dans la dignité, pour mon pays le Liban, pour la région arabe où je suis fortement enracinée et pour le monde occidental où j’ai grandi et fait mes études. Mes deux enfants et moi aspirions à vivre dans « un seul monde », sur un pied d’égalité, unis sous les drapeaux de la paix et dans le respect des lois internationales. Je les ai élevés pour qu’ils soient de bons interlocuteurs, qu’ils croient et travaillent pour ce rêve en rejetant les appels à la haine, aux extrémismes et à la violence. Aujourd’hui, mes croyances sont brisées alors que je vois le profond fossé se creuser entre le « eux » et le « nous » et séparer notre monde, peut-être pour toujours. Des violations que mon amie l’écrivaine Amal Ghandour a décrites comme profondes, vastes et durables (This Arab Life: A Generation’s Journey into Silence, Bold Story Press, 2022).

Amal a raison : « Nous sommes dans une nouvelle ère, et elle s’appelle « J’accuse ». » Finis depuis longtemps les espoirs naïfs des adolescents qui écoutaient en 1988 sur ABC News des conversations éloquentes, posées et dignes, entre d’un côté Ehud Olmert, Eliyahu Ben Elizar et Deddi Zucker ; et de l’autre Hanane Achraoui, Saëb Erekat et Haïdar Abdel Shafi – des conversations mesurées qui auguraient un dialogue positif. Je n’oublie pas les mots d’Achraoui : « Nous sommes le seul peuple sur terre à qui l’on demande de garantir la sécurité de notre occupant… tandis qu’Israël est le seul pays qui appelle à la défense contre ses victimes. »

Pourtant, Oslo a eu lieu et les dialogues de paix se sont poursuivis jusqu’à ce qu’ils soient bloqués par la poursuite des politiques de colonies illégales et le récent programme d’un nouveau Moyen-Orient.

Je regrette l’époque où un intellectuel et musicologue palestinien de renom, Edward Saïd, et un chef d’orchestre et pianiste israélien, Daniel Barenboim, s’asseyaient ensemble pour discuter d’idées sur la musique, la culture et l’humanité… Et de créer, à travers leurs échanges, des moyens alternatifs pour résoudre le conflit israélo-palestinien – parmi lesquels le « West-Eastern Divan Orchestra » bien connu du grand public.

L’époque où nous osions imaginer une solution « juste » à la tragédie israélo-palestinienne, centrée sur deux États, est révolue depuis longtemps. Une paix juste et durable dans cette région anéantie, pensais-je naïvement, ne sera peut-être pas de mon vivant mais de celui de mes enfants. Maintenant, je sais qu’elle ne sera pas. Même pas du vivant de leurs enfants.

Au moment où j’écris ces quelques mots, je crains que le monde et pas seulement le nôtre ne revoie plus jamais resurgir le besoin de droit international, le besoin naturel de justice et d’équité et que nous nous avancions, insensiblement et fermement, à force d’impunité glorifiée, vers un territoire inconnu, terriblement, terriblement sombre. Et dans cette perspective, comment garder espoir dans la réalisation de notre agenda 2030 et de l’ensemble de ses objectifs ?

Vice-présidente du Comité d’experts de l’administration publique des Nations unies (CEPA)

Plus d’un mois s’est écoulé depuis le début de la guerre. Dans mon pays et ma région, la vie suit désormais le rythme des images provenant des champs de bataille. Nous assistons, avec une douleur atroce, à la mort des villes, à la décimation de vies innocentes et de principes universels. Et nous regardons, impuissants, des patients atteints de cancer mourir dans des hôpitaux...

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