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Société - Urbanisme

Une polémique autour de travaux dans le jardin des jésuites, à Beyrouth, tourne à l’aigre

Des habitants du quartier de Geitaoui critiquent la rénovation de l’espace vert entreprise par Beit el-Baraka et demandent « des réparations et une remise en état ». L’association argue que « les travaux sont loin d’être terminés ».

Une polémique autour de travaux dans le jardin des jésuites, à Beyrouth, tourne à l’aigre

Le bac à sable bien connu des enfants, objet de polémique sur sa remise en état. Photo Joao Sousa

En cette matinée de semaine, une chanson de Feyrouz claironne dans le petit et emblématique jardin des jésuites, dans le quartier de Geitaoui, en plein cœur d’Achrafieh. C’est une journée de musicothérapie, et de nombreuses personnes du troisième âge en profitent, se prélassant sur les bancs, entre la petite bibliothèque municipale gérée par Al-Sabil et les ruines de la basilique datant du IVe siècle (transportée depuis la région de Zahrani dans les années 50). Rien, dans ce calme apparent, n’alerte sur le sourd conflit en cours autour de travaux entrepris pour la modernisation du jardin.

Pourtant, les travaux, commencés en mars dernier mais interrompus depuis environ deux mois en raison de la querelle qui les entoure, sont bel et bien visibles. Et ils provoquent la colère d’habitants réunis dans le Collectif pour le jardin de jésuites : ceux-ci affirment vouloir mener bataille pour protéger ce qu’ils considèrent comme « leur » espace vert. Face à eux, Beit el-Baraka, une ONG bien connue pour son action caritative auprès de milliers de familles, engagée dans la rénovation de cet espace vert depuis mars dernier. « Après l’explosion de Beyrouth en août 2020, nous avons réhabilité une partie des immeubles de ce quartier, et c’est dans ce cadre que s’insère la rénovation du jardin », explique Maya Ibrahimchah, fondatrice et présidente de Beit el-Baraka. Ce projet est conçu et réalisé par l’ONG (sauf pour l’élagage des arbres confié à un botaniste), et est financé par des donateurs privés. Depuis, elle dit tenter non sans mal de juguler les multiples controverses engendrées par son projet. Il y a deux mois environ, Youssef Karam, un habitant du quartier et membre du collectif, commence à répertorier ce qu’il appelle des anomalies dans les travaux de rénovation, et décide d’« agir » : fuites d’eau constatées dans les toilettes rénovées des murs dont la nouvelle couleur, très blanche, n’est pas en accord avec le reste du jardin ; le remplacement des pierres jaunes d’origine par des carreaux en céramique dans deux fontaines emblématiques du jardin… La liste « des erreurs d’exécution impardonnables » dressée par le riverain est longue.


L'une des deux fontaines recouvertes de carreaux de céramique au lieu des pierres jaunes d'origine : Beit el-Baraka a promis d'y remédier. Photo João Sousa

Le collectif s’appuie surtout sur une étude effectuée par un architecte qui possède une maison dans le voisinage, Habib Sayah, docteur en sauvegarde architecturale à Genève, dans laquelle il apporte ses recommandations pour une « remise en état du jardin ». Les membres du collectif affirment eux avoir collecté 250 signatures enregistrées auprès du mohafez de Beyrouth, Marwan Abboud, en faveur de la « réparation des dégâts et d’une remise en état à l’identique » du jardin.

Les travaux « pas terminés »

« On nous reproche des erreurs d’exécution alors que nous sommes loin d’avoir terminé », lance Maya Ibrahimchah. Selon elle, les membres du collectif ont « mis l’équipe hors du jardin manu militari, avec force cris et insultes ». Youssef Karam ne dément pas avoir demandé aux équipes de sortir du jardin, se défendant cependant de toute violence. « Nous n’avions plus le choix, vu les erreurs que nous constations sur le terrain », affirme-t-il. Interrogée, une source à la municipalité de Beyrouth relève le caractère « illégal » de cette expulsion de fait, confirmant que la rénovation des lieux a été confiée à l’association en vertu d’un accord avec le mohafez, qui « compte prendre des mesures strictes à ce propos ».

Interrogée par L’OLJ, l’équipe de Beit el-Baraka répond aux critiques des riverains : si celle-ci reconnaît une erreur au niveau des fontaines « qui seront de nouveau recouvertes de pierres semblables aux originales », elle assure que pour le reste, notamment les bancs, la peinture de la clôture, etc., les travaux ont dû être interrompus, d’où cette impression d’inachevé. La source municipale précitée confirme que les travaux n’en sont qu’à leurs débuts et que les décisions prises sont justifiées, rappelant que des réservoirs d’eau et des panneaux solaires ont également été installés.


La rénovation des toilettes a été vivement critiquée par le collectif des riverains. Photo João Sousa

Réfugiés syriens

C’est toutefois le bac à sable, faisant office d’aire de jeux au centre du jardin, qui inquiète au plus haut point ce collectif. « Nous avons découvert que Beit el-Baraka compte remplacer ce sable par du béton », s’emporte Marie-Claude el-Hage, membre du collectif, montrant des croquis de deux plans différents pour cette partie du jardin, fournis par l’association elle-même. Maya Ibrahimchah dément tout bétonnage de l’aire de jeux. « Ce que les habitants ont pris pour du béton sur les croquis, c’est du sable neuf qui viendra remplacer l’ancien, avec une base protectrice pour que les enfants ne se fassent pas mal », réplique-t-elle. Elle ajoute : « Nous avons hâte d’en terminer avec cette controverse qui n’en finit plus. Nous avons donc renoncé aux plans que nous avions conçus, nous allons désormais nous suffire d’une remise en état et du nettoyage de cette partie du jardin. »


Un petit jardin convivial de quartier, qui avait déjà fait, il y a quelques années, l'objet d'un projet de parking controversé. Photo João Sousa

Les habitants étayent enfin leurs arguments contre ce projet par une crainte que la modernisation de l’aire de jeux n’ait pour véritable objectif d’aménager cet espace à l’intention des familles de réfugiés syriens, plutôt qu’aux habitants du quartier. Ils en veulent pour preuve que Beit el-Baraka a conclu un partenariat avec une autre organisation, CatalyticAction, une association caritative qui a déjà mené des projets au bénéfice des réfugiés syriens, ce qui est à l’origine de leurs questions.

« Que cache ce projet, dans un jardin qui appartient symboliquement à ses riverains ? Pourquoi se concentrer sur l’aménagement de cette aire de jeux comme si elle concernait tout le jardin ? », se demande Youssef Karam.

« Mais pourquoi ce serait la modernisation du jardin qui attirerait particulièrement les enfants syriens ? Ceux-ci fréquentent les jardins dans tous les cas », constate la source municipale précitée. Maya Ibrahimchah rappelle que Beit el-Baraka n’a jamais réalisé des projets spécifiquement destinés aux réfugiés syriens. Se défendant de toute arrière-pensée de par le partenariat avec CatalyticAction (qui ne se focalise pas non plus sur ce seul sujet, selon elle), elle précise cependant que celui-ci a été rompu pour mettre fin à la querelle.

De multiples plans

Comment les choses ont-elles ainsi dégénéré entre Beit el-Baraka et les habitants ? « Les habitants dans l’entourage du jardin, qui ont été inclus dans un dialogue depuis le début du projet, ne sont d’accord sur rien », martèle Maya Ibrahimchah. « L’ONG prétend vouloir le dialogue, puis rechigne dès que nous nous opposons à quoi que ce soit », accuse Marie-Claude el-Hage.

Pourtant, il y a environ deux ans, ce projet avait commencé sous les meilleurs auspices, avec une main tendue à la communauté pour un dialogue autour de ce petit jardin de 4 400 m², qui est un bien municipal depuis les années 1960, légué par les jésuites. L’espace vert avait déjà échappé, il y a quelques années, à un projet municipal qui visait à le remplacer pour creuser un parking souterrain de 700 places. Le conseil municipal de l’époque avait proposé de recréer le jardin au-dessus du parking, en ramenant les vestiges de la basilique. L’opposition du voisinage a fait avorter ce projet en 2017.


La controverse autour de ce jardin, résultat d'un dialogue interrompu. Photo João Sousa

Fer de lance contre l’ancien projet de parking, Jihad Kiamé est architecte urbaniste et enseignant, lui-même habitant du quartier et sans lien avec le collectif précité. En 2021, lorsque le projet de rénovation du jardin a été mis sur le tapis, Beit el-Baraka a fait appel à son agence pour concevoir un premier plan de rénovation. Celui-ci, qui proposait une modernisation radicale de l’espace, a été finalement abandonné par l’association à la suite d’une forte opposition, notamment par d’autres architectes du quartier. Dans son bureau proche du jardin, Jihad Kiamé exhibe fièrement les plans de ce projet avorté qui prévoyait, entre autres, de créer une « agora », soit une grande partie centrale ouverte, entre la basilique et la bibliothèque, pour accueillir les diverses activités, ainsi qu’une bibliothèque plus moderne, une rampe suspendue pour ajouter un espace de promenade… « Le projet avait été exposé lors d’une séance de dialogue où tous les acteurs concernés avaient été conviés », dit-il.

L’architecte, qui regrette aujourd’hui « cette occasion perdue », critique le point où en sont les travaux. « Il y a eu beaucoup d’hésitations, de retards, de changements de plans et d’erreurs de réalisation par la suite, ce qui a fortement entamé la confiance entre Beit el-Baraka et les riverains », estime-t-il. « L’association doit terminer rapidement ces travaux suivant les règles de l’art », conclut-il.

En cette matinée de semaine, une chanson de Feyrouz claironne dans le petit et emblématique jardin des jésuites, dans le quartier de Geitaoui, en plein cœur d’Achrafieh. C’est une journée de musicothérapie, et de nombreuses personnes du troisième âge en profitent, se prélassant sur les bancs, entre la petite bibliothèque municipale gérée par Al-Sabil et les ruines de la basilique...
commentaires (3)

Mr Jack Gardner, vous êtes loin du sujet et c est faux ce que vous dites ici. le Jardin des Jésuites 1950 est classé patrimoine national historique,avec tous ses composants. On essaye donc de préserver NOTRE jardin,seul,espace vert, de n importe quelle mains qui veut peut être changer sa nature. On veut juste une remise a neuf professionnelle,comme l Original. On est les gardiens de ce jardin, non pas ses destructeurs, comme les "mauvais gérants et associés du petit Liban." et merci a LOLJ !

Marie Claude

08 h 33, le 14 novembre 2023

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Commentaires (3)

  • Mr Jack Gardner, vous êtes loin du sujet et c est faux ce que vous dites ici. le Jardin des Jésuites 1950 est classé patrimoine national historique,avec tous ses composants. On essaye donc de préserver NOTRE jardin,seul,espace vert, de n importe quelle mains qui veut peut être changer sa nature. On veut juste une remise a neuf professionnelle,comme l Original. On est les gardiens de ce jardin, non pas ses destructeurs, comme les "mauvais gérants et associés du petit Liban." et merci a LOLJ !

    Marie Claude

    08 h 33, le 14 novembre 2023

  • Même genre de querelles qu'au niveau du pays, a croire, le problème ne vient pas que des politiciens mais du Libanais lui même.

    Jack Gardner

    11 h 18, le 13 novembre 2023

  • Madame, après l'explosion du port de Beyrouth, Beit el Baraka ont été parmi les seuls à soutenir ce quartier, et ont embelli les immeubles et les façades. Ils ont également rehabilité le jardin William Hawi à merveille! Je doute fort que cet article soit écrit de façon impartiale, surtout qu'il est claire dans les photos que les travaux n'en sont qu'à leur début. À quoi bon attaquer les associations sur lesquelles repose la securité de milliers de personnes ?! C'est bien dommage.

    Edouard CHAMY

    08 h 50, le 13 novembre 2023

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