Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Les échos de l’agora

Gaza ou l’impossible paix métaphysique

À la question palestinienne s’applique le qualificatif de « guerre infinie » ou de « paix impossible ». Cette affaire est malheureusement défigurée par des parasitages religieux opposés qui la déplacent du registre politique vers celui de la métaphysique. Si la raison d’être du politique est la résolution des conflits par le compromis honorable, il en découle que tout abandon de ce registre mène vers l’impossible résolution du conflit.

En faisant une irruption violente sur la scène de Gaza le 7 octobre dernier, l’Iran des mollahs vient de brouiller les cartes, non pour rendre justice aux Palestiniens mais pour marquer des points en faveur de son projet hégémonique islamiste. C’est le Libanais Hassan Nasrallah qui a déclaré au monde la position des mollahs de Téhéran, dans un discours-fleuve précédé d’une campagne médiatique. Beaucoup ont été surpris par la mollesse du propos. Ce discours est extrêmement important. Il se décline en deux grands chapitres : une longue leçon dogmatique sur le sens ultime du martyre, suivie de considérations politiques sur l’actualité de Gaza.

Du point de vue politique, Hassan Nasrallah a tout simplement joué à Ponce Pilate en se lavant les mains du sang innocent qui coule à Gaza. « Ni l’Iran ni le Hezbollah n’étaient au courant du coup monté par Hamas », dit-il sur un ton mielleux. Ceci lui permet de ne pas s’impliquer dans la bataille sauf pour sa propre défense, si l’ennemi ne respecte pas les prétendues « règles de l’engagement ». Le Liban, son État, sa souveraineté, la Finul, tous ces encombrants accessoires n’ont même pas été mentionnés.

Mas c’est surtout la première partie du discours qui est importante. Elle s’adresse à ses affidés en leur administrant une leçon de catéchisme sur « comment être un parfait martyr », comment aller à la mort au nom de Dieu afin de gagner un statut particulier, celui du shahid.

Dans la sourate Les Femmes, le Coran énumère très clairement les catégories des bienheureux au paradis : «… les prophètes (nabiyyîn), les véridiques (siddîqîn), les martyrs (shuhadã’) et les vertueux (sâlihîn) » [4, 69]. Dans le cas du shahid-martyr chrétien, c’est Dieu qui vient vers l’homme, alors que dans celui du shahid-jihadiste musulman, c’est l’homme qui va vers Dieu. Son témoignage (shahada) devient un acte politique. Au paradis, Dieu et ses anges portent témoignage pour le shahid lequel, à son tour, porte témoignage pour sa communauté. Un tel bienheureux est vu par Dieu et ses anges. C’est ce regard divin posé sur lui qui valide son être propre ainsi que l’ordre politique de sa communauté. Malheureusement, on a trop tendance à ne voir dans le statut du shahid musulman au paradis que les bénéfices secondaires comme les belles houris, les rivières d’eau fraîche, etc. Ces avantages ne sont que des épiphénomènes par rapport au fait premier qui est de l’ordre de la plénitude de l’existence, acquise par l’effort personnel.

Dans son discours, Hassan Nasrallah a longuement commenté le verset de la sourate de La Génisse, qui proclame : « Ne dites pas que ceux qui sont tués dans la voie de Dieu (jihad) sont des morts. Non, ils sont vivants mais vous ne le comprenez pas » [2, 149]. Ceci permettrait de nuancer l’interdit formel du suicide repris dans la sourate Les Femmes : « Ne vous tuez pas vous-mêmes. […] Quiconque commet cela, par excès et par iniquité, Nous le jetterons au feu » [4, 29-30]. Cet état particulier, entre vie et mort, relèverait d’une tradition qui remonterait aux origines de la lignée des imams.

Ceci explique pourquoi on remettait des passeports pour le paradis aux adolescents iraniens durant la guerre contre l’Irak. La révolution islamique a inondé le monde par le divin ; elle a ouvert l’histoire à l’immanence directe du divin par le biais de la violence révolutionnaire que rien ne peut plus amortir sauf à mettre fin au temps lui-même. La perspective de fin de l’histoire ne peut être que le fait d’un être qui assumerait toutes les violences. La violence révolutionnaire est, aussi, source d’attente, d’espoir et de désir de l’épiphanie de l’entité messianique qui viendrait ainsi rétablir l’ordre du monde après l’avoir purgé par la violence de tout ce qui le souille.

Quel que soit l’enseignement que les écoles tirent de l’événement « martyre », une chose semble être constante : il s’agit d’une eschatologie individuelle. Le croyant y rencontre l’Imam, le maître du temps, et cette rencontre déclenche la mort de l’ego et la renaissance du fidèle. La vision ou la rencontre de l’Imam (l’exotérique de Dieu), par le martyre, signifie ici la fin du temps de l’occultation en l’homme et coïncide avec sa naissance spirituelle.

Mais, à son tour, le martyr qui vient de renaître dans la matrice de Dieu, est non seulement « vu par Dieu » mais il « voit la communauté », les siens. On se trouverait donc aussi devant une sorte de chassé-croisé de regards entre l’ici-bas et l’au-delà, par martyr interposé. L’offrande de vie se fait ici projet prométhéen en même temps qu’elle constitue une profession de foi. Comme Prométhée, « le martyr est par essence un acteur politique, qui conteste l’ordre existant et affirme une double transcendance : celle de la loi divine et celle du lien communautaire que son sacrifice vient ériger en absolus » (L. Gayer). Comme Prométhée, le martyr-suicide est un triste héros de tragédie. « Sa dépouille vient témoigner de la brutalité de l’adversaire… et conforter le sentiment d’appartenance commune du groupe, sanctifié par ces morts glorieuses […] Ce supplicié est un artefact politique, une figure exemplaire de détermination stoïque et d’abnégation patriotique, qui ne se rue pas vers la mort mais qui s’y est seulement résigné, au nom des intérêts supérieurs de sa nation et/ou de sa religion » (L. Gayer). Hassan Nasrallah a donc déclaré qu’il dispose non seulement d’un arsenal impressionnant, mais également d’une réserve de ces tristes héros convaincus que leur décès au nom de Dieu les mènera directement au paradis.

Le programme politique d’une telle vision se trouverait le mieux formalisé dans la doctrine de la République islamique d’Iran. Dès 1977, Moayyed Chirazi mettait en garde ses coreligionnaires contre un gauchisme radical qui dénaturerait l’ouverture traditionnelle du chiisme duodécimain. Cet ultragauchisme aurait pour conséquence un retour au légalisme le plus rigide et à l’obéissance institutionnelle aveugle. Sur le plan politique, cette même ouverture se changerait en fermeture totale et en terreur violente. Hassan Nasrallah a clairement décrit, dans son dernier discours, un tel programme et c’est cela qui est inquiétant pour les Libanais, notamment les chiites d’entre eux.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

À la question palestinienne s’applique le qualificatif de « guerre infinie » ou de « paix impossible ». Cette affaire est malheureusement défigurée par des parasitages religieux opposés qui la déplacent du registre politique vers celui de la métaphysique. Si la raison d’être du politique est la résolution des conflits par le compromis honorable, il...

commentaires (1)

Hassouna que veut il , détruire le Liban est devenir une autre Gaza, n’importe quoi ..

Eleni Caridopoulou

22 h 03, le 08 novembre 2023

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Hassouna que veut il , détruire le Liban est devenir une autre Gaza, n’importe quoi ..

    Eleni Caridopoulou

    22 h 03, le 08 novembre 2023

Retour en haut