Ici comme ailleurs, on retenait son souffle hier en attendant qu’apparaisse la fatidique fumée révélant les intentions d’un Hezbollah qui, plus que jamais, se pose en maître de la décision libanaise de paix ou de guerre. Ni d’un blanc angélique ni d’un noir soutenu, c’est plutôt de subtiles nuances de gris que se seront finalement parées les volutes oratoires de Hassan Nasrallah : lesquelles avaient été précédées la veille, comme en guise de roulement de tambour entretenant le suspense, d’une nette escalade des hostilités à la frontière avec Israël.
C’est en terrain miné que s’avançait en fait le leader chiite, en s’exprimant pour la première fois depuis l’opération Déluge d’al-Aqsa du 7 octobre. Car pousser à l’extrême la solidarité avec le Hamas palestinien dans la bataille de Gaza, c’était paraître pousser à la roue de la guerre, œuvrer à provoquer inconsidérément la destruction quasi certaine d’un Liban déjà invalide ; nulle victoire divine du type de celle revendiquée en 2006 n’aurait pu suffire cette fois pour faire pardonner l’aventure. Exclure au contraire tout élargissement du conflit aurait équivalu pour la milice à dégonfler piteusement ses précédentes mises en garde, et même paraître rassurer les généraux de Tel-Aviv.
Sans manquer de souligner que toutes les options demeurent ouvertes, c’est donc une voie médiane que Nasrallah a choisi d’arpenter, du moins à ce stade. Il confère en effet à la frontière sud un statut de front de soutien : de théâtre d’une petite guerre que l’on veut croire contrôlée et qui n’est pas tout à fait, ou pas encore, la guerre. L’ennemi se voyant ainsi contraint de fixer sur place un bon tiers de sa machine de guerre, c’est autant d’épargné pour les défenseurs de Gaza, fait-il valoir. Reste néanmoins à savoir lequel, d’Israël ou de la milice, pourrait devancer l’autre en sifflant la fin du singulier et périlleux tango.
Spectaculaires sont par ailleurs les défis lancés à l’Amérique, à sa flotte et à son aviation, que recelait la harangue télévisée d’hier au cours de laquelle le chef du Hezbollah est même allé jusqu’à rappeler l’hécatombe de marines survenue il y a 40 ans à Beyrouth. Par-delà la virulence du ton pourtant, il a mobilisé toutes les ressources de son indéniable éloquence pour tenter de désamorcer les risques d’un conflit régional, voire mondial, en assurant qu’en attaquant Israël, le Hamas palestinien avait opéré en toute indépendance, sans entente préalable avec ses parrains et amis. À l’évidence, cette assertion a pour principal objet de dédouaner le parrain iranien ; mais elle vise aussi à dégager le Hezbollah lui-même (et avec lui les houthis du Yémen et les jihadistes irakiens) de toute responsabilité dans l’équipée du 7 octobre. Pour peu qu’un peu tout le monde accepte de se prêter au jeu sur le terrain diplomatique, ce non-lieu de groupe autodécerné pourrait effectivement contribuer à limiter le théâtre de l’actuel conflit. Et cela d’autant que Nasrallah s’est fixé pour objectif premier et immédiat l’arrêt des violences à Gaza : furtif appel du pied à l’administration Biden qui, sans parler de cessez-le-feu, a déjà bien du mal à faire accepter à Benjamin Netanyahu des pauses humanitaires.
Au final, ce sont deux soupirs, et non un seul, qu’auront poussés la plupart des Libanais suspendus aux lèvres de l’oracle du Hezbollah. Le premier était de soulagement, à l’idée que le spectre de la guerre a fait deux pas en arrière. D’immense chagrin était l’autre, au spectacle d’un État libanais qui, lui, a totalement déserté la scène.