Comment se taire sans être un démon muet, comment parler sans ajouter du bourdonnement au bourdonnement ? La guerre d’Israël, au départ déclarée contre le Hamas, est désormais dirigée contre le peuple palestinien. Israël ne se contente pas de pourchasser et liquider les chefs du Hamas. Israël veut vider Gaza, prendre Gaza à son peuple, en finir avec l’idée de la misère ordinaire de Gaza derrière ce mur mitoyen par ses soins érigé. Israël ordonne aux habitants de quitter le Nord et bombarde les convois de l’exode vers le Sud. Israël bombarde les hôpitaux et les refuges, coupe l’électricité, l’eau et les vivres pour pousser les gens à prendre cette route incertaine au bout de laquelle, parqués par centaines de milliers dans un espace exigu, Israël espère les pousser vers l’Égypte. « Qu’ils restent entre Arabes » est la sentence du moment. Le gouvernement d’Israël ne dit pas quelle espèce d’animaux sont pour lui les Palestiniens, mais il a l’air convaincu que c’est une espèce qui doit survivre dans le désert après avoir subi ses tortures et ses humiliations.
Se taire. Simplement relayer les images et les témoignages des rares reporters encore vivants et actifs à Gaza. Les seuls mots qu’il vaut la peine de lire et d’entendre sont les leurs, eux qui risquent leur vie pour la vérité. Et les comptes rendus des médecins qui enchaînent les nuits blanches, débordés, épuisés, sans moyens, vinaigre pour nettoyer les blessures, amputations sans anesthésie, détresse partout. On a vu des soignants assembler les crânes de nourrissons avant de les livrer à leur famille. Les images sont réelles, prises sur le vif, datées. Les témoins sont présents dans les scènes qu’ils montrent.
Il n’est pas question ici de soutenir le Hamas ou l’attaque du Hamas contre des civils désarmés. Comprendre la longue histoire qui a mené à cette horreur n’est pas la justifier. Mais Israël, chouchou des grandes puissances occidentales qui le comptent comme un des leurs dans le monde arabe, montre aujourd’hui le visage le plus hideux de l’humanité. Les colons profitent de ce que les regards sont fixés sur Gaza pour s’attaquer aux Palestiniens de Cisjordanie dont ils convoitent encore et encore les maisons et les terres. Le gouvernement laisse libre cours à leur haine, à leurs tortures, leurs assassinats de bergers et d’agriculteurs en pleine saison de cueillette. Il n’en est pas à cette cruauté près. Ces colons font passer Israël pour un État sauvage, aux mœurs primitives, dépourvu du moindre sens de la justice et du droit. Ce qu’il est, apparemment, derrière son aspiration à passer pour le seul pays démocratique du Moyen-Orient.
Depuis le 7 octobre, l’un des moments les plus vils de cette guerre a été celui où les délégués israéliens à l’ONU ont épinglé à leurs revers l’étoile jaune de sinistre mémoire. Rarement mauvaise foi aura atteint un tel sommet. Encore et encore, frotter le nez de l’Europe dans son incurable culpabilité, avec la Shoah dont les Palestiniens sont innocents, justifiant ainsi l’horreur qu’on leur fait subir ? Pourtant, les vrais descendants des victimes de l’Holocauste sont aujourd’hui les seuls à faire entendre la voix de la justice et de la paix. Pourtant, les Palestiniens ont été les seuls au monde à accueillir avec générosité et compassion les migrants juifs de l’Exode.
Mohammad Hadid, le père des mannequins Gigi et Bella Hadid, confie que moins de trois ans avant sa naissance, en 1948, à Safad où sa famille était implantée depuis des siècles, un bateau était arrivé de Pologne à Haïfa après avoir erré de port en port. Le bateau portait une banderole qui disait en substance : « Nous avons perdu nos maisons et tout espoir. Nous rendriez-vous confiance en l’humanité ? » Chaque famille palestinienne, raconte-t-il, a accueilli deux familles de migrants juifs durant toute cette période. Sa mère, partie accoucher à Nazareth, revient à la maison son nourrisson dans les bras et trouve sa porte verrouillée. Le partage de la Palestine est en cours et les « invités » ont expulsé leurs hôtes.
Si aujourd’hui la décence exige que la seule prise de parole soit en faveur des victimes innocentes de cette guerre et d’un arrêt immédiat des bombardements, certaines vérités sur Israël n’en doivent pas moins être dites et redites. Un jour quelqu’un devra demander pardon, et c’est celui que le monde occidental absout d’avance.
commentaires (19)
Merci pour vos éditos, ainsi que ceux de Gaby Nasr et d'Issa Goraieb. Vos analyses sont correctes, et hélas en raison de la proximité, fondées aux meilleures sources. Lorsque j'essaye d'exprimer dans un commentaire de lecteur de la presse suisse seulement le quart de ce que vous écrivez ici, je suis "modéré". C'est peut-être pour cette raison que, quoique le lisant fort peu, je soutiens avec plaisir "L'Orient-Le Jour". Encore merci.
Gaillard Jacques
12 h 49, le 04 novembre 2023