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Le temple de verre

Gaza et New York : deux scènes, deux théâtres, deux pistes sous des chapiteaux plantés aux antipodes l’un de l’autre et arborant pourtant un même thème à l’affiche : ici en effet les ressources infinies de la cruauté humaine, et là celles, non moins glaçantes, du cynisme des gouvernements.


Ce n’est pas pour dire qu’en ces jours d’apocalypse, on chôme au Palais de Verre des Nations unies. Mais si l’Assemblée générale a fini par adopter un texte non contraignant hélas, ce ne sont que vaines péroraisons au Conseil de sécurité, que stériles joutes oratoires. Que matches nuls entre projets de résolutions rivaux et n’ayant d’autre ambition pourtant qu’une humble, une miséricordieuse trêve humanitaire. Qu’infatigables brassages d’air, qu’intarissables flots de salive alors qu’à chaque heure du jour ou de la nuit, c’est par furieux torrents que coule, depuis trois semaines déjà, le sang de la population de Gaza.


Alors, au rancart cette ONU naguère qualifiée de machin par de Gaulle ? Bien sûr que non. Car de cette cacophonie de vociférations qu’il est convenu d’appeler le concert des nations se détachent, fort heureusement, les voix des gardiens du temple. Celle par exemple du chef de l’agence onusienne pour les réfugiés de Palestine (Unrwa), et donc la personne la mieux qualifiée au monde pour brosser un tableau aussi précis que terrifiant de la catastrophe sanitaire sans précédent qui menace maintenant, dans l’immédiat, l’infortunée population civile de Gaza ; aucun crime de guerre ne peut justifier les crimes actuellement perpétrés, souligne ainsi Philippe Lazzarini, et l’histoire nous jugera tous pour n’avoir pas mis fin à cet enfer sur terre.


On salue bien bas surtout le secrétaire général de l’ONU qui a eu l’immense courage de dire tout haut ce que pensent sans doute, en leur for intérieur, plus d’une de ces puissances qui ont proclamé leur soutien total à Israël. Car Antonio Guterres a rappelé que le sanglant séisme du 7 octobre n’est pas né du vide, ne procède pas de la génération spontanée, mais qu’il est l’inévitable résultante de décennies d’occupation, d’oppression et de colonisation. Les griefs des Palestiniens, a-t-il pris soin de souligner, ne peuvent justifier les actes effroyables commis par le Hamas ; mais, à leur tour, ces actes ne peuvent justifier la punition collective infligée au peuple palestinien. Il n’y a, dit-on, que la vérité qui blesse, d’où la réaction hystérique des Israéliens réclamant sur-le-champ la démission du secrétaire-général. À quand donc la classique, la rituelle, l’infamante accusation d’antisémitisme ?


Le fait est que Guterres a mis le doigt sur la plaie : celle ouverte le 7 octobre, et dont se plaint à tue-tête l’État hébreu ; celle surtout dont se prévaut abusivement celui-ci pour rendre le coup au centuple et parachever sa mainmise sur la Palestine. Même les alliés les plus proches d’Israël ont mis en garde contre le caractère outrageusement disproportionné de la riposte apportée à l’opération Déluge d’al-Aqsa, sans toutefois aller jusqu’à la désavouer clairement. Or, et pour coupable que soit une telle complaisance, le véritable problème n’est pas là. Il réside dans ce droit à la légitime défense dont les démocraties occidentales ne cessent de créditer Israël, et pour la consécration duquel l’Amérique a dû recourir au veto. Voilà pourtant un État qui a militairement conquis des territoires arabes. Qui en a annexé certains, qui en colonise méthodiquement d’autres dans le cadre d’une annexion rampante. Qui enfin soumet les populations occupées à une odieuse discrimination ethnico-raciale ayant toutes les caractéristiques de l’apartheid, comme consigné en toutes lettres dans le dernier en date des rapports émanant du Conseil onusien des droits de l’homme.


Oui, comment peut-on reconnaître une quelconque légitimité à ces brutales représailles auxquelles est invariablement acculée toute armée d’occupation ? Par quelle dérive de l’esprit concède-t-on à une puissance occupante – et de surcroît coupable de crimes de guerre – le même droit à la légitime défense qu’aux États respectueux des lois internationales ? S’obstiner dans cette monstrueuse aberration n’est-ce pas accorder en exclusivité à l’oppresseur la qualité de victime et faire de l’opprimé le seul méchant de l’histoire ?


Ce refrain de légitime défense n’est d’ailleurs pas le seul à mériter la poubelle. Il est en effet incroyable, honteux, révoltant, que gouvernements et médias de par le monde continuent le plus souvent de citer placidement, sans le moindre haut-le-corps, comme s’il s’agissait de banals faits accomplis, toutes ces colonies qui depuis 1967 champignonnent en Cisjordanie occupée. D’autant plus odieuse est cette banalisation de la dépossession qu’en ce premier quart du XXIe siècle, le temps est largement révolu où des pionniers pouvaient tranquillement s’établir en terrain décrété vierge ou alors peuplés d’indigènes perçus comme ramassis de sauvages.

Indissociable du martyre de Gaza, et des remugles de transfert de population qui s’en dégagent, est la conquête de l’Ouest version israélienne signée du psychopathe Netanyahu. Les grandes démocraties ne pourront pas prendre prétexte de la fumée du brasier pour prétendre qu’elles n’avaient vu rien venir.

Issa GORAIEB
 igor@lorientlejour.com

Gaza et New York : deux scènes, deux théâtres, deux pistes sous des chapiteaux plantés aux antipodes l’un de l’autre et arborant pourtant un même thème à l’affiche : ici en effet les ressources infinies de la cruauté humaine, et là celles, non moins glaçantes, du cynisme des gouvernements.Ce n’est pas pour dire qu’en ces jours d’apocalypse, on chôme au Palais de...