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Campus - TÉMOIGNAGES

À l’ombre de la guerre, le mal-être des jeunes Libanais

À l’heure où la guerre israélo-palestinienne et les affrontements au sud du pays font rage, les étudiants sont pris dans un tourbillon d’émotions, allant de la peur à l’anxiété, en passant par la torpeur, le dégoût et l’indignation. 

À l’ombre de la guerre, le mal-être des jeunes Libanais

Reine Ayoub. Photo DR

Un évènement et non pas des moindres est venu arracher ces jeunes à leurs soucis quotidiens : une guerre des plus injustes à quelques centaines de kilomètres, ainsi qu’un flou persistant quant à l’implication du Liban dans le conflit. Déstabilisés, les étudiants sont submergés par une multitude de sentiments qui affectent leur quotidien.

« J’essaie de sourire autant que possible pour ne pas inquiéter les gens à mon sujet, mais au fond, je suis confuse, perdue et effrayée », avoue Reine Ayoub, 19 ans, en 2e année de traduction à l’Université Saint-Joseph (USJ). Sa peur est alimentée par ses « pensées négatives » qui la hantent souvent. « Je m’imagine les pires scénarios possibles, ajoute-t-elle. La crainte de tout perdre m’envahit également. » La guerre de 2006, elle la connaît à travers ses parents. « Tout le monde craint que des événements similaires se reproduisent aujourd’hui. Le traumatisme générationnel est présent chez tous les Libanais, il s’est déclenché chez de nombreuses personnes aujourd’hui », poursuit Reine. Quant à Laila Kobal, 20 ans, étudiante de 3e année en marketing et en studio art à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), elle rappelle que « le spectre de la guerre » est récurrent dans toutes les conversations. « Y penser me fait vraiment peur, en raison des désastres qui ravagent le pays et qui entraînent la perte de vies innocentes », affirme-t-elle.

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L’éventualité de l’enlisement du Liban dans le conflit provoque chez Hestia Akiki, 20 ans, 3e année de licence en biochimie à l’USJ, des peurs qu’elle qualifie d’infondées. « Par exemple, si je pars quelque part, j’ai peur qu’un conflit éclate et que je n’arrive plus à rentrer chez moi », explique-t-elle. Déclenchée depuis le début de la crise au Liban, « mon anxiété s’est accentuée, en particulier avec la peur que le conflit s’élargisse dans toute la région », poursuit-elle, revivant des flash-backs de la guerre de 2006. De même, Ghiwa Tayar, 23 ans, master 2 en critique d’art et curatoriat à l’USJ, avoue que, depuis le 7 octobre, son anxiété « monte en flèche », nourrie par « le génocide en Palestine », « les tensions au Liban-Sud et l’incertitude par rapport à une éventuelle guerre dans tout le pays ». Pourtant, elle admet que son « anxiété n’est pas légitime par rapport à ce que les Palestiniens vivent à Gaza ».

Pour sa part, Amina*, 2e année de psychologie à l’AUB, qui a vécu la guerre en Syrie jusqu’à l’âge de 12 ans, avoue que ce sont ses traumas qui réveillent son anxiété, mais aussi les rumeurs sur la fermeture de l’université, ou sur le départ des étudiants internationaux. « J’essaie d’esquiver les conversations à propos de la guerre, car elles me démotivent et inhibent toute action que je souhaite entreprendre », observe l’étudiante syrienne de 19 ans qui confie que la foi l’aide à calmer ses angoisses. La peur de l’imprévisible, plusieurs l’ont exprimée, à l’instar de Reine Ayoub, qui se sent fragilisée par son impuissance « à empêcher l’imprévu de se produire », ou de Laila Kobal rendue anxieuse par les incertitudes liées à la crise actuelle, surtout « si la situation va empirer davantage ».

Daoud Andos. Photo DR

Dégoût et indignation

En parallèle, les étudiants interrogés se disent traversés par des sentiments de dégoût et d’indignation. Ghiwa Tayar s’en prend ainsi à « la communauté internationale, aux pays pro-

sionistes », ainsi qu’à des connaissances « qui ne sont pas en train de parler du génocide en Palestine ». Frappée par l’injustice, cette étudiante plonge dans le désespoir : « Je n’ai plus envie de vivre, ça sert à quoi de vivre dans un monde rempli de brutes, sans âme. Je ne souhaite pas me suicider, mais ça ne me dérangerait pas de mourir », confie-t-elle. Daoud Andos, master en critique d’art et curatoriat à l’USJ, ressent « de la rage envers les injustices à l’échelle mondiale, des injustices qui prétendent œuvrer au nom de l’humanitaire ».

Quant à Reine Ayoub, elle se sent dévastée par le nombre de personnes qui ont été tuées, qui ont perdu leur famille ou ont été séparées d’elles. « Mon esprit ne peut pas comprendre comment, de nos jours, des crimes de guerre sont toujours commis sans impunité aucune. J’entends mon cœur battre en confiant cela, car après la tragédie de l’hôpital bombardé, le monde doit reconnaître ce qui se passe et ne pas fermer les yeux sur cette injustice », s’indigne-t-elle. Pour Ghiwa Tayar, la raison est claire : « Le monde a perdu son humanité, et l’on nous demande de continuer notre vie comme si de rien n’était, même si le conflit n’a pas atteint encore tout le Liban. C’est impossible ! » Outrée elle aussi par le massacre en cours des civils palestiniens, Hestia Akiki se désole d’être « impuissante », tout comme Ghiwa qui ressent de la « paralysie », face à la situation. « Je me sens impuissante à aider les personnes qui passent par ce que j’ai dû endurer, petite », confie quant à elle Amina, en se remémorant ses souvenirs. « Je culpabilise de pouvoir me réveiller chaque matin et continuer ma vie », ajoute la jeune étudiante syrienne. Ce même sentiment, d’autres jeunes l’ont exprimé aussi. « Alors que j’ai accès à mes besoins élémentaires, il y a des gens à des centaines de kilomètres de chez moi qui n’ont même pas leurs droits humains basiques », regrette Ghiwa Tayar. Ali el-Hajj Moussa, en première année de design graphique à l’AUB, évoque lui aussi la culpabilité du survivant : « Je me sens mal à l’aise quand je me rends compte que je suis privilégié et que j’arrive à profiter de la vie. » Cet étudiant de 18 ans avoue être « habitué aux crises, au point d’y être devenu presque insensible », tout en réalisant que « ces situations ne sont ni normales ni censées être fréquentes dans nos vies ».

Laila Kobal. Photo Yara Kobal

Une routine au goût amer

Préoccupé par la situation à longueur de journée, Ali el-Hajj Moussa ne peut s’empêcher de plonger dans « un sentiment de déprime et de démotivation ». Il faut dire que ce tourbillon de sentiments affecte le bien-être, l’enthousiasme, le comportement et la routine des étudiants. Reine Ayoub avoue ainsi être « constamment tendue et fréquemment distraite pendant les conversations », pensant à la guerre en cours. En état d’alerte permanent, elle a même préparé un sac d’urgence. « Je garde tous mes papiers sur moi, au cas où quelque chose devait arriver ». Le manque de sommeil et la fatigue, la plupart des jeunes interrogés en pâtissent, comme Reine, qui se sent « continuellement épuisée » et se réveille « en pleine nuit pour vérifier les actualités », ainsi que Laila qui s’efforce « de maintenir un sommeil régulier », malgré « des nuits passées à trop réfléchir ». Amina, elle, confie qu’à son réveil, son « corps est tout crispé », et que les heures de sommeil réduites « se répercutent sur la qualité de ses études ».

Les étudiants ont avoué, en outre, manger mal, voire ne plus avoir d’appétit. « Les images persistantes, dans mon esprit, de personnes souffrant de la faim, du manque d’eau ou de soins médicaux m’empêchent même de manger. Je suis quelqu’un qui comprend la valeur de la vie, je suis reconnaissante, mais je ne peux pas vivre normalement en sachant que je suis impuissante face à l’injustice, à l’inhumanité et aux criminels », indique encore Reine Ayoub. Daoud Andos, quant à lui, confie que son « appétit diminue » et que sa « consommation de tabac a augmenté ». À la lumière de cette situation, les jeunes éprouvent du mal à se concentrer. Daoud reste « le nez collé sur son téléphone, submergé par un flux constant d’informations » ; le manque de concentration se répercute sur les études de Reine ; tandis que Ghiwa oublie ses « affaires à droite, à gauche ». Démotivés, ces étudiants voient leur routine chamboulée. « L’incertitude quant à mon avenir réduit mon enthousiasme et m’empêche de bien fonctionner au quotidien. Je me réveille sans motivation aucune, en pensant à toutes ces personnes qui meurent », se désole Amina, incapable d’accomplir ses tâches, même quand elle s’y résout. « C’est hors de mon contrôle. Je prends mon téléphone, j’ouvre Instagram pour vérifier les infos et j’y plonge ! Je n’arrête que vers 3h du matin pour alors m’endormir », ajoute-t-elle. Ali dit se retrouver dans « un état d’improductivité », tout en se souciant des responsabilités qui lui incombent. Subissant des attaques de panique, Hestia éprouve une « difficulté grandissante à effectuer les tâches quotidiennes », malgré ses efforts de se concentrer sur ses projets. « Je m’impose des charges afin d’oublier, pour ne pas craquer et penser au pire », assure-t-elle.

Les attaques de panique quotidiennes de Ghiwa l’empêchent de manger et de dormir, et lui causent souvent des nausées et des vomissements. « Je suis en train de prendre une double dose de magnésium pour me calmer mais ça ne fonctionne pas, ça ne m’aide à dormir que quelques heures. Mes nuits sont interrompues par des réveils fréquents. Et que je me réveille à 3h ou à 7h, je regarde les notifications sur mon téléphone », raconte Ghiwa qui, détachée de son propre monde, préfère s’isoler. « Il y a des amis qui me parlent, mais je n’ai pas la tête à leur répondre. Je vais moins en cours, je sors moins de chez moi, je suis collée sans arrêt à l’écran de mon téléphone », confie-t-elle.

Hestia Akiki. Photo Tony Akiki

Et si demain n’existait pas...

Éprouvant ces sentiments déstabilisants, ces jeunes n’osent pas se projeter dans l’avenir, craignant les possibles répercussions du conflit si le Liban s’y retrouvait embarqué. S’il s’agit, a minima, de voir leurs études universitaires interrompues, c’est surtout la question de leur sécurité et de celle de leurs proches qui les inquiètent. Reine se dit profondément préoccupée par son avenir, voire se demande si elle en aura un au Liban. Elle pense ainsi à ses parents, issus de la génération qui a survécu à la guerre. « Ma mère sait ce que c’est et comment cela peut influencer une personne, surtout mentalement. Cela laisse une cicatrice qui ne s’effacera jamais. Verrai-je le futur ? C’est la question qui me hante le plus », redoute Reine.

Amina, elle aussi, appréhende l’avenir. « En cas de guerre au Liban, je vais devoir de nouveau partir, pour aller où ? J’ai surtout peur de devoir revivre ce que j’ai vécu en Syrie », lance-t-elle. Après avoir travaillé à l’étranger et entamé un master au Liban lui permettant de s’engager dans le développement de la vie culturelle et artistique du Liban, Daoud Andos, architecte de 31 ans, se « sent pris dans un dilemme », s’inquiète quant à son avenir et remet en question sa décision de rentrer, il y a quelques années, au pays. Malgré leurs appréhensions, certains de ces jeunes tentent encore de positiver et de rester focalisés sur l’essentiel. Ainsi, pour Ghiwa, en cas de guerre, et sans aucune hésitation, elle se porterait « volontaire auprès d’une ONG pour aider la population touchée ». Pour sa part, Laila affirme qu’elle s’efforcera « d’être déterminée à réaliser (ses) rêves, espérant que tout finira par bien se passer ». Daoud ne pense pas à l’éventualité d’une guerre israélo-libanaise. « Cependant, ce qui me préoccupe davantage, c’est la division au sein de la population libanaise face au conflit à Gaza. Mon vœu le plus cher est que mon pays ne soit pas entraîné dans la guerre ou dans un conflit interne », admet-il.

* L’étudiante n’a pas voulu révéler son nom complet pour préserver son anonymat.



Un évènement et non pas des moindres est venu arracher ces jeunes à leurs soucis quotidiens : une guerre des plus injustes à quelques centaines de kilomètres, ainsi qu’un flou persistant quant à l’implication du Liban dans le conflit. Déstabilisés, les étudiants sont submergés par une multitude de sentiments qui affectent leur quotidien. « J’essaie de sourire autant que...

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Cette nouvelle génération de Libanais a poussé dans le ventre de leurs mères malheureusement sans avoir reçu le gène du courage. Quelle déception ! Nos pères et nos mères ne se posaient pas tant de questions et ne se donnaient pas le choix de leur pays d'appartenance, et encore moins celui de leur patrie. Nous avons engendré une génération de lâches qui n'ont qu'une seule vocation : s'assimiler aux sociétés des nations étrangères.

K1000

08 h 45, le 26 octobre 2023

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  • Cette nouvelle génération de Libanais a poussé dans le ventre de leurs mères malheureusement sans avoir reçu le gène du courage. Quelle déception ! Nos pères et nos mères ne se posaient pas tant de questions et ne se donnaient pas le choix de leur pays d'appartenance, et encore moins celui de leur patrie. Nous avons engendré une génération de lâches qui n'ont qu'une seule vocation : s'assimiler aux sociétés des nations étrangères.

    K1000

    08 h 45, le 26 octobre 2023

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