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Nos Lecteurs ont la Parole

Une guerre de plus... une raison de moins !

Une guerre de plus... une raison de moins !

Carl von Clausewitz : « Les guerres ne sont rien d’autre que l’expression de la politique… » Photo Said Khatib/AFP

Aristote nous rappelle la dure réalité concernant la guerre en disant : « Si vis pacem, para bellum » (si tu veux la paix, prépare la guerre). Mais que savons-nous de cet art qu’est la guerre, capable de métamorphoser la vie en cadavres et de canaliser le sang des vaisseaux vers des ruisseaux ? Selon le stratège militaire chinois du sixième siècle Sun Tzu, la guerre oppose deux ennemis qui ne se connaissent pas suffisamment afin de mieux comprendre leurs capacités respectives. Il affirme : « Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux. » Bien que cette pensée ait été valable à son époque, elle perd de sa validité à l’ère de la mondialisation et des droits de l’homme, où l’accès à l’information ne requiert plus autant de morts et de destruction. Plus tard, La Fontaine nous démontre dans ses fables que « la raison du plus fort est toujours la meilleure », mettant en lumière l’absurdité de la guerre lorsque le dialogue est possible. Pour le général de guerre Carl von Clausewitz, l’un des plus éminents penseurs sur la nature de la guerre, « les guerres ne sont rien d’autre que l’expression de la politique… La subordination du point de vue politique au point de vue militaire serait une absurdité, car c’est la politique qui a créé la guerre. Elle est l’intelligence, la guerre n’est que l’instrument, et non l’inverse ». Cependant, Clausewitz reconnaît aussi que « si la guerre n’était qu’une lutte à mort inspirée par l’hostilité, il serait concevable que la politique disparaisse totalement au profit du militaire ». Dans son ouvrage se rapportant à une dystopie intitulée 1984, George Orwell décrit, suite à la Première Guerre mondiale, la devise du parti au pouvoir avec l’absurdité suivante : « La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force. » Orwell suggère que les super-États utilisent des slogans ambivalents pour créer des conflits en dehors de leurs territoires respectifs, distrayant ainsi leurs peuples des véritables problèmes vécus au sein de leur régime. Dans ces réflexions de Tzu, La Fontaine, Orwell et Clausewitz, la guerre peut porter un sens classique de nécessité de vaincre qui peut se détourner vers un moyen de démontrer sa puissance, d’imposer sa propre raison, ne serait-ce que sa raison d’être.

Une fois de plus se déclare la guerre et éclate le conflit inhumain entre le Hamas, porteur des aspirations d’une grande partie des peuples arabes, et le gouvernement israélien, représentant la volonté de nombreux pays occidentaux. S’agit-il encore d’une déclaration de guerre visant à atteindre la paix ? Mais comme dans toute déclaration de guerre, il est essentiel de comprendre les causes, les moyens et les objectifs tout en anticipant les conséquences. C’est à partir de ces éléments qu’entre en jeu le raisonnement permettant de déterminer s’il s’agit d’une guerre pour la guerre ou d’une guerre pour la paix.

Les causes de ce conflit reposent sur des revendications qui ne trouvent aucune légitimité logique dans les récits religieux des deux camps. Les Israéliens réclament leur droit de vivre sur la terre promise aux juifs, tandis que les Arabes défendent leur droit de prier à la mosquée al-Aqsa et de préserver leur territoire historiquement arabe. Pourtant, Dieu est le même pour les deux peuples, et s’il les a destinés à vivre et prier ensemble sur cette terre, ce n’était certainement pas pour les voir s’entretuer. Dans cette optique, l’idée selon laquelle l’identité d’une terre dépend de la religion du peuple qui l’occupe paraît absurde, tout comme l’adage superficiel « Qui va à la chasse perd sa place », qui peut être interprété de multiples façons. Cela d’autant plus que si la place était réellement sacrée, on n’aurait jamais été contraint d’aller à la chasse ! Parmi d’autres raisons, on peut évoquer la tendance humaine à la discrimination, à l’appropriation des ressources, voire au besoin de tuer pour affirmer une supériorité ! Ainsi, aucune de ces raisons ne résiste à l’examen, car cette violence, qui se contente de ravager des villages, de détruire des maisons et de déchirer des familles, ne peut être justifiée par aucune logique fondamentale autre que celle qu’imposera le plus fort.

Les moyens employés dans cette guerre sont d’une brutalité sans égale. En plus des armes de destruction massive, de l’utilisation de l’imprévisibilité comme arme psychologique dévastatrice et de l’absence de distinction entre combattants et civils, les méthodes utilisées dépassent les techniques classiques en termes de férocité. Ces méthodes ne laissant aucune chance à un être vivant d’échapper à leur appât finiront par anéantir toute possibilité d’acceptation et de pardon chez les deux peuples, des concepts cruciaux pour l’avènement d’une paix future.

En ce qui concerne les objectifs, c’est un véritable chaos, sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Certains prétendent vouloir conquérir la Palestine et en purifier les Israéliens. D’autres aspirent à confiner davantage les Arabes à Gaza et en Cisjordanie. Certains rêvent de reprendre le contrôle des territoires de 1948, tandis qu’un autre groupe ambitionne d’agrandir Israël et de récupérer toute la Terre promise en chassant plus de Palestiniens en dehors de leur pays. Et dans tout ce bazar, des pays dotés d’une pseudostratégie alimentent le conflit en offrant de l’aide matérielle et psychologique. En somme, des groupes d’êtres humains veulent réduire au silence d’autres groupes d’êtres humains, mais ils ne savent pas comment s’y prendre, proposant de les tuer, les é liminer, les anéantir, les massacrer, les opprimer, les terroriser, les abattre, voire les expulser.

En ce qui concerne les conséquences, je vais passer sur les dégâts matériels, car ce n’est pas là l’essence de cette réflexion sur le sens de cette guerre. Plus particulièrement lorsqu’on prétend faire la guerre pour obtenir la paix, car dans la paix réside une liberté, une fierté et une vie en dignité bien plus précieuses que n’importe quelle perte matérielle. Cependant, les vraies conséquences de cette guerre se situent au niveau des dommages psychologiques et intellectuels qu’elle infligera à l’échelle collective. Dans ce contexte, pouvons-nous accepter qu’après des années de négociation, nous en arrivions à recourir à la force pour résoudre ce conflit ? Peut-on accepter qu’après des décennies d’existence des Nations unies, nous ne parvenions toujours pas à trouver une solution juste et équitable à ce différend entre deux peuples ? Peut-on accepter qu’en dépit de tous les congrès organisés, de toutes les personnalités qui se sont efforcées pour la paix, de tous les écrits élaborant des idées pour résoudre ce conflit entre Arabes et Israéliens, aucune solution n’ait pu répondre aux besoins des deux peuples ? C’est dans cette atmosphère de questionnement légitime que je crains que la plus grande conséquence de cette guerre soit la perte d’espoir de recourir un jour à la politique et donc à la raison commune pour résoudre nos conflits futurs. Il y a certainement plein de biais dans nos systèmes de communication aboutissant à leur défaillance actuelle sous la forme d’une guerre qui n’aboutira qu’à la seule résolution qui est celle d’annuler l’autre pour vivre en paix !

Au XVIIIe siècle, Emmanuel Kant avait opposé le principe de la paix transitoire, symbolisant une simple cessation des hostilités, au principe de la paix perpétuelle, représentant la démocratisation des peuples et instaurant un « état de nature » paisible entre nations démocratiques. C’est en adhérant à cette théorie que l’humanité avait cru que la démocratie apaiserait les feux de la guerre avant même qu’elle n’éclate. En philosophie mathématique, l’optimisation, stratégie adoptée par la nature – à la différence de la maximalisation et de la minimalisation qui sont les stratégies des extrémistes –, vise à trouver les solutions les plus efficaces et les moins coûteuses aux situations conflictuelles. Ainsi, l’optimisation en tant que solution d’un conflit entre les Israéliens et les Arabes requiert une démocratie bilatérale. Dans cette perspective, il est important que les Arabes et les Israéliens se reconnaissent en tant qu’êtres humains et trouvent une raison mutuelle de leur existence en dehors des motifs des autres super-États et en adoptant des moyens de résolution des conflits en relation avec ce que désirent les deux peuples en quête naturelle à la survie. Cette théorie cherchera vainement à voir le jour au Moyen-Orient sans la mise en œuvre effective de véritables démocraties. Le printemps arabe, autrefois porteur d’espoir pour la démocratisation de la région, se trouve aujourd’hui dans l’impasse. Même en Israël, formé d’un peuple relativement homogène sur le plan démographique, les élections se sont multipliées ces trois dernières années, plus fréquemment qu’en une décennie, témoignant d’une démocratie en détresse. Le semblant de dialogue entre ces démocraties forcées, inspirées d’autres démocraties déformées, mène aujourd’hui à cette guerre déchirante. Celui qui reste indifférent face aux tragédies qui se jouent à Gaza et qui pourraient s’étendre à d’autres pays du Moyen-Orient ignore que la démocratie, la politique et les solutions raisonnables sont en déclin dans un monde qui lutte contre la barbarie et l’obscurantisme dans les relations entre les humains. Les multiples échecs successifs de la guerre comme moyen de parvenir à la paix et de la politique comme arme intellectuelle et prioritaire ne font de cette guerre qu’un moyen de satisfaire la soif insatiable de violence. Une régression alarmante pour l’ensemble de l’humanité se dessine dans cette évolution. Pour progresser, il est impératif de restaurer l’essence authentique de la démocratie en la fondant véritablement sur le pouvoir du peuple, modéré de nature, qui mérite de régner en maître sur sa nation. Il est désormais primordial de déplacer notre réflexion, passant de la quête d’une réponse au conflit arabo-israélien vers une question plus essentielle et pertinente : comment opérer, particulièrement au Moyen-Orient, la transition d’une gouvernance pseudothéocratique, pseudo-autocratique ou pseudototalitaire vers une gouvernance authentiquement démocratique, sans recourir à la violence ? C’est dans la réponse à cette question que se révélera tout le potentiel du raisonnement humain.

Chef de service de psychiatrie à l’Hôtel-Dieu de France

Professeur associé à la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph

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Aristote nous rappelle la dure réalité concernant la guerre en disant : « Si vis pacem, para bellum » (si tu veux la paix, prépare la guerre). Mais que savons-nous de cet art qu’est la guerre, capable de métamorphoser la vie en cadavres et de canaliser le sang des vaisseaux vers des ruisseaux ? Selon le stratège militaire chinois du sixième siècle Sun Tzu, la...
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Aristore parlait le grec et non le latin. Et ce n'est pas Aristote qui a sorti cette merveille.

M.J. Kojack

18 h 33, le 19 octobre 2023

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Commentaires (1)

  • Aristore parlait le grec et non le latin. Et ce n'est pas Aristote qui a sorti cette merveille.

    M.J. Kojack

    18 h 33, le 19 octobre 2023

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