Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Quelle éducation intégrale... libanaise ?

Le « Cadre général de l’enseignement préuniversitaire », élaboré par le CRDP-ministère de l’Éducation nationale et proclamé au Grand Sérail gouvernemental le 15/12/2022, sera suivi d’une entreprise nationale d’application. L’opération doit être engagée avec le dynamisme qui avait caractérisé le Plan de renouveau pédagogique (1996-2002) sous la direction du Pr Mounir Abou Asly, plan expressément mentionné dans l’accord de Taëf de 1989. Le renouveau pédagogique d’autrefois avait été ensuite bureaucratisé puis saboté par les pouvoirs d’occupation et des alliés internes.

Quand le secrétariat général des écoles catholiques au Liban, sous la direction du père Youssef Nasr, réfléchit avec d’éminents éducateurs, dans le cadre de son 29e colloque sur « l’Éducation intégrale : un pouvoir transformateur de la société » (5-6/9/2023), il engage une dynamique pédagogique dans un Liban déboussolé, surtout depuis 2016, quant aux valeurs fondatrices du Liban.

***

L’école et l’université sont-elles aujourd’hui exclusivement des pôles de transmission du savoir ? Elles sont chargées à l’avenir d’humaniser le savoir. L’éducation intégrale implique d’envisager surtout le rapport au savoir. L’humanité a passé au cours de son histoire par trois grandes phases.

Dans la première phase, depuis les origines jusqu’aux découvertes atomiques, domine la perception que le savoir est utile. À la deuxième phase, depuis les inventions atomiques, c’est la perception que le savoir peut être utile ou nuisible. Dans la troisième phase actuelle, depuis surtout les recherches génétiques, domine la crainte d’un savoir destructeur de l’humanité, de la planète Terre et même des acquis de la civilisation ! Jacques Testard, grand savant biologique, écrit dans L’œuf transparent : « J’arrête mes recherches ! » (Flammarion, 1999).

Un problème central de l’éducation d’aujourd’hui réside non pas exclusivement dans la mode de « l’approche par compétence », mais dans des questions qui exigent des réponses nouvelles à des questions anciennes. Quel savoir ? Quelle transmission qui développe l’esprit scientifique face à la tyrannie de l’opinion et à la manipulation ?

Quelle finalité ? Quel humanisme face au risque de domination technologique ?

Face à la tyrannie de l’opinion, la démagogie dans la vie publique, l’exploitation des religions en tant qu’idéologies de mobilisation, l’extension de guerres par procuration dans des États fragiles ou fragilisés…, il y a véritablement aujourd’hui une « crise de l’éducation », comme le rapportait autrefois Hannah Arendt (1958, Folio, 1991), et l’exigence d’un être augmenté sans aucun endoctrinement, mais en application de la pensée de Bergson : « Dans un monde surdéveloppé, l’homme a besoin d’un supplément d’âme. »

Le problème de l’éducation intégrale se pose donc de façon plus spécifique au Liban, qu’on qualifie de « message », société une et plurielle, dans un environnement hostile ou en transition démocratique, Liban à vocation culturelle régionale et mondiale. Quelle éducation intégrale au Liban et pour les Libanais tels qu’ils sont ?

***

Quelles applications pédagogiques en faveur de l’éducation intégrale, telle que développée en profondeur par la Commission épiscopale des écoles catholiques au cours de son 29e colloque international ? Il s’agit de la production par des enseignants d’expériences pédagogiques normatives à diffuser en tant que bonnes pratiques.

Il s’agit notamment de cinq perspectives d’application.

1. Savoir pour servir : la finalité du savoir n’est pas domination, ni accumulation d’une richesse personnelle ni exclusivement la promotion personnelle, mais le service, le progrès humain, l’engagement et le changement social.

2. Sens et spiritualité : l’avertissement de Rabelais au XVIe siècle, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », est d’une profonde actualité dans un monde assoiffé de sens. Il s’agit de mettre en application les récentes déclarations sur la foi et la fraternité humaine. L’association Gladic vient de publier un guide pédagogique (al-Imân wal-ukhuwa al-insâniyya : dalil tarbaoui, Gladic-USJ, 2023, 104 p.). Dire, avec souvent bonne foi et pour contrer dogmatisme et fanatisme, que la formation spirituelle relève des paroisses et des mosquées, c’est évacuer le sens de l’existence humaine. Une éducation qui évacue la religion, la foi, la spiritualité, le sens… de la vie, à l’instar d’une mentalité française de la laïcité, produit un vide valoriel chez des jeunes qui sont ensuite récupérés, sans immunité, par des courants populistes et intégristes. L’ancien ministre français de l’Éducation François Bayrou écrivait Le droit au sens (Flammarion, 1996).

3. Esprit scientifique : qu’est-ce que l’esprit scientifique ? Qu’est-ce que le réel, les faits ?

Qu’est-ce que la vérité à l’ère de ce qu’on appelle postvérité ?

Les personnes dupées, manipulées, engagées dans des courants démagogiques sont aujourd’hui des diplômés en sciences de la nature et en sciences dites humaines !

4. Mémoire et patrimoine : à défaut de transmission de la mémoire épurée du passé et des valeurs fondatrices du Liban, c’est la mécanique de répétition qui prédomine.

5. État et citoyenneté : à l’encontre d’une propension à soulever globalement le problème de la citoyenneté au Liban sans en déterminer les composantes et les exigences dans le cas spécifique libanais, il s’agit de promouvoir une citoyenneté transcommunautaire, celle de l’État et du public.

Antoine MESSARRA

Chaire Unesco-USJ

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Le « Cadre général de l’enseignement préuniversitaire », élaboré par le CRDP-ministère de l’Éducation nationale et proclamé au Grand Sérail gouvernemental le 15/12/2022, sera suivi d’une entreprise nationale d’application. L’opération doit être engagée avec le dynamisme qui avait caractérisé le Plan de renouveau pédagogique (1996-2002) sous la...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut