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Lifestyle - Histoites de thérapies

Zahi, ou l’analyste devant l’impossible : l’euthanasie (1/3)

Le moment est sacré, intime, personnel. Un face-à-face entre le psychanalyste et son patient qui se fait dans la colère, les larmes, les fous rires et les silences. Dans cette rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière avec des interlocuteurs qui resteront anonymes.

Zahi, ou l’analyste devant l’impossible : l’euthanasie (1/3)

Illustration Noémie Honein.

Il y a une vingtaine d’années, j’ai participé à une émission télévisée sur l’euthanasie. Étaient également présents un médecin, un curé, un cheikh, une psychologue et une mère de famille. Pour conclure l’émission, le présentateur s’adresse à moi en dernier et me demande si je suis pour ou contre l’euthanasie. Mal à l’aise, je réponds que, comme médecin, je suis tenu par la position de l’ordre des médecins qui est contre. Mais comme être humain, je suis pour.

Le lendemain de l’émission, je reçois une étrange demande. Un homme, cousin d’un malade, me demande si je peux lui rendre une visite à domicile parce qu’il ne peut pas se déplacer lui-même. Zahi* souffre d’une sclérose amyotrophique latérale qui l’oblige à rester couché, ses muscles ne répondant plus à sa volonté.

Accompagné du cousin, je me rends chez Zahi. Au premier coup d’œil, je suis surpris par son amaigrissement extrême. Mais un regard d’une très grande vivacité éclairait son visage. Je me présente et constate des mouvements rapides des paupières. En même temps, sur l’écran de l’ordinateur en face de lui, s’écrivent quelques mots : « Bonjour et merci, Dr Azouri. » Relié à ses paupières, le clavier enregistrait les mouvements des paupières qui, en bougeant, commandent les lettres et les mots qu’il souhaite écrire. « Comment puis-je vous aider ? » dis-je.

Sur l’écran de l’ordinateur, s’inscrivent les mots suivants : « M’aider à mourir. » Puis il ajoute : « Euthanasie. » Devant mon silence incrédule, il écrit : « Je vous ai vu hier à la télé, vous avez dit que, comme être humain, vous étiez pour l’euthanasie. »

Je me défends en disant : « Oui, mais je suis aussi médecin. ». Il écrit sur l’écran : « OK, mais un médecin doit soulager les peines de son patient. » « Pas au point de le tuer », lui dis-je. « Mais l’avenir de ce patient est horrible, imaginez ce que je serais quand mes paupières se fermeront », me répond-il.

J’avoue que j’étais sans réponse et mon malaise augmentait. En effet, comme dans un conte de Poe, il sera emmuré dans son propre corps. C’est l’horreur. J’étais dans l’impuissance totale. Je ne savais plus que dire. Réalisant l’état dans lequel j’étais, il me laisse du temps et écrit : « Comment pouvez-vous m’aider autrement ? »

La sclérose amyotrophique latérale est sans traitement et son pronostic est mauvais. Au bout de la maladie, c’est la mort, et dans des souffrances psychiques intolérables. Je reconnais l’authenticité de sa demande, mais qu’y puis-je ?

« Vous comprenez, docteur, je suis à la merci de tout le monde. Les employées de maison qui s’occupent de moi me taquinent tout le temps. Elles ne le font pas méchamment, ça nous amuse plutôt. Mais je ne peux plus supporter cette passivité dans laquelle je suis. »

« En vous tuant, vous redevenez actif et vous reprenez les choses en main ? » « Oui, c’est ça, je redeviens un sujet au sens plein du terme et je retrouve ma dignité. » L’analyste en moi ne peut que reconnaître l’importance de redevenir sujet, la pratique de l’analyse n’a pas un autre but. Mais les patients en analyse ne demandent jamais cela à leur analyste. Le fait de parler de mort, de dire leur désir de mourir, doit être entendu par l’analyste. Mais son silence bienveillant ne peut-il être pris pour un signe de complicité ?

À la fin de notre entretien, on décide de se revoir.

*Le prénom a été modifié.

Il y a une vingtaine d’années, j’ai participé à une émission télévisée sur l’euthanasie. Étaient également présents un médecin, un curé, un cheikh, une psychologue et une mère de famille. Pour conclure l’émission, le présentateur s’adresse à moi en dernier et me demande si je suis pour ou contre l’euthanasie. Mal à l’aise, je réponds que, comme médecin, je suis...

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