Ce lundi 9 octobre, Maha Mohammad Ali a réveillé ses deux enfants à l’aube. Son fils aîné Amir, 12 ans, a pesté de devoir se lever si tôt pour la rentrée scolaire. « Nous sommes partis à pied à 6h30 de Dekouané pour arriver à l’école publique de Bourj Hammoud à 7h30 », raconte Maha, jeune mère libanaise de 28 ans, dans un couloir de l’établissement, plutôt calme pour un premier jour de classe. Pourquoi un tel périple ? « Il n’y a pas de bus scolaire et je n’ai pas d’argent pour payer des « taxis-services » chaque matin », concède-t-elle, ajoutant à cela l’absence d’école publique dans son quartier. Car, comme un grand nombre de parents, Maha et son époux Mohammad, agriculteur, n’ont pas les moyens de scolariser leurs enfants ailleurs : « Tous les parents veulent le meilleur pour leurs enfants, mais le maigre salaire de mon mari est loin de pouvoir couvrir une école privée. Reste à espérer que cette année, il y aura moins de grèves d’enseignants que l’an dernier », dit-elle en tapotant sur son téléphone.
L’espoir d’une année scolaire sans trop d’encombres, Roula Eid el-Khoury, directrice de l’école publique de Bourj Hammoud, section française, depuis 2019, s’y accroche autant que les parents d’élèves : « Nous n’avons que l’espoir pour tenir. Car la situation ne peut pas perdurer comme ça, n'est-ce pas ? » feint-elle d’interroger. L’an dernier, le mouvement de grève des enseignants du public a sacrifié trois mois de cursus scolaire, ce qui a refroidi les parents d’élèves, admet la directrice : « Ils avaient peur que l’école ne commence pas et craignent désormais que les professeurs se mettent de nouveau en grève. » Puis elle ajoute : « Ceux qui n’ont pas les moyens de payer une école privée s’en remettent à Dieu en espérant que cette année, ça ira mieux. »
Si les élèves du privé sont déjà plongés dans leurs livres depuis deux semaines, ceux du public ont vu leur rentrée repoussée du 25 septembre au 9 octobre, le temps pour les syndicats des enseignants du public d’obtenir un accord de principe avec le ministère de l’Éducation. « Nous avons reçu la promesse de recevoir des primes de 300 dollars payées par la Banque mondiale, en complément de notre modique salaire de 25 dollars, et de primes de déplacement de 450 000 livres libanaises (5 dollars, NDRL) par jour », chiffre la directrice. Et de prévenir : « Dès la fin du mois, si cette promesse n’est pas tenue, nul doute que le corps enseignant redémarrera la grève. »
Pas de livres scolaires
Pour un jour de rentrée, son établissement ne fourmille pas d’élèves, et certaines salles de classe demeurent vides : « Nous accueillons 140 élèves libanais aux cours du matin, du GS3 (préscolaire, NDLR) au niveau EB8, et 325 Syriens l’après-midi, avec 17 enseignants, dit celle qui a démarré comme professeure de musique dans cette même école en 2000. À l’époque, il y avait 330 élèves libanais et 72 enseignants. » Et d’énumérer les raisons de la dégringolade : pendant les premières années du conflit syrien, les élèves syriens et libanais partageaient la même classe le matin, ce qui a poussé de nombreux parents libanais à retirer leurs enfants du public. Puis, durant la pandémie de Covid-19, les élèves ont beaucoup régressé, « certains parents d’élèves n’ayant pas internet, voire pas d’électricité, pour suivre les cours en ligne », ressasse la directrice. Depuis deux ans, elle tente tant bien que mal de redresser la barre, mais les obstacles demeurent nombreux.
Dans le couloir accolé à son bureau, elle pointe du doigt une pile de livres scolaires des années précédentes. « Pendant deux jours, nous avons imprimé des pages des livres des années passées, car cette année, les livres scolaires ne sont pas arrivés », se plaint-elle. La raison ? « Le Centre de recherche et de développement pédagogiques ne peut faire d’appel d’offres qu’en livres libanaises et aucune entreprise n’accepte d’être payée en monnaie locale pour imprimer les livres », dit-elle. Les enfants ont néanmoins démarré les exercices de cette année à partir de photocopies.
Une situation loin d’être idéale. Mais beaucoup de parents d’élèves s’en accommodent, faute de mieux. Aux côtés de Maha, son amie Afrah el-Saleh se démène pour que son fils Ryan, 4 ans, cesse de pleurer et reste dans sa classe. « C’est son premier jour, le pauvre », dit-elle en se cachant derrière un mur, d’où les pleurs de son enfant lui brisent le cœur. Mais il pourra compter sur la présence de sa grande sœur à l’étage au-dessus : « Il y a deux ans, nous l’avons envoyée dans le privé, mais nous avons fini par payer 1 500 dollars au lieu des 700 dollars annoncés. Avec l’inflation, si nous payons cette somme, nous n’aurons plus à manger. Alors, je l’ai réinscrite à l’école publique », conclut-elle.