Le 28 septembre dernier, le régime de Bakou instaurait sa souveraineté sur l’enclave située sur son territoire, clôturant un chapitre de l’histoire arménienne en Haut-Karabakh. Appelée aussi Artsakh, l’ancienne petite république séparatiste comporte de nombreux sites historiques d'importance, comme la cité archéologique Tigranakert fondée sous le règne de Tigrane le Grand au Ier siècle avant J-C, le complexe monacal troglodyte de Khatchénaquède (VIe-VIIe siècle) ou encore le monastère d’Amaras dont le caveau de saint Grigoris remonte à l'an 489. C’est le plus ancien et le mieux conservé d'Arménie. À l’instar de ce qui a été observé lors de précédents conflits au Proche et Moyen-Orient, leur destruction et leur pillage sont aujourd'hui redoutés. Les inquiétudes planent inévitablement sur le devenir de l’héritage culturel, artistique et religieux. Il suffit de se rappeler les déclarations des responsables azerbaïdjanais émises à la suite de l’offensive de l’automne 2020 quand 75 % des terres du Haut-Karabakh étaient passées sous le contrôle de Bakou, englobant environ 1 500 monuments « essentiellement arméniens », selon le décompte du défenseur des Droits de l’homme, Arman Tatoyan.
Le directeur de l’Union azérie des architectes avait alors souhaité « la destruction de toutes les églises du Haut-Karabakh ». Quant au président Ilham Aliyev, il avait appelé à effacer toutes traces et inscriptions arméniennes de leurs façades, les jugeant « factices » et attribuant l'origine des édifices aux Albanais du Caucase. Bakou préfère attribuer certains anciens monuments chrétiens à la civilisation de l’Albanie du Caucase, royaume chrétien situé autrefois dans ce qui est aujourd’hui l’Azerbaïdjan. Le rapport d’Arman Tatoyan fait également référence à la diffusion délibérée par l'Azerbaïdjan de fausses informations sur le patrimoine culturel arménien de l'Artsakh et à la politique d'« albanisation » des monuments culturels, mettant ainsi l’héritage culturel arménien sous la menace d'une destruction.
Nettoyage ethnique ?
À la même époque, les Arméniens du Haut-Karabakh avaient été marqués par les bombardements de la symbolique cathédrale de Choucha, et par la destruction méthodique du cimetière médiéval de Djoulfa. Selon le Journal des arts, Djoulfa, qui comptait plus de 3 000 Khatchkars (des croix de pierre richement sculptées, caractéristiques de l’art médiéval arménien), a laissé place à un champ de tir. Certaines croix sauvées des destructions ont été transportées en Arménie, à Etchmiadzin, la grande banlieue d’Erevan.
En 2021, le quotidien La Croix rapporte que l’église Sainte-Marie-de-Jibraïl dans le Haut-Karabakh a été entièrement rasée. L’église Verte à Shushi a, quant à elle, été profanée puis détruite et la cathédrale Saint-Sauveur bombardée. À Mataghis, l’église Saint-Yeghishé a été vandalisée. Des stèles, des statues et des cimetières démolis. Ailleurs, les monastères et les églises détruits ont été remplacés par des monuments nationalistes ou des mosquées. L’Unesco n’avait alors fait aucun commentaire sur la destruction délibérée d’un patrimoine parfois vieux de onze siècles, et qui par-delà sa vocation religieuse fait partie d’un héritage architectural et artistique commun de l’humanité.
Aujourd’hui, il y a tout lieu de craindre que ces destructions se poursuivent et s’amplifient. Le régime du président Heydar Aliyev, puis celui de son fils Ilham Aliyev, a mené une politique systématique de destruction des monuments arméniens désormais documentés grâce à l’imagerie satellite par une équipe de l’université de Cornell (New York) qui a dénombré 108 églises, monastères et cimetières détruits dans le Haut-Karabakh, une enclave de la taille d’un département français, rattachée par Staline à l’état gazier de l’Azerbaïdjan durant l’ère soviétique, mais qui a longtemps fait partie du royaume d’Arménie. « La période de destruction et sa globalité indiquent clairement une campagne systématique coordonnée par l’État pour supprimer toute trace de la présence communautaire et religieuse des Arméniens », explique le rapport de l’équipe de Cornell.
La ville de Chouchi, considérée comme la capitale culturelle de l’Artsakh, concentrait les institutions artistiques, notamment la galerie nationale, le musée de numismatique, la galerie de minéraux et gemmologie, le musée du tapis, le musée d’histoire d’où « environ mille pièces ont été pillées après l’occupation, a déclaré la directrice du musée au magazine Syma News. Une centaine de tapis ont pu être sauvés, mais aucune œuvre d’art, aucune antiquité n’ont pu être ramenées de Chouchi. La guerre a été trop soudaine pour envisager l’évacuation d’œuvres d’art, donc tout a été laissé sur place ». C’était en 2020.
Le reste du patrimoine arménien du Haut-Karabakh va-t-il à nouveau être saccagé, profané, vandalisé ? Ou protégé de l’appropriation illicite ? L’avenir nous le dira.