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Idées - Point de vue

Le nouveau nationalisme saoudien

Le nouveau nationalisme saoudien

Des Saoudiens discutent devant une affiche du prince héritier Mohammed ben Salmane lors d'un forum à Riyad, le 15 novembre 2017. Archives AFP.

L’Arabie saoudite est en pleine transformation nationaliste. Cette année, lors de la fête nationale, le 23 septembre, les gens dans tout le royaume – surtout des jeunes, qui constituent la majorité de la population – se pressaient en nombre, brandissant des drapeaux, dansant et s’émerveillant des parades de l’armée de l’air. Encouragé par celui qui de fait dirige le pays, le prince héritier Mohammed Ben Salmane (communément désigné par ses initiales – MBS), cet élan de ferveur patriotique éclaire les motivations qui président aux réformes politiques et économiques.

En matière de politique étrangère, l’Arabie saoudite s’est résolue à une détente avec l’Iran, facilitée par la Chine, est entrée, grâce aux bons offices des États-Unis, en pourparlers avec Israël afin de normaliser les relations diplomatiques, a été acceptée au sein des BRICS, le groupe des principales économies émergentes, enfin, semble s’activer pour mettre un terme à la guerre au Yémen.

À l’intérieur, le royaume entreprend une transition qui s’appuie tant sur la décentralisation que sur la consolidation du pouvoir de MBS et procède aussi bien à l’élimination de la dissidence, notamment celle des groupes islamistes réclamant un autre modèle politique, qu’à la réécriture des programmes scolaires pour les mettre en phase avec les récits que promeut le régime. Pendant ce temps, le royaume a investi des sommes énormes dans le sport international (surtout dans le football et dans le golf) et adopté une politique de production pétrolière plus adaptée à ses besoins budgétaires à long terme.

Les réformes entreprises par MBS ont essentiellement pour but de transformer un État rentier, qui dépend principalement de ses recettes pétrolières, en une économie diversifiée, capable de générer des revenus en dehors du secteur des hydrocarbures. À cette fin, le gouvernement a lancé plusieurs « giga-projets ». Neom, une ville neutre en carbone, qui se bâtit au nord du pays, dont le coût est colossal (même pour un riche État pétrolier) en est un parfait exemple.

Pour comprendre ces changements, il faut prêter attention aux propos tenus par MBS depuis 2016, en public comme en privé, sur les politiques que les Saoudiens ont auparavant privilégiées. Ses prédécesseurs, affirme-t-il ont pris des mesures erronées et leur gouvernance a porté tort aux intérêts nationaux du pays. Ainsi considère-t-il le soutien précédemment apporté par Riyad aux islamistes – en réaction, notamment, à l’opposition religieuse intérieure et à la révolution islamique iranienne, en 1979 – comme une grave erreur, qui, non seulement n’a pas renforcé la stabilité du royaume, mais lui a créé des ennemis, avec les islamistes radicaux comme les Frères musulmans, al-Qaida et l’organisation État islamique, ayant tous cherché à renverser la dynastie des Saoud. MBS pense que le régime aurait dû s’appuyer sur le nationalisme plutôt que sur la religion pour garantir sa survie.

En outre, MBS soutient que la corruption endémique et l’inefficacité de la bureaucratie ont significativement ébranlé la stabilité de l’Arabie saoudite. Et, surtout, il considère que les hésitations des précédents gouvernements saoudiens à diversifier l’économie sont inexcusables – la fin du tout-pétrole est officiellement envisagée depuis les années 1960. Le royaume doit réparer ses erreurs historiques avant qu’il ne soit trop tard.

Les réformes intérieures de l’Arabie saoudite et son programme de politique étrangère sont inextricablement liés, puisque son projet économique repose sur sa capacité à garantir la paix et la sécurité au Moyen-Orient. Pour MBS, le royaume est voué à devenir une force géopolitique qui compte et un nœud des réseaux commerciaux et de transport, un centre logistique et de communication entre l’Orient et l’Occident.

Cet objectif est déterminant dans la recherche d’une normalisation des rapports avec Israël. Le conflit entre l’État hébreu et le monde arabe a longtemps été une source d’instabilité régionale. En outre, Israël offre un accès à la Méditerranée, ce qui en fait une maille stratégique du vaste réseau transmondial s’étendant de l’Inde à l’Europe.

Dans une récente interview, MBS dit vouloir que l’Arabie saoudite devienne l’une des dix premières économies mondiales, et fait remarquer que le royaume, d’ores et déjà membre du G20, a récemment atteint le quinzième rang mondial. MBS, qui cherchait, sans succès à être invité au G7, n’a pas boudé l’occasion de rejoindre les BRICS, précisant qu’il ne s’agissait nullement d’une opération hostile à l’Occident, mais plutôt d’une initiative qui favoriserait la croissance de son pays et maintiendrait des relations cordiales avec toutes les grandes puissances mondiales.

MBS se fie aux données et compare fréquemment son pays aux autres. Quand il s’exprime, il apparaît plus en PDG voulant voir son entreprise dominer le marché qu’en dirigeant politique ordinaire. Et tandis que les États-Unis et la Chine s’orientent vers un découplage et cherchent à établir de nouvelles chaînes d’approvisionnement, il plaide, lui, pour l’ordre économique libéral mondial. Il ne ménage pas ses efforts pour entretenir des liens commerciaux solides avec chacun des trois pays qui façonneront probablement le XXIe siècle, les États-Unis, la Chine et l’Inde.

Pourtant, en matière de sécurité et d’alliances stratégiques, MBS demeure pro-américain : l’armée saoudienne est en grande partie équipée et entraînée par les États-Unis, et il serait extrêmement coûteux de briser la relation.

L’Arabie saoudite de MBS peut être vue comme une puissance émergente qui cherche à utiliser les atouts dont elle dispose pour développer et diversifier son économie. Dans le même temps, le royaume est décidé à tirer parti de ses ressources et de ses liens diplomatiques pour renforcer son influence dans un monde de plus en plus divisé entre les grandes puissances que sont les États-Unis, la Chine, la Russie et, dans une moindre mesure, l’Europe. À en juger par les récentes initiatives qu’il a prises en politique étrangère – il a obtenu des Chinois qu’ils s’entremettent dans son conflit avec l’Iran et des États-Unis qu’ils fassent de même avec Israël –, MBS apparaît comme un manœuvrier habile dans les eaux de plus en plus périlleuses de la géopolitique.

Traduit de l’anglais par François Boisivon.

Copyright: Project Syndicate, 2023.

Par Bernard Haykel, professeur d’études proche-orientales à l’université de Princeton.

L’Arabie saoudite est en pleine transformation nationaliste. Cette année, lors de la fête nationale, le 23 septembre, les gens dans tout le royaume – surtout des jeunes, qui constituent la majorité de la population – se pressaient en nombre, brandissant des drapeaux, dansant et s’émerveillant des parades de l’armée de l’air. Encouragé par celui qui de fait dirige le pays, le...
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"… Les réformes entreprises par MBS ont essentiellement pour but de transformer un État rentier, qui dépend principalement de ses recettes pétrolières, en une économie diversifiée, capable de générer des revenus en dehors du secteur des hydrocarbures. …" - Eh bien nous au Liban on fait exactement le contraire. Et toc!

Gros Gnon

22 h 57, le 03 octobre 2023

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Commentaires (1)

  • "… Les réformes entreprises par MBS ont essentiellement pour but de transformer un État rentier, qui dépend principalement de ses recettes pétrolières, en une économie diversifiée, capable de générer des revenus en dehors du secteur des hydrocarbures. …" - Eh bien nous au Liban on fait exactement le contraire. Et toc!

    Gros Gnon

    22 h 57, le 03 octobre 2023

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