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Lifestyle - Mémoire

À l’intérieur du 5 bis rue de Verneuil, sanctuaire intime de Serge Gainsbourg

Dans le cadre de la Maison Gainsbourg, première institution culturelle dédiée à l’artiste, Charlotte Gainsbourg ouvre le 20 septembre au public les appartements privés de son père… Visite.

À l’intérieur du 5 bis rue de Verneuil, sanctuaire intime de Serge Gainsbourg

Salon du 5 bis rue de Verneuil. Photo Pierre Terrasson, 1991

Depuis son décès le 2 mars 1991, presque tout aura été dit ou écrit sur Serge Gainsbourg. Que l’on abhorre ou que l’on adore son personnage, que l’on juge qu’il se résume à la quintessence de la grossièreté ou, au contraire, qu’on le regarde comme un génie sans équivalent, l’ampleur et le poids de l’héritage « gainsbourien » sont difficilement contestables. À ce jour, il reste considéré comme l’un des plus grands musiciens français du XXe siècle, un mythe non seulement de la musique, mais aussi de la culture dans son sens large. Car, en dépassant les frontières de la musique stricto sensu, Serge Gainsbourg s’est également imposé, à chacun de ses 17 albums studios, comme l’un des poètes les plus modernes et subversifs de France. Toujours une longueur d’avance sur son époque, il a en ce sens manipulé la langue française à l’envie, la mêlant souvent à l’anglais, jusqu’à donner naissance à un nouveau dialecte propre à lui, traversé par du mystère, de la malice et un rien de provocation. Et même au-delà de son œuvre artistique depuis ses modestes débuts en tant que pianiste dans les sous-sols de son quartier parisien de Saint-Germain-des-Près, jusqu’à ses dernières années où il a muté en son personnage de Gainsbarre, l’artiste protéiforme a cultivé un style, une gouaille et un goût distinctifs. L’ouverture de la maison Gainsbourg le 20 septembre, première institution culturelle dédiée à l’artiste, est justement le parfait sésame pour se plonger dans les goûts de monsieur Gainsbourg et, surtout, l’occasion de prendre la mesure de l’importance des trésors culturels qu’il a laissés derrière lui.

Portrait officiel de Charlotte Gainsbourg, habillée en Saint Laurent par Anthony Vaccarello. Photo Jean-Baptiste Mondino, 2023

L’antre secret de monsieur Gainsbourg

Ce n’est autre que Charlotte Gainsbourg, fille de Serge et de Jane Birkin, qui a eu l’idée de ce projet dès le décès de son père. La maison Gainsbourg qu’elle avait rêvée il y a trente-deux ans se compose désormais de deux entités, toutes deux situées rue de Verneuil à Paris, une adresse devenue un véritable lieu de pèlerinage pour les fans et les fanatiques de Gainsbourg depuis son installation ici, en 1969. D’une part, au 14, le musée Gainsbourg se chargera de cartographier l’œuvre artistique de Serge Gainsbourg et planchera donc sur sa facette la plus publique, la plus connue. Et de l’autre, au 5 bis, c’est son antre secrète, la maison où il a vécu de 1969 jusqu’à sa mort en 1991, qui est dès à présent ouverte au public comme une passerelle secrète à travers laquelle on se glisse, le temps d’une visite de 30 minutes, dans l’intimité de l’homme.

Si, le jour de la mort de son père en 1991, Charlotte avait demandé à la personne chargée de faire le ménage de ne rien toucher, de ne rien déplacer, comme pour figer le temps et, d’une certaine manière, retenir son père, elle a néanmoins longtemps cogité l’idée d’ouvrir la maison. Après avoir racheté les parts du 5 bis à ses frères et sœurs en 1991, mille idées d’exécution lui passent par la tête, qu’elle partage avec des architectes, des mécènes, des ministres de la Culture et des maires de Paris, mais qui meurent toutes dans l’œuf. Ce n’est qu’il y a cinq ans – alors qu’elle est installée à New York après la mort de sa sœur Kate – qu’elle se résout à démarrer ce projet quasi muséal et pour lequel un immense travail de conservation a dû être déployé  ; puisque les appartements privés de monsieur Gainsbourg ont été gardés intacts, jusqu’au moindre détail, exactement comme ils l’étaient le 2 mars 1991. Charlotte est épaulée par Dominique Dutreix, promoteur immobilier et collectionneur d’art, par la région Île-de-France, présidée par Valérie Pécresse, ainsi que par la maison Saint-Laurent – dont elle est l’une des égéries –, qui accorde une grande aide financière pour réaliser ce projet.

Façade du 5 bis rue de Verneuil. Photo Alexis Raimbault pour la Maison Gainsbourg, 2023

Première visite

C’est Joseph Gainsbourg, le père de Serge, qui a découvert cette maison de deux étages en 1967, pas loin de celle de Juliette Gréco qui, elle, résidait au 33. Le jour où Serge Gainsbourg la visite pour la première fois, il réussit à couper la file d’attente des acheteurs potentiels grâce à sa petite amie de l’époque Brigitte Bardot. Une fois arrivée dans ce qui deviendrait plus tard la chambre de Gainsbourg, au premier étage, Bardot se poste sur le balcon et annonce à la foule qui attendait en bas : « Vous pouvez tous rentrer chez vous, cette propriété a trouvé son acquéreur ! » Peu de temps après, alors que sa romance avec Bardot est brusquement interrompue par son mari de l’époque Gunter Sachs, Gainsbourg commence à rénover la résidence en mai 1968 avec l’aide de l’antiquaire britannique Andrée Higgins, avant d’y emménager un an plus tard avec sa femme Jane Birkin qu’il avait rencontrée la même année sur le tournage du film Slogan de Pierre Grimblat. Dès sa naissance, Charlotte y vivra avec sa sœur Kate et ses parents jusqu’à ce que ces derniers se séparent en 1980  ; puis y reviendra passer des week-ends de princesse, comme elle le décrit, alors que Gainsbourg y réside avec sa nouvelle femme Bambou.

Couloir du premier étage du 5 bis rue de Verneuil. Photo Pierre Terrasson, 1991

Les goûts de Serge

Certes, c’est Charlotte qui a piloté cette initiative dont elle confie que le parcours et le processus étaient un peu le miroir de la progression de son deuil, d’autant plus que c’est au 5 bis que la fille de Serge venait se recueillir, trouvant les cimetières trop glauques. Cela dit, elle a insisté à rester dans les coulisses de ce projet, à rester seulement la « fille de Serge », la gardienne de ce lieu, livrant uniquement sa voix (de petite fille, croit-on presque) au poignant parcours sonore qui accompagne les visiteurs. D’ailleurs, dès lors que l’on pousse la grille de la maison (que nous avons eu la chance de visiter avant l’ouverture), plane une étrange impression d’entrer dans un sanctuaire encore coincé dans les années 80, mais surtout où tout, pièce par pièce, reflète les goûts de Serge Gainsbourg. Déjà, répéter qu’à l’intérieur, rien n’a bougé depuis le jour de la mort de ce dernier ne rendrait même pas justice au niveau de conservation, époustouflant et obsessionnel, qui a été mis en place par Charlotte Gainsbourg et son équipe. Tout, ici, prend tout d’un coup une dimension sacrée, les mégots de Gitanes au fond d’un cendrier, les traces de sa crème à raser ou des flacons de son parfum, Pour Homme de Van Cleef & Arpels dans sa salle de bains, ses mixed nuts indemnes dans un conteneur de la cuisine, son paquet de Stimorol au bord de son lit ou encore la trace de ses fesses sur le Chesterfield de la salle de séjour, une pièce dont lui-même disait : « Je ne sais pas ce que c’est : un salon, un studio de musique, un bordel, un musée… »

Bureau-bibliothèque au premier étage du 5 bis rue de Verneuil. Photo Pierre Terrasson , 1991Le bureau de Gainsbourg où sa présence reste très puissante. Photo Pierre Terrasson

C’est d’ailleurs dans cette pièce, chargée et plus confinée qu’on ne l’imaginait, que démarre la visite de la maison. Ici, Gainsbourg prenait son café de midi, composait de la musique, passait des heures au téléphone et, le soir, accueillait des amis, des journalistes et des policiers, avant de retourner composer, tard dans la nuit, sur le clavier ou l’orgue qui sont toujours intacts. Dans ce salon, on lit clairement sa volonté de concevoir la maison la plus britannique de Paris, avec son feutre noir le long des murs, ses encadrements de porte blancs en relief, ses dalles vénitiennes et ses bow-windows. Au niveau de la décoration, on devine un Gainsbourg collectionneur, son amour particulier pour les gadgets : le Chesterfield, donc, qui coexiste avec un lit indien à l’intérieur duquel on trouve le clap de fin du clip de Charlotte Forever, le disque d’or de Lemon Incest ou une photo de 1973 de Jane Birkin et Brigitte Bardot dans un lit. À côté, un moulage en bronze du buste de Jane Birkin ; la célèbre collection de singes dont certains cachent des bouteilles d’alcool  ; l’illustre collection de médailles d’officiers que Gainsbourg volait aux forces de l’ordre qu’il invitait à boire ici, mais aussi son téléphone auquel il tenait lui-même à répondre et qui était à la pointe de la technologie. En montant au premier étage – où le feutre recouvrant tout confère une atmosphère de studio à l’espace –, il y a l’impression de plonger encore plus dans l’intimité de Serge Gainsbourg. D’abord dans son bureau, où il aimait se retirer dans son fauteuil de dentiste du XIXe siècle avec les livres qui racontent son goût pour la littérature du XIXe, du Maupassant, du Baudelaire, en passant par Edgar Allan Poe, Oscar Wilde, Rimbaud et Huysmans. Mais c’est dans la salle de bains que le spectre de Gainsbourg devient de plus en plus palpable, peut-être parce que l’artiste lui-même a conçu cet espace, semblable à une cabine de bateau centrée autour d’une baignoire Industria. Et c’est lorsque l’on ouvre légèrement l’un des placards de Serge Gainsbourg que son aura fantomatique devient particulièrement troublante. Toujours intactes, bien sûr, certaines de ses Zizi de Repetto, qui portent encore les traces de ses orteils  ; et tout ce qui conférait à Gainsbourg cette allure irrévérencieuse et reconnaissable parmi mille.

La visite se termine dans la chambre de monsieur Gainsbourg, incontestablement la pièce la plus privée de la maison. C’est ici, où un lit à même le sol recouvert d’un couvre-lit en vison noir fait face à un banc Sirène (venant d’un théâtre ou d’un bordel), que, tous les dimanches après-midi, Serge Gainsbourg s’affalait à côté de Charlotte Gainsbourg et qu’ensemble ils regardaient des films achetés sur les Champs-Élysées. Longtemps, Charlotte a hésité à ouvrir cette chambre. Et en le faisant, en ouvrant le 5 bis, rue de Verneuil, elle montre au monde un nouveau personnage que Gainsbourg abritait en lui : celui du père et de l’homme.


*La Maison Gainsbourg, 5 bis rue de Verneuil.

Pour les billets : https://www.maisongainsbourg.fr

Depuis son décès le 2 mars 1991, presque tout aura été dit ou écrit sur Serge Gainsbourg. Que l’on abhorre ou que l’on adore son personnage, que l’on juge qu’il se résume à la quintessence de la grossièreté ou, au contraire, qu’on le regarde comme un génie sans équivalent, l’ampleur et le poids de l’héritage « gainsbourien » sont difficilement contestables....

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