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Monde - Eclairage

Avant la COP 28, les Émirats arabes unis soignent leur réputation

En amont du sommet sur le climat, la fédération cherche à promouvoir son modèle énergétique tout en prévenant les critiques.

Avant la COP 28, les Émirats arabes unis soignent leur réputation

Un champ de panneaux solaires à al-Gharibiyah, dans les alentours d’Abou Dhabi. Photo d’archives AFP

Fin juillet, la compagnie pétrolière nationale émiratie Adnoc annonçait avancer de cinq ans son objectif pour atteindre la neutralité carbone, soit en 2045. Une promesse qui intervient à quelques mois de la tenue à Dubaï de la prochaine conférence mondiale sur le climat. Car, anticipant les critiques, au vu de l’antécédent qatari de la Coupe du monde 2022 et de la COP 27 à Charm el-Cheikh en Égypte, les Émirats arabes unis (EAU) se sont préparés. D’autant que la stratégie énergétique d’Abou Dhabi, qui s’est fixé 2050 pour atteindre ses objectifs de neutralité carbone, a de quoi surprendre : parallèlement aux efforts de la fédération pour déployer les énergies vertes, celle-ci comprend un pan de développement de sa production d’hydrocarbures. Aux ONG et lobbies environnementaux qui dénoncent ces ambitions apparemment antagonistes, les EAU opposent l’argument d’une stratégie pragmatique, en fonction de leurs ressources. Et s’efforcent de montrer patte blanche.

Au cœur de la politique climat, un paradoxe 

Premier pays de la région à avoir ratifié les accords de Paris en 2015, la fédération émiratie s’enorgueillit de défendre un programme vert d’envergure. « Les Émirats ont fixé des objectifs ambitieux en matière de lutte contre le changement climatique, notamment en investissant dans les technologies vertes sur leur territoire et à l’étranger par l’intermédiaire de leur fonds souverain, recyclant ainsi les recettes pétrolières et gazières pour soutenir leur programme écologique », avance Carole Nakhlé, spécialiste énergétique et fondatrice de Crystol Energy, cabinet de consulting pour l’industrie énergétique. L’un des plus grands parcs à panneaux solaires du monde, près d’Abou Dhabi, devait être complètement opérationnel à l’été, permettant d’alimenter 160 000 foyers en électricité, déclarait en janvier EDF Renewables, partenaire de l’initiative. S’il a pris du retard, le projet bénéficie du soutien de son principal détenteur, Masdar, compagnie publique d’énergies renouvelables, dont les actionnaires ne sont autres que les deux plus importantes sociétés pétrolières nationales, TAQA et Adnoc, et le fonds souverain d’investissement Mubadala.

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Pour Abou Dhabi, pas de paradoxe qui tienne. « On ne peut pas déconnecter le monde de son système énergétique actuel avant d’en construire un nouveau. C’est une transition et cela n’arrive pas du jour au lendemain », soutenait en juillet le dirigeant fondateur de Masdar et actuel président désigné de la COP 28, Sultan al-Jaber, dans un entretien au Guardian. Envoyé spécial des EAU pour le changement climatique, l’homme suscite les critiques de par ses autres casquettes : ministre de l’Industrie et des Technologies avancées et, surtout, PDG d’Adnoc. Il s’est ainsi vu accuser de vouloir dévier l’attention des discussions internationales de la sortie des énergies fossiles à la simple élimination de leurs émissions. « Un juste équilibre doit être trouvé entre l’élimination progressive des combustibles fossiles et la transition vers un nouvel agenda énergétique. Les deux doivent être considérés comme les deux faces d’une même médaille », relaie Christian Koch, directeur du Gulf Research Center Foundation de Genève. Un son de cloche déjà entendu à l’occasion de la présidence saoudienne du G20 il y a trois ans, durant lequel avait été entériné le concept de l’économie circulaire du carbone, détournant l’objectif ultime de produire moins de carbone en permettant de le capter et de le séquestrer. Mercredi, Adnoc a annoncé avoir entériné une décision d’investissement pour développer le projet Habshan, censé capturer et stocker 1,5 million de mètres tonnes de dioxyde de carbone par an, triplant les capacités annuelles du géant pétrolier.

L’actuel ministre de l’Industrie des Émirats arabes unis, PDG d’Adnoc, président de Masdar et président désigné de la COP 28, Sultan al-Jaber, ici lors de la Abu Dhabi International Petroleum Exhibition and Conference (Adipec), le 13 novembre 2017. Karim Sahib/Archives AFP

À l’instar d’autres pays exportateurs d’hydrocarbures, la fédération n’est en effet pas prête à renoncer à la manne qu’elle en tire, notamment avec la flambée des prix observée depuis l’invasion russe de l’Ukraine. En juin dernier, les EAU ont même obtenu de l’OPEP+ une révision à la hausse de leur quota de production de pétrole brut de 200 000 barils par jour (bpj) en 2024 pour passer à 3,2 millions quotidiens. Un accord qui fait écho à l’annonce en 2022 d’un investissement de 150 milliards de dollars sur cinq ans de la compagnie pétrolière Adnoc, visant à augmenter la capacité de production à 5 millions bpj d’ici à 2027. « Les Émirats arabes unis continuent à promouvoir les intérêts de l’industrie pétrolière et des combustibles fossiles », résume Joey Shea, chercheuse auprès de Human Rights Watch. Une position qui se combine difficilement avec la volonté affichée d’Abou Dhabi de réduire ses émissions pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Et ce malgré un investissement de 54 milliards de dollars dans les énergies renouvelables sur les sept prochaines années, souligne le groupe de recherche sur l’environnement Climate Action Tracker, qui considère l’augmentation de la production et de la consommation de combustibles fossiles comme « incompatible avec la limitation du réchauffement à 1,5 °C ».

Stratégie de communication bien ficelée

Mais les Émirats veulent éviter les critiques, et à l’approche de la COP 28 qui les mettra sous le feu des projecteurs, ont pour ce faire mis en place un vaste mécanisme de communication. Comme en témoigne le contrat entre Masdar et la société américaine de relations publiques First International Resources enregistré en avril dernier auprès du ministère américain de la Justice, en vertu des règles de lobbying en vigueur. Sa provision mensuelle s’élèverait à 100 000 dollars pendant six mois en plus d’autres frais tenus confidentiels. Parmi les objectifs énoncés dans le contrat, le renforcement de « la réputation et la position globales des Émirats arabes unis, de Sultan al-Jaber et de la COP 28 auprès du public occidental ». En outre, First International Resources, dirigée par le stratégiste politique israélien Zev Furst, ajoute qu’elle « pourrait également activer ou mobiliser ses relations au sein de l’establishment juif américain pour aider à soutenir les objectifs généraux de la campagne », alors qu’Abou Dhabi a normalisé ses relations avec l’État hébreu il y a bientôt trois ans. Un souci de contrôler les discours et les perceptions relatifs à la politique climatique de la fédération, encore démontré début août par des documents ayant fuité obtenus par le Guardian. Ils révèlent une liste de « sujets sensibles » comme la nomination de Sultan al-Jaber, la production d’hydrocarbures, la question des émissions, et même la guerre au Yémen et les « messages stratégiques » pour y répondre, approuvés par le gouvernement, et se concentrant sur les énergies renouvelables ou encore l’hydrogène.

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Et les EAU semblent pousser leur stratégie de communication jusqu’à la désinformation massive. En mai dernier, le Guardian révélait que l’équipe de Sultan al-Jaber avait demandé aux éditeurs de Wikipédia de modifier sa page et de supprimer les références au rôle de celui-ci chez Adnoc. Des citations flatteuses avaient été insérées à son sujet, d’autres informations quant à elles supprimées. Ramzi Haddad, responsable marketing de la COP 28, était un des auteurs des modifications proposées. Selon Marc Owen Jones, expert de la désinformation sur les réseaux sociaux, une centaine de faux comptes X (anciennement Twitter) auraient en outre été générés par l’intelligence artificielle pour défendre la politique climat d’Abou Dhabi et son président de la COP 28. Les comptes sont décrits comme faisant partie d’un « grand effort d’astro-turfing multilingue », totalisant au moins 30 000 tweets. L’astro-turfing étant une technique consistant à simuler un mouvement populaire à des fins politiques pour orienter l’opinion.

Mais toutes ces moyens mis en œuvre ne suffiront sans doute pas face aux données concrètes avancées par les groupes de lutte contre le changement climatique. Mi-août, The Guardian révélait que les Émirats n’avaient pas déclaré leurs émissions de méthane à l’ONU depuis près de dix ans, malgré l’obligation dès 2014 de soumettre des rapports tous les deux ans pour chaque pays membre. Le gaz à effet de serre, responsable d’un tiers du réchauffement climatique depuis l’ère industrielle et provenant en grande partie de fuites dans les systèmes de production et de distribution d’énergies fossiles, a un pouvoir réchauffant plus de 80 fois supérieur à celui du CO2 selon l’ONU. Si Adnoc a annoncé en octobre dernier vouloir limiter ses émissions de méthane à 0,15 % de sa production d’hydrocarbures d’ici à 2025, le Qatar, un des principaux producteurs mondiaux de gaz naturel, avait lui déclaré l’année dernière déjà rejoindre une initiative visant à éliminer les émissions de méthane d’ici à 2030.

Porter l’attention sur les droits humains

Face aux critiques, et dans l’idée de prouver son attachement réel aux causes défendues par la conférence sur le climat, le pays hôte de la COP 28 s’est engagé à offrir « un espace à la disposition des militants du climat pour qu’ils se réunissent pacifiquement et fassent entendre leur voix ». Une déclaration cependant limitée au champ climatique, alors que les organisations de défense des droits de l’homme, profitant de la médiatisation de l’événement, ont déjà lancé des campagnes sur des problématiques annexes à la COP 28. Amnesty International espère notamment faire pression sur Abou Dhabi, appelant encore fin août les EAU à relâcher leurs opposants politiques emprisonnés. « Alors que les Émirats arabes unis se présentent à tort comme un pays tolérant et respectueux des droits, des défenseurs des droits humains émiratis comme Ahmad Mansour languissent en prison, détenus arbitrairement depuis des années pour leurs activités pacifiques », souligne Joey Shea. Depuis 2011, les autorités ont condamné des dizaines de membres de la société civile à de longues peines de prison lors d’un procès collectif. Arrêtés en raison de leurs demandes de réforme et de démocratie ou leur affiliation à l’Association pour la réforme et l’orientation sociale (al-Islah), proche des Frères musulmans honnis par Abou Dhabi, certains auraient été victimes de disparition forcée, de torture et autres mauvais traitements. Mais un précédent ne rassure pas : l’échec de la campagne visant à faire libérer le prisonnier politique Alaa Abdel Fattah lors de la COP 27 en Égypte, alors même qu’il a acquis la nationalité britannique durant sa détention entamée en 2015.

Fin juillet, la compagnie pétrolière nationale émiratie Adnoc annonçait avancer de cinq ans son objectif pour atteindre la neutralité carbone, soit en 2045. Une promesse qui intervient à quelques mois de la tenue à Dubaï de la prochaine conférence mondiale sur le climat. Car, anticipant les critiques, au vu de l’antécédent qatari de la Coupe du monde 2022 et de la COP 27...

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Pendant ce temps nous sommes occupés à essayer de sortir d’une crise politique, économique et financière inextricable et vouloir libérer aussi la Palestine. Beyrouth Dubaii : 3000 km mais 200 ans de différence technologique

Lecteur excédé par la censure

10 h 56, le 08 septembre 2023

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  • Pendant ce temps nous sommes occupés à essayer de sortir d’une crise politique, économique et financière inextricable et vouloir libérer aussi la Palestine. Beyrouth Dubaii : 3000 km mais 200 ans de différence technologique

    Lecteur excédé par la censure

    10 h 56, le 08 septembre 2023

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