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Moyen-Orient - Environnement

L’Arabie saoudite veut imposer sa vision pour la transition énergétique

En dépit des appels internationaux à réduire la production d’hydrocarbures face à l’urgence climatique, le royaume propose des solutions alternatives visant à garantir la pérennité des énergies fossiles pour assurer son développement économique dans les décennies à venir.

L’Arabie saoudite veut imposer sa vision pour la transition énergétique

Des participants réunis pour la « Saudi Green Initiative », le 23 octobre 2021, à Riyad. Photo Reuters

Réunis sous le dôme illuminé du Tuwaiq Palace, qui surplombe Wadi Hanifeh depuis le quartier diplomatique de Riyad, les invités ont été triés sur le volet en ce week-end du 23 octobre. Sur scène ou par visioconférence, les interventions du prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane, de ministres de différents pays, de représentants onusiens, de grands patrons et même du prince Charles d’Angleterre s’enchaînent. Annoncée en mars, la « Saudi Green Initiative » a été savamment préparée par les consultants en communication étrangers, et le timing de son lancement minutieusement calculé. L’objectif : redorer l’image de l’Arabie saoudite, premier exportateur de pétrole brut mondial, et la placer en tête de file de la lutte contre le changement climatique dans le Golfe, et plus largement au Moyen-Orient. Accueillant dans la foulée la « Youth Green Initiative » et la « Middle East Green Initiative » avant la COP26 – qui a eu lieu le 31 octobre à Glasgow –, Riyad a sorti le grand jeu. Cerise sur le gâteau : l’annonce de son ambition d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2060. « La COP26 est la plus importante depuis celle de Paris : il était donc essentiel pour l’Arabie saoudite d’y aller cette fois avec un effet d’annonce afin de ne pas être marginalisée », explique Julien Jreissati, chargé de programme pour la branche de Greenpeace au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. D’autant plus que Joe Biden a remis le climat sur l’agenda politique américain et se montre actif sur le dossier au niveau international. Mercredi dernier, les États-Unis et la Chine, soit les deux plus gros émetteurs de CO2 au monde, ont également annoncé un accord surprise afin de travailler ensemble pour respecter les limites de l’accord de Paris.

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La posture saoudienne contraste avec celle adoptée par le royaume lors de la COP21 en 2015, où il avait été accusé de vouloir saboter les négociations qui se tenaient alors dans la capitale française. Placée dans la catégorie des « mauvais élèves » du sommet aux côtés du Venezuela ou encore de l’Iran, l’Arabie saoudite, dont les recettes budgétaires dépendent à près de 90 % du pétrole, avait été considérée comme un frein aux négociations qui visaient à trouver un accord pour limiter la hausse des températures à moins de 1,5 degré et à un abandon progressif des énergies fossiles. « Sur ce dossier, transformer la perception internationale à l’égard du royaume par la communication est donc une tâche herculéenne pour les Saoudiens », souligne un consultant basé dans la région et ayant requis l’anonymat. Accusé dimanche dernier par Greenpeace de bloquer l’avancée des négociations pour trouver un accord final à l’issue de la COP26 qui doit s’achever aujourd’hui, le royaume a dénoncé mercredi des « mensonges » et des « allégations fabriquées de toutes pièces ». « Il est impératif de reconnaître la diversité des solutions climatiques et l’importance de la réduction des émissions (de CO2) comme prévu par l’accord de Paris, sans aucun parti pris à l’égard ou à l’encontre d’une source d’énergie en particulier », a fustigé le ministre saoudien de l’Énergie, le prince Abdelaziz ben Salmane.

Pour Riyad, une obsession

Ne pouvant se passer des hydrocarbures, du moins pour les prochaines décennies, qui servent à financer leurs projets de diversification économique en amont de l’après-pétrole, l’Arabie saoudite, et plus largement les pays du Golfe, parient sur la possibilité de les rendre plus propres à travers de nouvelles technologies, pour rendre leur utilisation encore acceptable sur la scène internationale. « L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont besoin d’avoir une place à la table des négociations sur les politiques du changement climatique afin de garder leur plus grande source de revenus à l’export et de guider une transition énergétique », indique Karen Young, directrice du programme Économie et Énergie au Middle East Institute. « Pour Riyad, préserver les hydrocarbures est une obsession », relève le consultant précité.

Mohammad ben Salmane table encore principalement sur les revenus de l’or noir et du gaz, non seulement pour maintenir le pays à flot sur le court terme ou encore financer la recherche, mais aussi pour mettre en œuvre son plan de diversification économique baptisé Vision 2030 et dévoilé en 2016, dont le coût s’élève à plusieurs centaines de milliards de dollars. Visant à rendre le royaume plus attractif sur la scène internationale et anticipant l’ère de l’après-pétrole, Vision 2030 prévoit notamment la mise en œuvre de mégaprojets en vue de promouvoir le tourisme à l’instar de la ville futuriste Neom ou encore la ville zéro carbone The Line. Ses détracteurs lui reprochent cependant de mettre en avant des programmes trop longs à concrétiser, voire tout simplement irréalistes. « L’obstacle est clairement technique et budgétaire en ce qui concerne les mégaprojets : ce sont des gouffres financiers et ils prennent systématiquement du retard », explique Ounsi el-Daïf, fondateur d’Eedama, société de consulting en comportements durables basée aux EAU. « Ils croient à leurs projets de transition énergétique, mais il y a une absence de coordination qui n’est pas limitée à l’Arabie saoudite mais qui s’applique à tout le Golfe », remarque-t-il.

Sous la présidence saoudienne du G20 l’année dernière, les pays membres ont notamment adopté le concept d’économie circulaire du carbone, qui se base sur les principes de réduction, réutilisation, recyclage et suppression du carbone à l’aide notamment de méthodes de captation et de séquestration du carbone. Encore peu développées pour un usage à l’échelle commerciale, ces technologies restent très coûteuses. « Les Saoudiens vont investir encore plus d’argent et perdre plus de temps à essayer de trouver une solution miracle au lieu de se tourner de manière plus sérieuse et importante vers les énergies renouvelables qui sont une technologie prouvée à la portée de tout le monde », souligne Julien Jreissati. « Ce sont des initiatives pour gagner du temps et pour justifier le fait de continuer à brûler du pétrole », insiste-t-il.

Et pourtant, le temps presse. Experts et scientifiques tirent la sonnette d’alarme quant aux dangers du réchauffement climatique auxquels les pays aux climats extrêmes sont particulièrement vulnérables, à l’instar de ceux de la péninsule Arabique. À travers la région, le niveau de la mer augmente, la désertification gagne du terrain habitable, les précipitations se raréfient, rendant l’agriculture plus ardue dans des zones semi-arides. Pour le Golfe, « l’effet combiné des températures et du (taux) d’humidité élevés devrait atteindre ou même dépasser les seuils d’adaptabilité humaine », prédit un rapport paru en mars dernier dans le journal scientifique Npj Climate and Atmospheric Science. « Nous prévoyons que la température maximale lors des vagues de chaleur “superextrêmes” et “ultraextrêmes” dans certains centres urbains et mégalopoles de la région MENA pourrait atteindre voire dépasser les 60 degrés », estiment les scientifiques. Au Koweït, les pics de température dépassent déjà les 50 °C – soit 3 à 4 °C de plus qu’en moyenne. Selon un communiqué du dauphin saoudien, les tempêtes de sable feraient perdre à la région 13 milliards de dollars par an. « Pour les pays du Golfe, le pompage des eaux souterraines, le dessalement et l’accès à l’eau sont des activités énergivores, ce qui est un problème en soi », fait remarquer Nadim Farajalla, directeur du programme Changement climatique et environnement à l’Institut Issam Farès de l’AUB. « La menace est existentielle pour leurs économies et ils doivent être capables de tenir le cap », souligne-t-il.

Hautement insuffisant

Soucieux de leur survie, les pays de la péninsule Arabique ont successivement lancé des stratégies de lutte pour le climat au cours de ces dernières années, avec les Émirats arabes unis et le Qatar en tête de peloton. Plus avancé que ses voisins dans ce domaine, Abou Dhabi a annoncé la construction de la ville verte Masdar City en 2006 avant de divulguer son programme de diversification économique Vision 2021 en 2010, dont une partie est axée sur l’environnement et les infrastructures durables. Le ministère fédéral de l’Environnement et de l’Eau est rebaptisé ministère du Changement climatique et de l’Environnement en 2016, tandis qu’Abou Dhabi a annoncé l’année dernière la construction de « la plus puissante centrale solaire » pour une mise en service en 2022. Et alors que les EAU accueillent la COP28 dans deux ans, ils ont annoncé le mois dernier leur volonté d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, soit 10 ans avant Riyad.

L’Arabie saoudite fait toutefois des efforts pour rattraper son retard, ambitionnant par exemple de produire 50 % de son énergie avec des sources d’énergie renouvelables d’ici à 2030. Le parc éolien de Dumat al-Jandal, situé dans le Nord-Ouest saoudien, a notamment commencé à produire de l’électricité en août dernier et devrait à terme alimenter 70 000 foyers. « Beaucoup de choses avancent au niveau énergétique, pour limiter la consommation des véhicules ou créer des standards d’efficacité énergétique pour les climatiseurs », précise le consultant précité. Riyad a également prévu de planter plus de 50 milliards d’arbres dans la région dans les prochaines décennies, dont 20 % rien que dans le royaume, comme un moyen naturel pour capter le CO2 émis dans l’atmosphère.

Selon les experts, les initiatives prises par Riyad pour le climat ne devraient pas cependant suffire à faire le poids face à l’ampleur des engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris. Un ensemble d’efforts qualifiés de « hautement insuffisant » par le groupe de recherche indépendant Climate Action Tracker, qui estime que « les politiques et les engagements climatiques de l’Arabie saoudite reflètent une action minimale ou inexistante, entraînant une augmentation plutôt qu’une baisse des émissions ».

Si le prince héritier Mohammad ben Salmane cherche à terme à provoquer des changements sociétaux dans le royaume, y compris sur le plan écologique, notamment à travers l’imposition d’amendes, voire de peines de prison pour toute mauvaise gestion des détritus au niveau individuel, « le plus difficile reste à faire : il faudrait investir massivement dans l’éducation en vue de modifier les comportements », conclut Ounsi el-Daïf.

Réunis sous le dôme illuminé du Tuwaiq Palace, qui surplombe Wadi Hanifeh depuis le quartier diplomatique de Riyad, les invités ont été triés sur le volet en ce week-end du 23 octobre. Sur scène ou par visioconférence, les interventions du prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane, de ministres de différents pays, de représentants onusiens, de grands patrons et même du prince...

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