Parapluie et parasol

Lorsqu’ils se croisèrent un jour, les deux confrères, un parapluie et un parasol, s’offrirent un dialogue pas comme les autres. Ils n’avaient pourtant pas la sale habitude de dialoguer, leurs actionnaires respectifs n’étant point enclins à ce jeu jugé immonde. La morale enracinée dans les esprits les plus raffinés en avait décidé ainsi. On avait affaire à des couleurs et des métiers bien différents. Mais aux heures euphoriques qu’apporte généreusement le printemps, les feuilles mortes de l’automne font rejaillir les pensées les plus sombres.

Vint un jour d’automne bien gris, et nos collègues se contemplèrent, furtivement, leurs yeux invisibles, mais la parole au bout des lèvres.

- Le parasol : Cette saison me fout l’cafard. Pas toi ?

- Le parapluie, écrasant sa cigarette : Si, un peu. Mais j’en ai l’habitude. Je m’tape les hivers moi.

Avec un grand soupir, il jeta un regard envieux sur les couleurs éclatantes du parasol.

- Le parapluie : Tu prends ton pied, toi dont le soleil envahit les ailes à longueur de journée.

- Le parasol : Tu parles ! Ne te fie pas aux couleurs trompeuses. La plupart du temps, ça grille. Je transpire le stress des belles gens que je couvre. Comme toi, quand les grosses gouttes de tes pluies aveuglent. J’avoue pourtant que le noir te va si bien.

- Le parapluie : C’est la couleur classique. Le noir, ce n’est pas le deuil. C’est la couleur symbole d’autorité.

- Le parasol : Le noir me donne la chair de poule. Les moines, Richelieu, les mollahs, la Gestapo, Mussolini, l’Inquisition...

- Le parapluie : Oui, peut-être. Il m’arrive de me regarder dans le miroir de la coiffeuse. Ça me donne des frissons, je l’admets. Mais il faut bien que je tienne le coup, les averses, les tempêtes, la grêle. Tu sais, la pluie fine se fait très rare.

- Le parasol, essuyant sa sueur : Remarque, mes couleurs à moi sont peut-être alléchantes, moi je les trouve ridicules. Bleu, orange, jaune... Ça me donne un air de légèreté. J’ai cette forte impression qu’on ne me prend pas au sérieux. Et pourtant, personne ne peut faire le travail que je fais.

- Le parapluie : Moi, c’est le contraire. Je suis trop sérieux. Ma femme, qui est parasol, me l’a bien dit.

- Le parasol : Ta femme est parasol ? C’est bien, les mariages mixtes. Revenons à notre sujet. Il faut qu’on trouve des solutions. Cherchons un compromis. Ta femme a raison. Tu fais trop sérieux. Ça fait peur, ça. Et moi, j’ai droit à plus de respect. Tu n’trouves pas ?

- Le parapluie : Impossible, cher ami. Tes patrons, et les miens aussi, tu sais, les shareholders, ne se parlent plus. On a coupé les ponts.

- Le parasol : Une belle idée germe en mon esprit. Fichons le camp d’ici. Laissons ces misérables à leur sort. Je connais une grotte pas loin. Pas de soleil, pas de vent ni de pluie.

- Le parapluie : On sera à l’abri. Plus de soucis. J’emmènerai le vin.

- Le parasol : Et moi les cigares. On regardera les films de notre jeunesse : Delon, Gabin, Bardot...

- Le parapluie : On écoutera du jazz.

- Le parasol : Du tango !

- Le parapluie : À deux, on dansera comme des clochards heureux. Ils sont mieux que nous. Le bonheur, il n’est pas là. Il faut le chercher.

- Le parasol : On le trouvera.

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