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Lifestyle - Beyrouth Insight

Le Chase d’Achrafieh a-t-il vraiment fermé ses portes ?

Retour sur l’histoire du plus célèbre des cafés-trottoirs beyrouthins alors qu’une rumeur de fermeture définitive, il y a quelques semaines, semait la panique parmi ses habitués. 

Le Chase d’Achrafieh a-t-il vraiment fermé ses portes ?

Une enseigne mythique qui a accompagné Achrafieh depuis les années de guerre. Photo DR

Dans un petit resto-bar d’Achrafieh, Martine fête ses 60 ans. C’est la première fois, depuis le décès de son mari en 2018, qu’elle accepte de sortir dans un restaurant. « J’aurais préféré le Chase, mais on m’a dit qu’il a fermé ! On a perdu une grande institution ! » s’insurge la sexagénaire, vapoteuse en main, sac Vuitton sur les genoux. Depuis son appartement de la place Sassine qu’elle a toujours refusé de quitter malgré les difficultés financières, elle raconte les souvenirs qu’elle garde de ce lieu mythique qui a accompagné une existence imbibée de larmes et de champagne. Sur ce balcon qu’elle a reconstruit à deux reprises, elle apercevait ses enfants boire leurs premières bières, Georges, son mari, fumer son gros cigare, et Colette et Marie, ses grandes amies, s’aimer en secret.

« Place des Martyrs », place de Bachir, le Chase, emblématique resto-café beyrouthin, raconte Achrafieh et la résistance heureuse d’une partie du peuple. Ouvert en 1977 en pleine guerre civile, il sera détruit, reconstruit, réaménagé, mais surtout témoin d’un Liban qui se fissure. Les personnalités politiques, les philosophes, les couples interdits, les familles d’Achrafieh ou les simples passants du dimanche en ont fait le centre intellectuel et social de la capitale…

Le Chase au temps des jours plus heureux. Photo DR

La ville qui ne dormait pas

Chase, cʼest le pari fou d’un homme en pleine reconversion. Travaillant alors dans le commerce du bétail, Rachid Jreissati décide, deux ans après le début des affrontements, de louer avec son ami Patsy Nader un local au centre de la capitale libanaise éventrée. « Nous étions jeunes, ambitieux, sans aucune peur ni gêne », se souvient-il près d’un demi-siècle après l’ouverture de son restaurant. Dans ce funeste décor quʼétait Beyrouth à l’aube de la décennie 80, les propriétaires du Chase créeront, au travers de décors chaleureux et d’une carte bien française, un endroit où la classe moyenne se mélange à lʼélite. Librement inspirée du concept des bistrots parisiens, le café a longtemps donné « une impression de normalité aux habitants des quartiers voisins en temps de crise », se remémore Yasmina Jreissati, la fille du gérant qui a grandi entre les nappes de table blanches du Chase. L’ouverture prometteuse de cet établissement, expliquée par le besoin dʼévasion d’une population vivant dans l’incertitude, fera revivre Achrafieh, du moins le temps d’un verre ou d’un café. Mais la joie sera de trop courte durée pour les principaux intéressés. Lʼété 1978 et ses bombardements réveillent tout le monde. Le Chase est lourdement impacté et un réaménagement sera effectué pour « mieux se protéger ». Pour panser leurs plaies, Rachid Jreissati et ses partenaires se rabattent sur Kaslik, ville côtière du Kesrouan, une région bien moins touchée par les ravages en cours dans la capitale. Le célèbre restaurant deviendra petit à petit une franchise à succès, employant jusquʼà 75 personnes. Si lʼactivité de la famille Jreissati se redresse entre Byblos et Qleiate, c’est à Achrafieh que Chase continue de grouiller de monde jour et nuit. « Nous étions ouverts 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Ajoutez à cela un rapport qualité/prix imbattable et vous avez la recette de notre succès », explique le fondateur et propriétaire de l’endroit, conscient du fait qu’une ville aussi insomniaque que Beyrouth se devait de proposer des adresses ouvertes en permanence. Du moins quand on pouvait se le permettre…

Le Chase avec tous ses souvenirs fermé, en attendant une « nouvelle formule ». Photo DR

La politique de la « résilience » ?  

Sur la place Sassine où est hissé un portrait du « Bach », des gens sʼarrêtent pour allumer une cigarette, des touristes perdus et Martine qui râle sur la qualité de son plat du jour. Entre deux bouchées de son tartare hors de prix, elle se retourne pour prendre une photo d’Anna, sa petite-fille de 5 ans. « Mets-toi devant la photo de Bachir ! lui lance-t-elle en énumérant les raisons qui font de Gemayel son saint patron. Je me souviens de lui assis au Chase. Je le regardais manger dehors depuis mon appartement du premier étage. Il était tout le temps seul. Comment un homme pareil pouvait-il sortir sans être accompagné ? »

Son Bachir, qui avait effectivement ses habitudes au Chase, se faisait discret dans cet endroit qu’il savait résolument intime malgré la pagaille autour. En 1982, lʼannée de son assassinat, le resto-café voit une nouvelle fois ses locaux ravagés. « Nous avons fermé pendant 4 ans à la suite de cela et nous nous sommes concentrés sur le développement de la franchise », explique Rachid Jreissati. 

À sa réouverture, à Sassine comme à Kaslik, des sacs de sable en jute s’entassent pour former un mur protecteur autour des façades vitrées. Les clients, toujours fidèles, ne désertent jamais les lieux. « Continuer était un acte de résistance », tient à rappeler Yasmina Jreissati qui voit, dans la ténacité de ses parents restaurateurs, un Liban qui défie les malheurs avec un magistral doigt d’honneur au destin et aux circonstances. 

Persister, perdurer, raconter

Si Beyrouth reprend enfin des couleurs après la fin de la guerre civile en 1990, le Chase restera aux premières loges de ce spectacle tragi-comique qu’est la nation libanaise. Le soleil inondant ses terrasses, les jeunes gens arrosant leurs soirées de rosé et leurs après-midi de café noir, le restaurant ne connaîtra pas la crise. L’accalmie de lʼaprès-guerre sʼaccompagne de lʼarrivée dʼune nouvelle vague de restaurants plus modernes, plus pointus. Pour continuer de concurrencer les poids lourds du secteur, le resto-café change de chef et fait appel à Joe Barza au début des années 2000. « Nous avons modernisé la carte et la cuisine en tentant de comprendre les attentes d’une clientèle qui n’a jamais arrêté de se renouveler. » Mais à chaque période, ses épreuves. En 2005, la vague d’assassinats ébranle un pays déjà fragile et stoppe une convalescence à peine débutée. Lieu où se réunissent journalistes et intellectuels autour d’un espresso, c’est à cette période que le resto-café d’Achrafieh perdra certains de ses clients les plus fidèles, Samir Kassir en tête. 

Après plus de trois décennies, en 2010 Rachid Jreissati se résout à vendre le Chase et ses franchises. S’il perdure sous diverses déclinaisons, ces dernières semaines, les rumeurs autour de sa fermeture définitive avaient circulé dans les médias. « Incorrect », répond Giorgio Azar, le nouveau propriétaire. « Il est juste en rénovation et rouvrira bientôt sous une nouvelle formule », promet-il. Martine s’y voit déjà.

Dans un petit resto-bar d’Achrafieh, Martine fête ses 60 ans. C’est la première fois, depuis le décès de son mari en 2018, qu’elle accepte de sortir dans un restaurant. « J’aurais préféré le Chase, mais on m’a dit qu’il a fermé ! On a perdu une grande institution ! » s’insurge la sexagénaire, vapoteuse en main, sac Vuitton sur les genoux. Depuis son appartement de la...

commentaires (3)

Souvenirs souvenirs. Ce lieu aura accompagné toute la vie du quartier pendant des décennies: toujours ouvert, on pouvait y débarquer à n’importe quelle heure et on y trouvait toujours à boire et à manger… et Massoud Achkar. Un lieu iconique dont le nouveau proprio ne doit pas perdre la recette magique.

Marionet

12 h 52, le 02 septembre 2023

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Commentaires (3)

  • Souvenirs souvenirs. Ce lieu aura accompagné toute la vie du quartier pendant des décennies: toujours ouvert, on pouvait y débarquer à n’importe quelle heure et on y trouvait toujours à boire et à manger… et Massoud Achkar. Un lieu iconique dont le nouveau proprio ne doit pas perdre la recette magique.

    Marionet

    12 h 52, le 02 septembre 2023

  • Dommage, de toute façon cet endroit a perdu de son savoir-faire (Patsy Nader)et devenus un endroit malheureusement mal entretenu et délabré. J'espère qu'un professionnel le reprendra. Un Achrafiote

    Jean-Paul Audi

    18 h 34, le 01 septembre 2023

  • Paillarde de veau

    Roger Xavier

    17 h 57, le 01 septembre 2023

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