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Nos Lecteurs ont la Parole

La question de Le Drian aux députés : le chef de l’État dans l’article 49 de la Constitution

La réponse à la question de l’envoyé spécial de la France au Liban, Jean-Yves Le Drian, transmise le 15 août courant aux députés libanais : « Quelles sont les qualités et les compétences dont devra disposer le futur président de la République… ? » se trouve fort clairement dans l’article 49 de la Constitution libanaise, dans la genèse de cet article et tous les travaux préparatoires de l’accord d’entente nationale de Taëf du 22 octobre 1989. Il aurait été préférable d’employer dans la lettre « Chef de l’État » suivant les termes mêmes de l’article 49 : « Le président de la République est le chef de l’État et le symbole de l’unité du pays. Il veille au respect de la Constitution, à la sauvegarde de l’indépendance du Liban, à son unité et à l’intégrité de son territoire conformément aux termes de la Constitution (…) »

Pour comprendre toute la portée de l’article 49 qui place le chef de l’État en tant que gardien suprême de la Constitution, il faut revenir aux travaux préparatoires, notamment dans le cadre de la médiation diplomatique allemande-européenne-

vaticane après l’accord tripartite de Damas du 28/12/1985, soit du 24/9 au 3/10/1986.

S’agit-il d’une formule d’éloquence littéraire, d’une affirmation d’évidence, ou d’une disposition constitutionnelle nouvelle, introduite à bon escient par le constituant et qui implique une pratique politique conséquente ? Il s’agit du nouveau fondement du rôle chef de l’État, gardien suprême de la Constitution.

1. April Glaspie et 14 propositions en 1987

Il s’agissait dans les débats de rendre les trois plus hautes fonctions de l’État égalitaires avec des aménagements superfétatoires qui violent le principe universel de séparation des pouvoirs et risquent de rendre le président de la République homme de Baabda et président honoraire. Au cours du 11e round des négociations libano-syriennes entreprises par April Glaspie, du 18 janvier au 26 mars 1987, on peut recenser 14 propositions pour équilibrer le système de manière à satisfaire les communautés sunnite, chiite et druze :

- La limitation du vote en Conseil des ministres aux ministres, à l’exclusion du président maronite de la République (8 mars 1987).

- La réunion du Conseil des ministres sous la présidence du chef sunnite du gouvernement, avec l’exigence d’une majorité qualifiée pour les décisions (15 février).

- La distinction entre deux types de Conseil des ministres, celui présidé par le président maronite de la République et qui décide de certaines affaires importantes dont la nature est à déterminer, et celui présidé par le chef sunnite du gouvernement. Des objections ont été formulées à l’encontre de cette proposition : il y a là une source de conflit sur la qualification juridique des projets et sur l’instance habilitée à régler le conflit (15 mars).

- La réunion du gouvernement sous la forme d’un conseil de cabinet et sous la présidence du ministre orthodoxe le plus âgé, une fois par semaine. Les projets de décrets sont transmis au président de la République et au chef du gouvernement pour approbation (7 avril).

- L’élection du chef sunnite du gouvernement par la Chambre, ce qui accroît l’influence du chef chiite de l’Assemblée et réduit l’influence présumée du président maronite de la République dans cette désignation (10 mars).

- La création de six portefeuilles de ministres d’État pour six grandes communautés (maronite, sunnite, chiite, druze, grecque-catholique et grecque-orthodoxe), la communauté arménienne étant souvent exclue. Ces six ministres d’État forment un conseil qui statue sur les affaires importantes. En cas de conflit, ces affaires sont transmises au Conseil des ministres (3 février).

- L’équilibrage par les bâtiments grâce à la réunion du Conseil des ministres au Sérail, siège de la présidence sunnite du gouvernement, et non au palais de Baabda, siège de la présidence maronite de la République, de sorte que le Conseil des ministres ait un bâtiment indépendant avec des fonctionnaires qui en relèvent directement (2 avril).

- La création d’une vice-

présidence chiite de la République, proposition timidement avancée (18 janvier).

- L’affectation d’une vice-

présidence du gouvernement à la communauté chiite (18 janvier).

- La prorogation de la durée du mandat du président chiite de la Chambre pour 4 ans afin d’équilibrer par la durée le décalage tel que perçu au niveau des postes et des attributions. Cette proposition s’est heurtée à l’objection que chaque mandat présidentiel a connu en pratique le même chef du législatif.

- La signature par le président chiite de la Chambre des décrets relatifs à la nomination du chef du gouvernement et à la formation du cabinet. Cette proposition a été critiquée parce qu’elle enfreint le principe de séparation des pouvoirs exécutif et législatif (8 février).

- La désignation du président chiite de la Chambre en tant que membre du Conseil supérieur de la défense (9 février).

- L’affectation permanente du portefeuille ministériel des Finances à un chiite dont le contreseing est exigé pour la promulgation des lois et décrets consignés par le président de la République et le chef du gouvernement. Cette proposition aurait été refusée par le ministre chiite, Nabih Berry, qui réclame une participation plus effective au sein du Conseil même des ministre (20 janvier et 9 février).

- La création d’un Sénat dont la présidence est confiée à un druze (17 février).

2. La médiation allemande-européenne-vaticane

Au cœur de la médiation allemande-européenne-vaticane après l’accord tripartite de Damas du 28/12/1985, médiation par Franz-Josef Strauss du 24/9 au 3/10/1986, se trouve le problème épineux, quadrature du cercle, de l’égalisation impossible entre les trois plus hautes charges dans l’État !

La seule perspective, en technique constitutionnelle, est l’ouverture des trois plus hautes charges : président de la République des communautés chrétiennes, et chef du Parlement et chef du gouvernement des communautés sunnite, chiite ou druze. Mais ce règlement, perçu comme victoire ou défaite, se heurte à nombre d’obstacles qui relèvent du patrimoine séculaire, des mentalités et du contexte régional. Le problème a été sérieusement posé (Émile Khoury, an-

Nahar, 20/12/1986 et 29/12/1986).

3. L’accord de Taëf et l’article 49

Le nouvel article 49 de la Constitution, grâce à d’éminents participants à l’accord de Taëf, dont Hussein Husseini, Edmond Rizk, Boutros Harb, Robert Ghanem…, a institué, dans une balance multiple de 18 communautés, un président de la République, chef de l’État, roi constitutionnel, gardien suprême du principe de légalité, à l’instar du président Fouad Chéhab et d’autres chefs d’État dans des conjonctures complexes. Président maronite, mais dans l’intérêt de tous.

Quel profil donc ? Le profil d’une personnalité qui vient servir l’État et non se servir de l’État. Pour la première fois se pose en droit constitutionnel comparé la conciliation dans des régimes parlementaires pluralistes entre partage du pouvoir (power sharing) et séparation des pouvoirs ! L’imagination constitutionnelle d’éminents hommes d’État libanais durant les débats de Taëf mérite la plus profonde admiration dans l’intérêt du pluralisme libanais, de l’État, et en faveur de tous.

La prestation de serment est limitée, en vertu de l’article 50, au chef de l’État, alors qu’il était question dans des propositions de changement que le chef du gouvernement et le chef de législatif, dont les attributions se trouvent renforcées, prêtent aussi serment. Or le chef de l’État est seul astreint au serment : « Je jure par Dieu tout-puissant d’observer la Constitution et les lois du peuple libanais, de maintenir l’indépendance du Liban et l’intégrité du territoire. »

Preuve en est aussi qu’en vertu de l’amendement du 21 septembre 1990 créant le Conseil constitutionnel, ce conseil « peut être saisi pour le contrôle de la constitutionnalité des lois par le président de la République (…) ».

Malgré ces dispositions, le débat se poursuit à l’ancienne concernant la fonction du chef de l’État, sa présidence du Conseil des ministres, le déroulement des consultations ministérielles, la révocation des ministres, la ratification des traités… !

La fonction du chef de l’État libanais déborde toutes les attributions en vue de l’exercice d’une magistrature suprême, la défense de l’État de droit, le principe de légalité et la sauvegarde de l’intérêt général. (Pour plus de détails : A. Messarra, La genèse de l’accord d’entente nationale de Taëf, Fondation libanaise pour la paix civile permanente – FLPCP et Médiation constitutionnelle allemande-européenne-vaticane après l’accord tripartite de Damas du 28/12/1985, FLPCP).

Où réside aujourd’hui le dilemme ? Dans une mentalité maronite (nous ne disons pas les maronites ni surtout Bkerké) qui, de bonne foi ou avec imposture, couvre la violation de la souveraineté, la violation de la Constitution en ce qui concerne notamment « l’appartenance et l’identité arabes du Liban ». D’autres mentalités libanaises exigent une profonde acculturation de l’État.

Antoine MESSARRA

Membre du Conseil

constitutionnel, 2009-2019

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La réponse à la question de l’envoyé spécial de la France au Liban, Jean-Yves Le Drian, transmise le 15 août courant aux députés libanais : « Quelles sont les qualités et les compétences dont devra disposer le futur président de la République… ? » se trouve fort clairement dans l’article 49 de la Constitution libanaise, dans la genèse de cet article...

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