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Nos Lecteurs ont la Parole

La vérité n’est pas un jeu

« Comment aimerions-nous mourir ? » Drôle de question… « Nous n’aimerions pas, autant pas. » Nous en sommes tous là, n’est-ce pas ? Et même : « Nous savons que nous mourrons tous, mais nous ne le croyons pas. »

Que se passe-t-il si on nous annonce notre mort prochaine? C’est la grande question du « soi-disant jeu de la vérité », qui vaut pour les malades atteints d’une forme grave de cancer plus que pour tous les autres. Car si pour les autres, en général, le pronostic fatal est difficile à dater, s’il est presque toujours impossible de dire sans risque d’erreur à un cardiaque : « Vous en avez pour trois mois, six mois, un an », l’état de certains cancéreux peut permettre, au moins dans une phase avancée, de formuler une hypothèse approximative.

La vérité n’est pas un jeu et cette question-là est cruciale. Car si la mort dépend de la fatalité, la vérité appartient à l’homme, au médecin « présumé savoir », au malade qui veut ou ne veut pas savoir. Ici, le diable ne perd pas ses droits, puisqu’on peut et que même il faut, de toute façon, faire un choix : celui de dire, de se taire ou de mentir.

La responsabilité de prononcer un tel verdict est l’une des décisions les plus cruelles, les plus dramatiques qui pèsent sur les épaules du médecin. Devant la maladie, le chemin est tracé : il lutte avec tous les moyens en son pouvoir pour guérir le malade, améliorer son état, retarder l’heure de sa mort. Dans la plupart des cas, heureusement, il n’a pas à s’interroger. Sauf précisément sur ce point : que faut-il dire ?

Le choix n’existe pas, en apparence du moins, pour le malade qui « sait » déjà, soit qu’il ait été exactement informé dès le départ de la nature puis de l’évolution de son mal et des successives aggravations de son état, soit qu’il ait découvert par lui-même à un moment quelconque ce qu’il en était et soupçonne l’inévitable issue. Encore convient-il de nuancer le propos. La vérité du diagnostic n’est pas la vérité de l’issue, et le choix n’est pas vraiment le même. Dans la pratique, dire : « Vous avez un cancer » ou dire « Vous allez mourir », même si cela semble vouloir dire la même chose, ne veut pas forcément dire la même chose.

On peut aussi avoir été explicitement averti et puis soudain refuser d’admettre l’inéluctable. Cela se voit.

Une autre pratique, qui malheureusement peut être fréquente, consiste à se dérober, cultiver le silence, rester prudemment dans le vague, presser le pas, tourner la tête.

Et pourtant, il existe un critère qui devrait au moins guider le médecin, l’aider dans sa décision. Toujours le même : le malade.

Il est commode de prétendre, comme le font certains psychiatres et psychanalystes, qu’en évitant de dire la vérité, en refusant de décider et d’agir, le médecin a peur d’une vérité qui renvoie à sa propre condition humaine, qui lui fait entrevoir sa propre mort : « Nous sommes tous mortels, moi, le médecin, je mourrai un jour comme vous, le malade, vous allez mourir. Alors, comme vous, j’ai peur et la peur paralyse. Vous voyez bien que je ne suis qu’un homme comme les autres, un homme comme vous. »

Certains, médecins, dit-on, seraient si attachés à leurs malades qu’ils ne supporteraient pas l’idée de les voir mourir. Ou encore, la mort du patient est un signe de leur échec. Puisque leur métier implique la vie, pourquoi devraient-ils se faire les messagers du destin ?

Regardons de plus près toutes les raisons pour ou contre la vérité. On pourrait certes les exprimer autrement, en allonger la liste. Peu importe qu’on trouve dix réflexions dans l’un des plateaux de la balance, cinq seulement dans l’autre : il s’agit d’un raisonnement qualitatif et non quantitatif.

L’instinct, le tempérament, la personnalité, les circonstances et tout le non-dit, informulé mais ressenti, importent-ils finalement davantage qu’une démonstration qui se veut rigoureuse et qui, en pareille matière, ne peut pas l’être? Certains évoqueront la sagesse qui dit que toute vérité n’est pas bonne à dire. Faut-il entendre que le mensonge est préférable ?

Même s’il y a beaucoup d’exemples différents de réactions de malades ou de médecins face à la situation délicate de fin de vie, ce n’est pas à partir de précédents que l’on pourra déduire une ligne de conduite valable en toutes circonstances et pour tous. Ne dit-on pas souvent que la santé est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux seuls médecins ? N’en est-il pas de même de ce choix face à la vérité ?

La voie la plus difficile, celle qui demande le plus grand courage, est toujours la moins encombrée. Truquer, mentir ou se défiler, c’est préserver à tout prix le personnage de grand prêtre de la science, de sorcier de la santé, c’est dissimuler l’échec, c’est cacher qu’on ne sait ni ne peut tout. La seule relation honnête et courageuse est fondée sur la sincérité.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

« Comment aimerions-nous mourir ? » Drôle de question… « Nous n’aimerions pas, autant pas. » Nous en sommes tous là, n’est-ce pas ? Et même : « Nous savons que nous mourrons tous, mais nous ne le croyons pas. »Que se passe-t-il si on nous annonce notre mort prochaine? C’est la grande question du « soi-disant jeu de la...

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