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Nos Lecteurs ont la Parole

Revenir...

On était pris dans un embouteillage monstre. La voiture était à quelques mètres de l’arrivée des passagers à Montréal. En quelques secondes, ma placidité et mon calme légendaire m’abandonnent. Laissant place à une maman qui s’enflamme, ne pouvant pas attendre une seconde de plus. Je suis descendue de la porte des passagers et me suis mise à courir pour retrouver mon fils qui nous attendait. Parmi la multitude de têtes, de jeunes, de valises, de policiers de la circulation, j’aperçois enfin le frisottis doré de sa coupe de cheveux à la mode et je reconnais sa démarche, ses yeux las percés d’un vert bleu couleur du ciel. Je cours vers lui au milieu de la rue achalandée, comme on le dit dans mon Québec chéri, et je fonds en larmes. J’embrasse par mégarde son sac à dos imprégné d’un mélange olfactif de sueur, parfum, air de voyage et saleté qui était le paradis pour moi. Il me regarde à peine, me lance un petit rictus, mi-

gêné, mi-fier, et me dit : chou mam. Je fonds de plus belle. Cette fois, il m’enlace, il est encore plus grand, à peine j’arrive à son omoplate qui est devenue de plus en plus musclée. Vous allez me dire : où il était ? Eh bien, c’était son premier voyage seul au Liban depuis notre exil à Montréal, il y a un an déjà.

Je ne m’attendais pas du tout à ce que je sois aussi troublée par ce moment. Il est à peine parti quelques semaines à bronzer sous notre soleil iodé. J’ai compris enfin ce que mes parents ont dû ressentir quand on part à chaque fois. Surtout ma mère. On apprend à avoir le cœur élastique, sinon il s’effrite en miettes, encore plus à chaque fois.

Quel sentiment bizarre de penser après un an d’adaptation à Montréal – qui n’est vraiment pas la porte d’à côté – comme à son pays natal, 365 jours qui m’ont semblé comme des années lumière. Mon histoire n’est certainement pas la seule. Mon amie Carole est à Doha avec son époux, sa fille Mia à Paris et la petite à Nice. Nice où habite encore une très bonne amie, Corinne. Ses enfants sont au Liban, son mari fait des allers-retours à Djeddah. Christiane, superbe femme et amie, PhD en poche, trois enfants aux quatre coins du monde. Hala, bijoutière architecte, dont le fils est aux États-Unis, une fille à Londres, les autres au Liban. Notre famille, ma sœur Dania adorée au Koweït, mes parents au Liban et moi à Montréal. Des exemples à la pelle... Des chassés-croisés parmi les avions, les aéroports, et des heures de nos vies qui s’estompent dans les fuseaux horaires imaginaires. Le quotidien déchirant des Libanais contraints à se séparer, in extremis, pour vivre. Si vous pensez qu’ailleurs, c’est facile, détrompez-vous. C’est pour cela que je m’efforçais de garder un lien, ne serait-ce que par un like débile ou un mot lancé de temps en temps en tentant, juste pour savoir qu’on n’est pas seul et qu’on existe encore pour les personnes qui nous importent. En fin de compte, tout ce qui compte, c’est de se sentir écouté, validé. Communiquer avec réciprocité pour confirmer notre présence, même virtuelle et fictive parfois.

Être en exil est un traumatisme. Atténué seulement par des rencontres préétablies par le puzzle divin. Des personnes qui sont un baume au cœur. Des femmes d’exception. Avancer au jour le jour dans le vide, ayant sa foi comme compas et rien d’autre. Ma vie à Montréal est pleine de surprises inimaginables. Je sens que c’est devenu ma terre, rapidement d’ailleurs, ce sentiment d’appartenance me surprend encore. Ou bien est-ce que finalement j’ai découvert que l’amour d’un pays peut ne pas faire mal, l’amour d’un pays peut ne pas être toxique. L’amour du pays peut être sans problèmes et tout se résout par une communication saine. Pas besoin de partir dans une combustion émotionnelle unilatérale à chaque fois qu’on essaye de se mettre à deux. Peut-être, car je ressens la présence efficace, solide, stable d’un gouvernement à mes côtés. Des lois qui sont appliquées. Des taxes exorbitantes payées, mais dont je retrouve la justification.

L’idée de revenir devient pénible et de plus en plus lourde. Revenir à qui ? La famille certes… Mais revenir à quelle vie ? Quelles lois ?

Revenir à quel prix ? Quelle vision globale pour nos enfants ? Nous ne sommes pas le seul pays multicommunautaire, mais on est

« multi-autodysfonctionnels » plutôt. Je retrouve plus les valeurs de mon Liban parmi les personnes que je côtoie à l’étranger. Les raisons, vous les connaissez : le manque d’effort, de souveraineté, de courage, mais la plus simple, personne ne peut subsister dans une relation unilatérale et sous pression. En fin de compte, aimer quelqu’un qui ne vous aime pas, c’est comme attendre un bateau à l’aéroport.

Revenir… pas de sitôt !

Joanna TYAN

Montréal

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

On était pris dans un embouteillage monstre. La voiture était à quelques mètres de l’arrivée des passagers à Montréal. En quelques secondes, ma placidité et mon calme légendaire m’abandonnent. Laissant place à une maman qui s’enflamme, ne pouvant pas attendre une seconde de plus. Je suis descendue de la porte des passagers et me suis mise à courir pour retrouver mon fils qui nous...
commentaires (2)

Très touchant. Merci

Brunet Odile

08 h 22, le 19 août 2023

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Très touchant. Merci

    Brunet Odile

    08 h 22, le 19 août 2023

  • Triste moi je suis en Italie du nord pas loin de Milan , heureusement mon dernier voyage au Liban c’était en 2019 après le désastre et le Covid ….

    Eleni Caridopoulou

    13 h 42, le 12 août 2023

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