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Politique - REPORTAGE

À Kahalé, « la guerre ne s’est jamais terminée »

Une chape de plomb pèse sur le village maronite depuis l’assassinat de Fadi Bejjani. Mais les habitants ont conscience de leur impuissance face à l’arsenal du Hezbollah. 

À Kahalé, « la guerre ne s’est jamais terminée »

Lena Bejjani se recueille sur le cercueil de son époux décédé deux jours plus tôt, lors d’une fusillade avec des partisans du Hezbollah. Kahalé, le 11 août 2023. Photo Hussam Chbaro

Le soleil est de plomb aux abords de l’église Saint-Antoine. Il est midi à Kahalé et l’autoroute principale, d’ordinaire très fréquentée, est aujourd’hui déserte. La circulation a été coupée plusieurs kilomètres en amont afin d’assurer la sécurité en cette journée noire. À mi-chemin entre Aley et Baabda, le petit village maronite est en ébullition. Fadi Bejjani, légende locale, s’est éteint il y a deux jours après avoir été blessé lors d’un affrontement armé avec des partisans du Hezbollah venus défendre un camion accidenté appartenant au parti. Le corps vient d’être acheminé au pied de l’autel, à quelques mètres seulement de la maison du défunt, en bas des escaliers voisins. Le fils aîné, Élie, n’a pas pu rentrer à temps du Canada pour assister aux funérailles : les caméras seront interdites afin de lui épargner des images trop pénibles. Neuf assemblages de roses blanches trônent dans la nef. Tout est prêt pour dire un dernier adieu au fils du village. Il ne manque plus que les fidèles. Aux portes de l’église, un homme veille en silence. Son polo bleu marine appelle à la « rédemption ». Pas un mot ne sortira de sa bouche sur les évènements de cette semaine. La famille de la victime a donné le mot d’ordre : interdiction de parler aux médias. Il est midi à Kahalé et tout le village pleure le départ de « ammo Fadi ».

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Malgré la foule et le brouhaha ambiant, l’atmosphère est intime. Les amis se retrouvent autour d’un café. « Tante Lena », la femme du défunt, a le regard triste et « plus rien à dire ». Elle et ses enfants ont souhaité que cette journée se déroule loin de la politique, le plus loin possible. Assis à l’écart sur une chaise en plastique, Élias a encore du mal à parler de son oncle sans être interrompu par l’émotion. « Tout le monde l’aimait », dit-il au sujet de celui qu’il considérait comme un père.

Il n’est pas le seul ici à nourrir une certaine admiration pour l’homme. Fadi Bejjani, la soixantaine, « en faisait vingt de moins malgré le cancer qui le rongeait ces derniers temps », affirme Abboud, une vieille connaissance. L’ex-milicien, passé par les Phalanges dont il restera proche toute sa vie, est un vétéran de la guerre. Un vieux de la vieille dont le nom est indissociable de son ami de toujours, Élie Hobeika, qu’il suivra dans les rangs du parti de la promesse à partir de 1986. Fidèle jusqu’au bout, il conservera sa carte plus de deux décennies après la mort de ce dernier, malgré la perte de popularité du mouvement et son désintérêt croissant pour la chose publique. Avec le temps, la fougue des jeunes années s’est tarie. La fin de la guerre sonne le glas de son engagement politique. S’il entretient ses liens avec ses vieux amis, Fadi Bejjani ne s’implique plus. « Ce qui comptait, c’était la famille », se souvient Élias, vingt-quatre ans.

Photos Hussam Chbaro

« Chaque famille a son martyr »

La famille Bejjani a voulu une « cérémonie populaire » et non pas « protocolaire ». Aucune mention ne sera faite du Hezbollah et il a été demandé aux chefs de parti de rester en retrait. « Ils ont réclamé qu’il n’y ait pas de tirs – calmes et pacifiques, ils tentent de calmer le jeu », explique un habitant. Mais même mise en sourdine, la politique n’est jamais très loin. Les efforts combinés de la famille et des proches n’ont pas suffi à faire oublier cette chape de plomb qui pèse sur Kahalé depuis deux jours. Les habitants sont en colère. « Quelque chose de très dangereux est en train de se passer », souffle Théodora, originaire du village et responsable locale des Kataëb. Un mot suffit à raviver la rancœur. « Bientôt, nous n’aurons plus d’autre choix que la partition (fédérale) », tonne Abboud.

Ici, le souvenir de la guerre civile est plus perçant encore qu’ailleurs. Même les plus jeunes savent que les crevasses de la façade de l’église Saint-Antoine ont été causées par les bombardements intensifs de 1976. Dans une bourgade où tout le monde se connaît, personne n’a oublié les disparus des « évènements ». « Chaque famille a son martyr. Chez nous, la guerre ne s’est jamais terminée », dit une mère de famille. En décembre 2020, l’assassinat d’un autre enfant du quartier, Joe Bejjani, avait déjà endeuillé le village. Et instillé chez les habitants le sentiment d’être comme abandonnés des dieux. « Ici, nous payons le prix du sang depuis des siècles », soupire Abboud.

Moins de trois ans après, le mauvais sort a de nouveau frappé. Mais cette fois, il a un visage et un nom. Le Hezbollah « ne veut pas nous laisser vivre », fulmine une mère de famille. Tous, pourtant, ont conscience de leur impuissance face à l’arsenal d’une milice qui n’hésite plus à exploiter l’effondrement de l’État pour user de sa toute-puissance. « Même si on voulait les affronter, on n’en aurait pas les moyens : chacun a des armes à la maison, mais nos enfants ne savent plus combattre », poursuit cette dernière.

Depuis mercredi, la colère est aussi dirigée contre l’armée. Dans la région, beaucoup de familles ont des membres appartenant à l’institution. La relation à la grande muette y est particulièrement forte. Celle qui était censée les protéger leur a pourtant fait défaut : malgré les nombreux appels des villageois, les troupes mettent plusieurs heures avant d’arriver sur les lieux de l’incident. Une fois sur place, les soldats se montrent violents à l’encontre des locaux. Mais si le lien a plié, il n’a pas rompu. « Nous continuons de croire dans l’armée », confie Abboud. « Elle reste notre seule garantie. Nous n’avons pas d’autre option », abonde un habitant.

Le soleil est de plomb aux abords de l’église Saint-Antoine. Il est midi à Kahalé et l’autoroute principale, d’ordinaire très fréquentée, est aujourd’hui déserte. La circulation a été coupée plusieurs kilomètres en amont afin d’assurer la sécurité en cette journée noire. À mi-chemin entre Aley et Baabda, le petit village maronite est en ébullition. Fadi Bejjani, légende...

commentaires (5)

Il faut raison garder. Il ne s'agit pas d'un assassinat mais d'un combat entre factions armées menant deux combattants, l'un chrétien, l'autre chiite à leur champ d'honneur. Il faut avouer que les "pauvres" chiha n'ont pas eu de bol... tomber en panne avec leurs katiouchas et leurs munitions à la tonne juste devant la permanence des Kataéb, et la croix en face. Ils auraient pu mieux choisir le lieu de leur panne. La prochaine fois, ils passeront par Jamhour.

Ca va mieux en le disant

17 h 22, le 12 août 2023

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Commentaires (5)

  • Il faut raison garder. Il ne s'agit pas d'un assassinat mais d'un combat entre factions armées menant deux combattants, l'un chrétien, l'autre chiite à leur champ d'honneur. Il faut avouer que les "pauvres" chiha n'ont pas eu de bol... tomber en panne avec leurs katiouchas et leurs munitions à la tonne juste devant la permanence des Kataéb, et la croix en face. Ils auraient pu mieux choisir le lieu de leur panne. La prochaine fois, ils passeront par Jamhour.

    Ca va mieux en le disant

    17 h 22, le 12 août 2023

  • Ces fossoyeurs savent qu’il n’ont pas le monopole des armes portatifs mais sont fort de leurs armes lourdes qu’ils sont disposés à retourner contre leurs compatriotes sans états d’âme, alors ils déclarent tranquillement que ça n’est pas la première ni la dernière fois qu’ils feront passer leurs munitions par ces mêmes régions comme une menace ou un message à Israël pour les détruire à un passage sensible comme pour le nitrate d’ammonium au port. Message reçu, on sera tue soit par les soins des fossoyeurs soit par leurs alliés-ennemis de toujours qui n’hésitent jamais à leur donner un coup de main pour détruire notre pays et son peuple sans état d’âme ni vergogne. Pauvres que nous sommes nous continuons de subir sans broncher.

    Sissi zayyat

    14 h 43, le 12 août 2023

  • Le Hezbollah a fait une erreur de ne pas condamner l’incident survenu à Kahalé. Toutefois, on attend la fin de l’enquête pour savoir ce qui s’est passé réellement avec les tirs qui ne bénéficie pas du tout au Hezbollah. Une nouvelle haine est née auprès du fief des kataëb.

    Mohamed Melhem

    12 h 17, le 12 août 2023

  • Assassinat??? Les images et photos parlent d elles mêmes .. l assassin assassiné :match nul … On n entend pas la même haine de l autre côté.

    HODROGE Gassane

    12 h 02, le 12 août 2023

  • Pire que la guerre civile parce que tu n’oses pas riposter

    Eleni Caridopoulou

    01 h 26, le 12 août 2023

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