Rechercher
Rechercher

Lifestyle - La Mode

« Souviens-toi de l’amour », la collection existentielle d’Ahmed Amer en hommage au Bardo

Dans le choix de créer des vêtements, il y a souvent le désir de voir ses rêves peupler les rues. Ahmed Amer lance sa nouvelle collection comme une éternelle célébration du Bardo, le bar LGBTQ+ qui a laissé en fermant ses portes toute une communauté orpheline de sa bienveillance.

« Souviens-toi de l’amour », la collection existentielle d’Ahmed Amer en hommage au Bardo

L’affiche créée en hommage au Bardo. Photo DR

« Dès notre naissance, on nous dit que tout est éphémère. Rien ne dure éternellement. Pourtant, nous continuons à nous efforcer d’écrire nos propres récits, nos propres histoires, en espérant qu’on s’en souviendra encore longtemps après nous », écrit le créateur Ahmed Amer en guise de contexte, pour sa nouvelle collection. « La mort est la seule chose inévitable dans la vie. Mais il n’y a pas de mort sans naissance. Et après la mort, si l’on a de la chance, il y a la renaissance », poursuit-il. D’emblée, cette nouvelle ligne s’inscrit dans un monde désenchanté, à la fois de plus en plus étroit et sans repères. Plus que de vêtements, il s’agit ici de draper passeurs et passants de toile qui racontent leur désarroi et les sauvent peut-être d’un inéluctable effacement.

Ahmed Amer lance sa nouvelle collection comme une éternelle célébration du Bardo. Photo Céline Dagher

Des formes gagnées sur les rêves interdits

« Suis-je trop naïf pour toujours rêver en grand ? Ai-je laissé les choses m’atteindre à un moment donné ? Me suis-je trop battu ? Ou cela n’a-t-il pas suffi ? Pourquoi suis-je déçu par moi-même ? Ou devrais-je me défouler sur le monde parce qu’il m’a laissé tomber ? Pourquoi ai-je l’impression que mon monde s’écroule autour de moi ? » : les questions se bousculent. Une monstrueuse explosion a anéanti la vie d’avant, la ville d’avant. Ahmed Amer fait du vêtement un récit, une confidence. Chaque pièce est une forme gagnée sur les rêves interdits. Chaque veste, démesurée, déstructurée, chaque doudoune jaune cousue dans son épaisseur de visages songeurs, de silhouettes confuses et imbriquées, chaque combinaison rouge à col serpent, chaque robe noire à épaules démesurément arrondies, racontent la confection d’un leurre pour reprendre confiance en soi, s’habituer à l’idée de la perte, œuvrer à la récupération, fût-ce autrement.

Des doudounes jaunes cousues dans leur épaisseur de visages songeurs. Photo Céline Dagher

Toute une jeunesse piégée dans un ascenseur sans destination

« De la navigation en douceur sur des ruisseaux célestes aux marches accablantes sur des routes rocailleuses, mon chemin est passé de lignes fines à des formes démesurées, et pourtant, d’une manière ou d’une autre, je continue à pousser à travers. Est-ce de l’espoir ? Ou suis-je simplement en train de flotter sans but dans l’espace, coincé dans une boucle ? » s’interroge encore Ahmed Amer. Les images se font floues, oniriques. Le clip de la collection, réalisé par Jude Bourdoukan, montre des visages nimbés d’une lumière nocturne, des silhouettes qui se confondent dans une sensualité inquiète, exacerbée par les halos rouges ou indigo d’un éclairage artificiel, des trans se préparant à un défilé, une mélancolie rêveuse entortillée dans des pans de plastique, toute une jeunesse piégée dans un ascenseur sans destination, sur laquelle se projettent les griffonnages d’Ahmed Amer, illustrateur et architecte d’intérieur avant de choisir la mode comme véhicule de son esthétique de la désillusion.

« Nous nous souviendrons toujours de l’amour »

Mais que représentent ces graphismes brodés ou imprimés, si caractéristiques de la patte Ahmed Amer ? « Le Bardo, un état transitoire entre la mort et la renaissance. Est-ce là que je me trouve maintenant ? Chaque espace que je me suis créé pendant toutes ces années était-il un état transitoire ? Est-ce la raison pour laquelle je continue à avancer ? Et si je choisis de renaître, y a-t-il encore de l’espoir ? » songe le créateur. Pour la communauté LGBTQ de Beyrouth, le Bardo n’était pas qu’un bar de plus. C’était un foyer, un repère rassurant, un lieu inclusif où chacun pouvait être soi-même, déployer ses talents, se sentir protégé malgré son infinie vulnérabilité. Le Bardo a fermé ses portes en octobre 2021, l’estocade lui ayant été portée par la crise économique et le départ de son personnel. Il aura représenté un moment unique dans l’histoire sociale et sociétale de Beyrouth. Un hommage s’imposait. Amer le ressuscite à travers une illustration à sa gloire : le Bardo print. « Cette collection est un hommage au Bardo, un espace culturel et sûr pour beaucoup, que nous avions l’habitude d’appeler la maison. Même après l’escale du Bardo, son esprit restera et nous nous souviendrons toujours de l’amour », souligne-t-il.

On y retrouve toute l’atmosphère du lieu, son décor, son bar, ses tables, sa faune familière, ses rituels. Jetés à l’encre noire sur un tissu couleur kraft, ces dessins transportent le Bardo sur le dos de ses habitués, tout entier là où ils se trouvent, où qu’ils se trouvent. « À quoi ressemble ce qui se trouve derrière cette porte ? Si je choisis de renaître, dois-je tout revivre ou puis-je choisir ma propre voie ? Beyrouth n’est plus ici. Beyrouth est partout. Des morceaux de mon cœur sont éparpillés partout, ma diaspora personnelle. Il n’y a plus de frontières, seulement de l’amour », songe encore Ahmed Amer.

« Dès notre naissance, on nous dit que tout est éphémère. Rien ne dure éternellement. Pourtant, nous continuons à nous efforcer d’écrire nos propres récits, nos propres histoires, en espérant qu’on s’en souviendra encore longtemps après nous », écrit le créateur Ahmed Amer en guise de contexte, pour sa nouvelle collection. « La mort est la seule chose...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut