Rechercher
Rechercher

Politique - Focus

Amine Salam ou les déboires du « Meilleur espoir sunnite »

Le ministre de l’Économie semblait avoir un avenir politique prometteur, mais la polémique avec le Koweït risque de contrarier ses plans.

Amine Salam ou les déboires du « Meilleur espoir sunnite »

Le ministre sortant de l'Économie Amine Salam reçu par le mufti de la République Abdellatif Deriane, à Dar el-Fatwa, en mars dernier. Photo tirée du site de Dar el-Fatwa

La chute est brutale pour Amine Salam. Le ministre sortant de l’Économie,  à un moment considéré comme un potentiel successeur au Premier ministre sortant Nagib Mikati, s’est retrouvé au cœur d’une polémique aux allures de crise diplomatique qui a de quoi compromettre son avenir politique. La raison ? Il a affirmé que le Koweït pouvait reconstruire les silos du port de Beyrouth, soufflés par une double explosion le 4 août 2020, « d'un trait de plume ». Des propos qui ont suscité l’ire des Koweïtiens, puisqu’ils reflètent « une compréhension limitée de la manière dont les décisions sont prises au Koweït », à en croire un communiqué de leur ministère des Affaires étrangères. Or, dans un Liban en quête de financement pour sortir de quatre ans de crise, difficile de prétendre à un avenir politique sans un feu vert des États du Golfe. Surtout quand on est sunnite.

Il se « verrait bien Premier ministre »
Les propos d’Amine Salam interviennent alors qu’il a annoncé, le jeudi 3 août, avoir envoyé une lettre à l’émir du Koweït, Nawaf al-Ahmad al-Sabah, lui « demandant au nom du peuple libanais (...) de reconstruire les silos ». Face à la polémique, il est revenu sur ses déclarations, regrettant lors d’une conférence de presse « la confusion autour de l’expression “d’un trait de plume” ». Mais le mal était fait. L'affaire n’est pas sans rappeler celle de Georges Cordahi. L’ancien ministre de l’Information a dû démissionner du gouvernement Mikati en décembre 2021 après avoir provoqué par ses propos hostiles à la guerre au Yémen une rupture momentanée des relations diplomatiques avec les monarchies du Golfe. Il est peu probable que M. Salam fasse de même, la crise étant contenue pour le moment et le gouvernement Mikati III étant déjà démissionnaire. Mais même s’il garde son poste, l’avenir politique autrefois prometteur d’Amine Salam pourrait être compromis. « Amine Salam a clairement pour ambition de devenir Premier ministre, mais les chancelleries arabes et occidentales estiment qu’il n’en a pas l’étoffe », affirme à notre journal un proche du club des anciens Premiers ministres sunnites.

Pour en savoir plus:

Amine Salam revient sur des propos qui ont irrité le Koweït

M. Salam, lui, ne s'en cache pas. Il souhaite jouer un rôle important sur une scène sunnite sans leader depuis le retrait de Saad Hariri en janvier 2022. Un rôle qu'aucune figure n’a jusqu'ici pu assumer, faute de poids sur la scène libanaise, mais aussi parce que les pays du Golfe ne soutiennent aucun prétendant.

Amine Salam était inconnu du grand public jusqu’à sa nomination au ministère de l’Économie en septembre 2021. Il fait alors très vite fait parler de lui. On dit qu’il est proche des Américains, qu’il a (ironie du sort) des liens familiaux avec la famille royale au Koweït, le ministre des Affaires étrangères koweïtien étant son cousin, et surtout qu’il a été choisi d’un commun accord par le Premier ministre Nagib Mikati et le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil. En effet, le beau-frère de M. Salam est un cadre du CPL, et M. Bassil a espéré que sa nomination serait perçue comme un clin d’œil à la communauté internationale.  Le ministre est donc l’une des rares figures sunnites à ne pas être abhorrée par les aounistes et à disposer d'un carnet d'adresses bien fourni. Il le sait et compte bien en tirer profit. En juin 2022, il fait son premier pas pour s’ériger en prétendant sérieux au Sérail, alors que le CPL refuse de reconduire Nagib Mikati. Ainsi, quand le président Michel Aoun convoque les députés au palais de Baabda pour mener les consultations contraignantes et nommer un nouveau Premier ministre après les élections législatives, M. Salam se dit « prêt » à assumer pareille responsabilité. « Plusieurs blocs politiques m’ont contacté », a-t-il affirmé lors d’une interview. Si, en fin de compte, il n’est nommé par aucun député, laissant le champ libre à Nagib Mikati, Amine Salam ne lâche rien et répète à qui veut l’entendre qu’il se verrait « bien Premier ministre ».

« Victime collatérale »
Pendant ce temps, et alors qu’il essayait – en vain – de former une nouvelle équipe ministérielle, Nagib Mikati n’inclut le nom de son ministre de l’Économie dans aucune des moutures qu’il propose, comme pour le punir de l’avoir défié. Mais Amine Salam continue sa stratégie de rapprochement avec le CPL, peut-être dans l’espoir qu’il sera le Premier ministre du mandat présidentiel suivant, sur lequel Gebran Bassil insiste pour avoir une influence considérable. Il boycotte ainsi la première réunion du Conseil des ministres après la fin du mandat Aoun, convoquée en décembre par le chef du gouvernement et considérée comme anticonstitutionnelle par les chrétiens, notamment le CPL. Une position qui lui vaut un bon point de Gebran Bassil, qui loue lors d’une conférence de presse quelques jours plus tard « la loyauté de Salam ». Dans une volonté apparente de ménager la chèvre et le chou, le ministre finit par assister aux réunions suivantes du gouvernement – qui auraient pu avoir lieu sans lui – visiblement pour s’épargner les critiques des ténors sunnites.

Mais tous ces efforts ne pourront porter leurs fruits sans couverture arabe. « Amine Salam est grillé. Il ne peut plus prétendre au Sérail. Il est la victime collatérale du ras-le-bol des pays du Golfe vis-à-vis du Liban », estime le proche des anciens Premiers ministres. La polémique intervient en effet au même moment où ces pays, dont le Koweït, ont émis des recommandations de voyage renforcées pour leurs ressortissants au Liban. « En soi, les propos du ministre sont loin d’être scandaleux, remarque notre interlocuteur. Mais le Koweït a réagi ainsi pour envoyer un message clair : les pays arabes ne financeront plus le Liban s’il ne change pas de trajectoire. »

La chute est brutale pour Amine Salam. Le ministre sortant de l’Économie,  à un moment considéré comme un potentiel successeur au Premier ministre sortant Nagib Mikati, s’est retrouvé au cœur d’une polémique aux allures de crise diplomatique qui a de quoi compromettre son avenir politique. La raison ? Il a affirmé que le Koweït pouvait reconstruire les silos du port...

commentaires (6)

Et mon commentaire alors?

Sissi zayyat

21 h 47, le 08 août 2023

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • Et mon commentaire alors?

    Sissi zayyat

    21 h 47, le 08 août 2023

  • N’empêche que ce ministre ne s’est pas écrasé devant « nos frères arabes ». Le Koweït s’était fait de la pub à bon compte en s’engageant à reconstruire les silos, le ministre le lui a rappelé et c’était bien envoyé. Et quelle arrogance que de demander à un ministre de la République, si fauchée soit-elle, de « retirer ses propos ». Ces gens-là ne respectent que le fric et pas leurs engagements.

    Marionet

    15 h 01, le 08 août 2023

  • La phrase "clin d'œil à la Communauté internationale" m'a fait hurler de rire. La Communauté internationale, n'a rien, mais absolument rien à cirer de nos mimiques et de nos gesticulations. Je ne pense pas que les ambassadeurs rapportent à leurs pays qu'un tel a dit ceci et l'autre a fait cela. La crise libanais ressemble à match sportif se déroulant à l'étranger alors que les libanais se massent dans le stade pour le suivre en attendant le résultat. Nos frères arabes disent à leurs ressortissants éloignez-vous. Les alliés libanais de nos frères arabes ne savent pas pourquoi !!! C'est de l'alliance ça? ou de la méfiance?

    Céleste

    10 h 57, le 08 août 2023

  • Mais non. Il ne faut pas s'en faire. Lui et le ministre des AE du Koweit sont cousins germains....

    Michel Trad

    10 h 19, le 08 août 2023

  • Un pseudo incident diplomatique sans importance, pas de de quoi en faire un plat et encore moins un article. Amine Salam se bouge lui, au moins. Il a une vraie capacité d’écoute et de bonnes connexions à l’étranger. J’ai eu la chance de le rencontrer durant les activités de volontaires à Beirut. Il a toute mon estime, J’ai vu de honnêteté dans ses yeux, il veut aider son pays. Si, si, ça existe. Je lui souhaite bonne chance, de continuer ses efforts sans s’attarder sur ces petites polémiques.

    Emmanuel Durand

    10 h 10, le 08 août 2023

  • Inadmissible de toujours penser que "les autres " régleront nos problèmes. Inadmissible qu'on continue à mendier et vendre l'honneur à la plus value. Avec des gens sérieux au pouvoir, le Liban peut, et doit se relever de lui même. Arrêtons ce leche pied à quiconque une fois pour toute.

    Raed Habib

    09 h 34, le 08 août 2023

Retour en haut