Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

L’expérience dans la recherche constitutionnelle libanaise et comparée, 1960-2023

Il était courant chez des auteurs en droit constitutionnel libanais de dire que le régime constitutionnel du Liban est sui generis. Considérer qu’un régime est complètement singulier, c’est dire qu’il est hors de toute classification, et donc un mystère non encore élucidé ou un miracle qui n’arrive qu’une fois !

Dans des recherches étrangères, dans la collection Comment ils sont gouvernés (PUF), vers les années 1960, à propos de pays qui se caractérisent par leur pluralisme religieux et culturel (Suisse, Belgique, Yougoslavie, Chypre, Inde, îles Maurice, îles Fidji, Ghana, Afrique du Sud…), quand des auteurs se penchaient sur certains aménagements et pour la garantie de la participation dans la vie publique, ils qualifiaient ces aménagements de « spéciaux » et en passaient outre vers d’autres considérations générales !

Dans des palabres relatifs à des articles fondamentaux et constants dans la constitution libanaise et que des auteurs mettent dans la poubelle : « confessionnalisme », dont les articles 9, 10, 19 (statut personnel et enseignement), 49, 65, 95 (prééminence de l’État, règles du quota ou de discrimination positive, majorité qualifiée…), des auteurs ne disent pas que signifie « confessionnalisme » ni « confessionnalisme politique » ! Le débat verse alors dans la polémique dans une perspective de critique ou d’apologie ! Des palabres depuis plus d’un demi-siècle se poursuivent, ce qui avait amené Charles Hélou à écrire avec profondeur et ironie dans Le Jour, le 18/8/1945 : « Je supprime le confessionnalisme, tu supprimes le confessionnalisme, il supprime le confessionnalisme, nous supprimerons le confessionnalisme… »

L’idéologie dominante est celle jacobine de l’édification nationale exclusivement par le fer et le sang, par un centre qui s’étend par la force à toute la périphérie. Ce qui montre la domination de cette idéologie, c’est l’incapacité d’auteurs à qualifier et catégoriser le pacte de 1943 décrit en tant qu’« accord entre deux personnes » de compromission ou d’entente incompatible avec l’idée même de nation !

Ce qu’on ignore à la lecture des travaux d’Edmond Rabbath est qu’il était fort préoccupé par l’étude méthodique – oui, désormais méthodique – du problème communautaire au Liban et de la gouvernabilité du régime constitutionnel libanais à un âge où les recherches comparatives, depuis surtout les années 1970, n’avaient pas encore émergé. Ce qui explique son intérêt et son respect à propos de certaines approches, alors que d’autres appréhendaient certains écrits avec mépris et ironie !

Antoine Azar rapporte sa rencontre, en mars 1945, à Damas avec Edmond Rabbath, qui était au sommet de sa carrière professionnelle en droit et enseignement supérieur, alors qu’Antoine Azar était encore jeune. Il encourage alors Antoine Azar à poursuivre des études de droit : « La rencontre se produisit à Damas, en mars 1945. Edmond Rabbath reprit, comme se parlant à lui-même : “Le Liban a besoin qu’on s’occupe très sérieusement de son régime. Il y a la question des communautés. C’est très embarrassant. Il faut trouver une solution.” Ces mots, proférés avec un accent de grande sincérité et de grande conviction, produisirent sur moi un effet magique. »

N’importe quel terme en langue arabe dévie en slogan ! Même « Dieu » se trouve pollué et se pollue à travers des formations politiques, comme Daech, al-Nosra et autres… !

La première observation de Pierre Rondot, qui était membre du jury de ma thèse en 1974 puis de ma seconde thèse en 1982, sous la direction de Julien Freund et Toufic Fahd, à l’Université des sciences humaines de Strasbourg, a été : « J’attends de votre thèse une réponse au dilemme du problème des communautés au Liban et de leur représentation. » L’ouvrage de Pierre Rondot en 1947 est une référence méthodique, scientifique et toujours actuelle pour l’étude du régime constitutionnel libanais sans jacobinisme, ni idéologie de la modernité, ni aliénation culturelle.

Classification et non doctrine

Comment traduire en arabe une terminologie étrangère, depuis surtout les années 1970, fort normative en droit constitutionnel comparé : consociation, consensuel, proporzdémocratie, concordance… ? Les mots en langue arabe, à cause de régimes tyranniques, d’idéologies en vogue, d’un habitus mental ou d’imposteurs, se transforment en slogans !

L’étude méthodique exige la rupture avec toute une programmation mentale du passé. Il faut aussi ajouter l’exigence de distinguer : quel est le « principe » ? Que dit le « texte » ? Quelle est la « pratique » ? Que dit le « discours » en vogue ? La Constitution libanaise, dans le texte et l’esprit, est le fruit d’une maturation séculaire. Il n’y a pas, « expérimentalement », une autre alternative ! Quant à la praxis, surtout depuis 2016, elle est la pire mondialement !

Les recherches comparatives internationales, depuis surtout les années 1970, auxquelles nous avons apporté quelques contributions, ont été appréhendées par des auteurs libanais et étrangers en tant que « théorie », « philosophie » ou « doctrine », alors qu’il s’agit de « classification », d’une typologie. A-t-on idée de « critiquer » la pression artérielle, le rhume, la pandémie de Covid… ? Tout phénomène humain et matériel, même l’amour humain, comporte des pathologies, mais aussi les règles de son bon fonctionnement et thérapie. Les autres systèmes exclusivement concurrentiels ont aussi leurs pathologies ! Toute organisation politique comporte ses pathologies qu’il s’agit de traiter avec sa propre remédiation. On ne peut guérir une maladie que par « ses » remèdes.

Le régime constitutionnel libanais est un régime parlementaire pluraliste, régi par toutes les normes du parlementarisme classique, mais s’y associent des processus à la fois compétitifs et coopératifs pour éviter les risques d’exclusion permanente.

La légitimité et la légitimation dans la conscience collective du régime constitutionnel libanais, problème que soulève avec inquiétude Michel Hajji Georgiou, sont un problème culturel et d’acculturation en continuité parfaite avec Michel Chiha et les pères fondateurs.

Nombre de mutations endogènes sont possibles au Liban sous condition de respect des normes constitutionnelles de la discrimination positive (art. 95), de l’autonomie personnelle (art. 9, 10, 19), de la formation de gouvernements « exécutoires » (ijrâ’iyya), et non de miniparlements (ch. 4 de la Constitution), l’exercice par le président de la République de sa fonction de chef de « l’État » (art. 49), garant de la suprématie de la Constitution et des normes de la vie publique.

Antoine MESSARRA

Chaire Unesco – USJ

Extrait de l’ouvrage de l’auteur : « Les régimes parlementaires

pluralistes. Authenticité et

innovation en droit constitutionnel libanais », à paraître en 2023

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Il était courant chez des auteurs en droit constitutionnel libanais de dire que le régime constitutionnel du Liban est sui generis. Considérer qu’un régime est complètement singulier, c’est dire qu’il est hors de toute classification, et donc un mystère non encore élucidé ou un miracle qui n’arrive qu’une fois ! Dans des recherches étrangères, dans la collection...

commentaires (1)

Quand vous écrivez (avec grand respect pour votre article), que le régime Libanais est "parlementaire " et "classique ", c'est aller un peu loin, vu les pouvoirs importants du président de la République. Dans un système purement parlementaire, le chef d'état devient une fonction essentiellement symbolique. Pour ne parler que de la constitution (sans coutume constitutionnelle confessionnelle), cet élément des "pouvoirs du président " le rapproche beaucoup plus du système dit "mixte", suivant la typologie du droit constitutionnel.

Raed Habib

11 h 52, le 01 août 2023

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Quand vous écrivez (avec grand respect pour votre article), que le régime Libanais est "parlementaire " et "classique ", c'est aller un peu loin, vu les pouvoirs importants du président de la République. Dans un système purement parlementaire, le chef d'état devient une fonction essentiellement symbolique. Pour ne parler que de la constitution (sans coutume constitutionnelle confessionnelle), cet élément des "pouvoirs du président " le rapproche beaucoup plus du système dit "mixte", suivant la typologie du droit constitutionnel.

    Raed Habib

    11 h 52, le 01 août 2023

Retour en haut