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Société - Liban

Double explosion au port : Tarek Bitar déterminé à poursuivre l'enquête

Comment le juge chargé de l'enquête peut-il rendre un acte d’accusation, alors qu’il a les mains liées ?

Double explosion au port : Tarek Bitar déterminé à poursuivre l'enquête

Une installation représentant le drapeau libanais avec le slogan « Peuple, armée, justice » devant les silos détruits du port de Beyrouth, le 31 juillet 2022. Photo d'archives Matthieu Karam

Le juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, veut poursuivre coûte que coûte son enquête sur la double explosion au port, affirment plusieurs sources judiciaires à L’OLJ. En poste depuis deux ans et demi, le magistrat n’a pu effectivement mener son enquête que pendant six mois en raison des entraves de la classe politique. À quelques jours de la commémoration du troisième anniversaire du drame du 4 août, « il est déterminé à parvenir tôt ou tard au bout de son enquête qui, semble-t-il, a été achevée à trois quarts », assure un haut magistrat qui a requis l'anonymat en raison de la sensibilité du dossier. « Malgré les campagnes de diffamation, pressions morales et menaces sur sa vie, il ne veut pas abandonner le dossier, sauf si le CSM et le ministre de la Justice qui l’ont nommé décident de le révoquer », ajoute-t-il.

Parmi les derniers obstacles dressés contre lui, une action en responsabilité de l’État pour fautes lourdes, portée en décembre 2021 par l’ancien ministre Youssef Fenianos devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation. Cette juridiction ne peut plus statuer, ayant perdu son quorum de réunion en janvier 2022, en raison de départs à la retraite de magistrats qui la composaient, et qui n’ont jamais été remplacés. Le 23 janvier 2023, treize mois après ce blocage, le juge d’instruction avait bien tenté de se dégager du carcan dans lequel il était placé : il avait décidé d’outrepasser les multiples recours abusifs portés à son encontre et de poursuivre ses investigations. Ayant accompagné sa décision de reprendre le dossier par une mise en cause du procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, ce dernier avait, dès le surlendemain, engagé contre lui des poursuites, pour « rébellion contre la justice et usurpation de pouvoir ». Pour boucler la boucle, le procureur général avait enjoint aux fonctionnaires du parquet de cassation de ne faire suite à aucune demande qui émanerait de Tarek Bitar. Un tel obstacle face à un juge d’instruction près la Cour de justice est « inédit », affirme-t-on dans le milieu de la justice.

Les moyens de la fin

Comment dès lors, le juge d’instruction peut-il mener à bien sa mission ? En d’autres termes, comment peut-il rendre un acte d’accusation, alors qu’il a les mains liées ? Un acte d’accusation ne peut être prononcé sans que les investigations ne soient achevées, affirme une source du Palais de justice, se demandant comment le juge Bitar pourra convoquer des personnes concernées par le dossier, alors qu’il doit le faire à travers le parquet de cassation, auquel il n’a plus accès. De plus, s’interroge la source précitée, même si on admet l’hypothèse improbable que le juge d’instruction finisse de rédiger son acte d’accusation sans avoir complété son enquête, comment pourrait-il le présenter à la Cour de justice, alors que, selon la loi, il doit auparavant le soumettre pour avis au parquet de cassation dont Ghassan Oueidate est le patron ?

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Or le bras de fer entre les deux magistrats ne semble pas près de se régler. Si, début juin, plus de quatre mois après les poursuites engagées par M. Oueidate contre M. Bitar, le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Souheil Abboud, avait enfin pu désigner un magistrat, en l’occurrence le premier président de la cour d’appel, Habib Rizkallah, qui a accepté de se pencher sur ce litige sensible, ce dernier n’a jusqu’à présent ni convoqué le juge d’instruction ni rendu de décision. « Qu’à cela ne tienne. L’examen de l’affaire par M. Rizkallah n’empêche pas le juge d’instruction de poursuivre son travail », commente un haut magistrat interrogé par L’Orient-Le Jour, et ayant requis l’anonymat. Un de ses confrères, qui ne veut pas non plus que son identité soit révélée, n’est pas de cet avis : « Tarek Bitar peut certes vérifier tous les documents et toutes les preuves qui sont entre ses mains, il peut également lire et relire pour peaufiner les conclusions qu’il a déjà rédigées, mais ne peut pas collecter de nouveaux éléments. » 

Le barreau de Beyrouth

Si la fin de l’enquête ne semble pas pour bientôt, le bureau de plaintes au sein du barreau de Beyrouth ne chôme pas pour autant. « Parallèlement au blocage des investigations, nous avons pris certaines mesures », affirme à L’OLJ Me Youssef Lahoud, membre du bureau de plaintes. Il indique à cet égard que le barreau de Beyrouth poursuit le dossier des saisies conservatoires sur les biens des personnes suspectées par l’enquête. « En 2020, quelque temps après la double explosion, nous avons obtenu la saisie des fonds revenant à la direction du port de Beyrouth, de telle sorte que les sociétés qui lui doivent de l’argent le versent désormais au juge de l’exécution de Beyrouth », indique-t-il. « L’an dernier (août 2022), nous avons par ailleurs obtenu un ordre de saisie conservatoire d’une valeur de 100 milliards de livres libanaises sur les biens du député Ali Hassan Khalil, dans le cadre d’une action pour abus de droit manifesté par sa manière arbitraire de porter contre le juge Bitar des recours judiciaires destinés à entraver l’enquête », poursuit-il. Il rappelle que le barreau a également ciblé le député Ghazi Zeaïter d’une action similaire, mais qu’il s’est avéré que le registre foncier ne comporte aucun bien-fonds inscrit en son nom. « En tout état de cause, nous travaillons comme dans une ruche d’abeilles pour décider de prochaines démarches à suivre », ajoute Me Lahoud, affirmant que « le juge de l’exécution devrait bientôt charger un huissier de se rendre dans des habitations de personnes impliquées dans l’enquête pour y faire un inventaire de meubles à saisir ». « Il s’agit surtout d’exercer une pression morale », indique l’avocat, précisant que « toute saisie ne sera définitive qu’en cas de condamnation ».

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Sur un autre plan, Me Lahoud révèle que le Conseil d’État vient de publier un rapport, en préalable à l’arrêt, qu’il devrait rendre prochainement sur le recours porté par le bureau de plaintes du barreau contre une décision du ministère de l’Intérieur Bassam Maoulaoui. « Alors que le juge Bitar tentait d’assigner à comparaître les hommes politiques mis en cause, le ministre avait décrété que ceux-ci devaient être notifiés par des huissiers de justice et non par les forces sécuritaires, ce qui rendait la tâche impossible au juge », déplore Me Lahoud.

Plus généralement, l’avocat affirme que le barreau de Beyrouth ne cesse d’œuvrer pour « tenter d’obtenir les droits des victimes et de leurs proches ». « Nous nous réunissons chaque mardi, dans le but d’aviver l’action que nous avions intentée au nom de plus de 1 200 personnes », indique-t-il, assurant que « les coupables n’auront pas de répit ». « L’enjeu est aussi important, sinon plus, que celui de la dépréciation de la livre, ou de l’expiration du mandat du gouverneur de la BDL, ou de la vacance présidentielle », ajoute Me Lahoud, estimant qu’« il s’agit de consacrer l’État de droit à travers la redevabilité ».

Le juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, veut poursuivre coûte que coûte son enquête sur la double explosion au port, affirment plusieurs sources judiciaires à L’OLJ. En poste depuis deux ans et demi, le magistrat n’a pu effectivement mener son enquête que pendant six mois en raison des entraves de la classe politique. À quelques jours de la commémoration du...

commentaires (3)

"… le drapeau libanais avec le slogan « Peuple, Armée, Justice » devant les silos détruits du port de Beyrouth …" - Non monsieur! Au Liran on dit « Peuple, Armée, Résistonce » si tu ne veux pas que le grand cric te croque… bel rouh bel damm etc.

Gros Gnon

09 h 43, le 27 juillet 2023

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Commentaires (3)

  • "… le drapeau libanais avec le slogan « Peuple, Armée, Justice » devant les silos détruits du port de Beyrouth …" - Non monsieur! Au Liran on dit « Peuple, Armée, Résistonce » si tu ne veux pas que le grand cric te croque… bel rouh bel damm etc.

    Gros Gnon

    09 h 43, le 27 juillet 2023

  • et bien qu'est ce qu'il a fait jusqu'a maintenant?. vaut mieux qu'il se taise.

    Ma Realite

    05 h 45, le 27 juillet 2023

  • De grâce, arrêtez de nous mentir! Un jour on nous promet que les dépôts sont sacrés et qu'ils nous seront restitués coûte que coûte. Un autre jour on nous promet que l'enquête sur l'explosion du port va se poursuivre et aboutir à des condamnations. Nous vivons sous le règne du mensonge. Chaque jour apporte son lot de piqûres anesthésiantes destinées à endormir le quidam et à reporter l'explosion! Dans le même temps on constate que ceux qui ont volé continuent à jouir des fruits de leur larcin et à échapper à tout châtiment, que ceux qui ont provoqué l'explosion de la moitié de la capitale ne sont nullement inquiétés! On dirait que tout est fait pour convaincre le citoyen honnête que l'honnêteté ne sert à rien et que seules l'injustice, l'immoralité, la violation des lois et des règles de vie en société sont payantes!

    Georges Airut

    01 h 40, le 27 juillet 2023

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