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Nos Lecteurs ont la Parole

Dialogue politique ou jeu de dupes

On discute de tout, mais on ne s’entend sur rien. De plus, « une discussion avec une personne animée d’une passion envahissante est toujours une mauvaise idée. La raison ne tient pas face à l’émotion », c’est la remarque de Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux États-Unis.

La passion est une attirance pour une activité, un idéal qui peut aboutir à un déséquilibre ou une dé-stabilité psychologique. Dans notre Liban, les ghettos se multiplient et se sanctuarisent avec une articulation réduite entre l’individuel et le collectif. Notre société vit une exclusion de plus en plus grande et des groupes de plus en plus divers se constituent. Ces groupes réduits ont entre eux dans le domaine de la psychologie sociale des relations réciproques. Chaque quartier s’autonomise (abonnement au moteur d’électricité, abonnement au distributeur de câble pour la télévision, abonnement pour la distribution de l’eau, abonnement pour le câble d’internet). Mais où est l’État rassembleur et distributeur de tous ces services pour la collectivité, pour tout le pays ? C’est la désintégration de tout lien social et une désorganisation des services de l’État qui sont indispensables pour un État unitaire. Ce qui est étonnant, c’est le laisser-faire du peuple qui souffre et ne trouve aucun moyen pour réagir. Aucun groupe organisé tel un syndicat ou un parti politique ne réagit. Aucune personne de bonne volonté ne trouve le moyen de réagir pour écarter les parties puantes qui font main basse sur l’État. L’opposition est absente. Si toute opposition a le droit de s’opposer, elle a en plus le devoir de proposer et de réagir. Sûrement de proposer les valeurs contre les intérêts des groupes dominants. Dans notre État supposé démocratique, il y a une floraison de banditisme à tous les niveaux et de toutes les couleurs qui détériorent l’État de droit et de façon malfaisante la nation. Ils arrivent à sacrifier la vérité sur l’autel des fausses morales. Certains partis cultivent l’opportunisme et se moquent des règles et du bien commun. Le désordre s’étend dans la vie de tous les jours, et la haine dans les esprits se traduit par le blocage social et politique. En fait, la vraie politique est le moyen d’organiser la vie en collectivité et de faire appliquer les grands principes. Ainsi, entre un État centralisé, la décentralisation et le fédéralisme, c’est le sujet qui reste à débattre entre des personnes responsables, rationnelles, loin de tout endoctrinement. Gérer les sources d’énergie pour chaque région, gérer le ramassage des ordures, gérer les taxes locales et tous les points de fonctionnement entre les individus et la collectivité locale doit être possible. Des personnes raisonnables et de bonne volonté sont aptes à conduire un dialogue constructif et pouvoir relever le pays.

Le dialogue au Liban, c’est un jeu de dupes, c’est un jeu perdu d’avance qui n’arrange que le groupe qui le domine et qui trompe l’autre partie. Les personnes responsables ne semblent pas crédibles et continuent à faire avancer le pays tel le Radeau de la Méduse après le naufrage de la frégate du même nom en 1816 où les rescapés finissent par s’entre-tuer et manger les cadavres (un événement qui va inspirer le peintre Géricault). Au Liban, certains responsables continuent à attendre des solutions rapides à venir, qui ne viennent pas, d’autres rassurent les déposants sur la sacro-sainte garantie de leurs avoirs dans les banques sans savoir comment. Un Parlement nouveau ramène une majorité de miliciens qui exploitent le pouvoir à leur avantage et ceux des siens en jouant les communautés les unes contre les autres. Le peuple est mal guidé par ceux qui flattent les mauvais penchants de tout un chacun, ces flatteries que cultive tout corrompu du pouvoir politique. Le dialogue simple et clair continue au niveau du peuple et les échanges sont fraternels, mais ce dialogue devient toxique quand les responsables s’en mêlent. Le peuple cohabite malgré les divergences de culture et de style de vie. Chacun respecte la sensibilité et les convictions de l’autre sans chercher à changer les traditions et les habitudes. Il faut le répéter et le répéter, la bonne entente intérieure est possible, guidée par des responsables non déviants, non pervers, non rusés, non roublards, vers une paix pour l’avantage de tous et la liberté d’un pays kidnappé. Quant à la structure du pays, il ne reste que les apparences, un pays où le pouvoir central est défaillant, la décentralisation est difficile, le système fédéral mal apprécié et la division impossible, mais heureusement, il reste l’armée avec les difficultés profondes que supportent tous ses membres. En fait, ce pouvoir central défaillant fait cohabiter un certain fédéralisme non déclaré. Chaque communauté gère librement (mariage, divorce, lois de succession avec des tribunaux communautaires). Les écoles et les universités privées rivalisent avec les écoles et les universités nationales. Dans les lieux de culte, ça va de soi, chacun prie un Dieu unique à sa manière. Les structures de soins et les hôpitaux sont disparates pour chaque communauté. Les chaînes de télévision sont réparties entre les communautés malgré un conseil d’administration multicommunautaire. Les centres de loisirs et les débits de boissons sont libres dans une région et interdits dans d’autres. Le style de vie et l’habillement varient selon les groupes sociaux. Sur les plages, la « nudité » féminine doit être un libre choix de la personne qui peut décider pour elle-même. Rien ne l’empêche d’être talibanisée ou libanisée, ou subir la police des mœurs à l’iranienne. D’ailleurs, il existe une légère différence entre le Liban et les (ta)libans pour ce qui est des habits et des libertés. Devant la terreur ambiante, une réaction s’impose pour une réorganisation dans chaque région. C’est-à-dire organisation de l’électricité, de la communication, des distributions des services dans chaque mohafazat ou région par les municipalités. Ensuite, l’éveil des Libanais et des responsables ne doit pas attendre devant le poids des déplacés syriens et réfugiés palestiniens sur le sol libanais. Le gouvernement et notre diplomatie semblent en veilleuse au lieu de courir le monde avec une seule voix. Un gouvernement incapable, noyé dans des chicaneries, incapable de réaliser les réformes et traiter avec le Fonds monétaire pour aboutir à une stabilité, favoriser l’industrie et l’exportation, et redresser la balance des paiements. Un gouvernement responsable se doit de favoriser les centres de recherche dans les universités pour nos jeunes diplômés et leur éviter un déracinement, même bénéfique. Nos diplômés et leurs capacités créatrices peuvent faire du Liban un centre de technologie d’avant-garde en collaboration avec les grands centres de recherche mondiaux et favoriser des exportations rentables.

Devant cette défaillance flagrante, les responsables s’invitent à un dialogue selon l’adage « l’art de parler juste mais de penser faux ». C’est en fait un jeu de dupes sans possibilité de recours ou d’arbitrage. Les passions nous éloignent de la rationalité et rendent tout dialogue impossible et vicié. Comment ce gouvernement peut-il expliquer l’accord piégé établi entre l’État libanais et la société Alvarez et Marshal sur un audit juricomptable de la Banque du Liban ? C’est un contrat vidé de tout effet qui doit rester un secret d’État inutile devant les tribunaux. Quelle équipe de juristes et de spécialistes dans l’art du camouflage a-t-elle concocté ce contrat ? Et surtout qui sont les demandeurs de cet audit qui en ont fait leur cheval de bataille ? C’est un contrat piégé qui n’aura servi à rien malgré les frais encourus. Nous répétons qu’un homme d’État doit avoir les qualités de courage, de sincérité et d’honnêteté. Ce sont ces qualités qui font défaut à beaucoup de nos responsables au Liban. Des organismes de surveillance semblent défaillants, les organismes d’inspection sont en veilleuse. La justice d’ailleurs ne semble pas au rendez-vous des obligations que sont les siennes. Il nous faut l’équivalent d’un tribunal de Nuremberg pour établir la vérité, dégager un verdict et appliquer la loi. Malheureusement, notre tragédie fascine, et les possibles décideurs sont les premiers responsables de par leur apathie. Ils jouent les « héros sur canapé ». Les sauveurs possibles sont là, mais semblent en état de sidération et éblouis par la gravité de la tragédie. Ils sont timorés, n’osant ni réagir ni se réunir, comme s’ils étaient dans un état d’aboulie (ou de privation de la volonté). Le politique doit arrêter d’être le spectateur de son impuissance. Les langues se délient pour échanger dans les salons, ou les cafés, ou les lieux de travail, mais il n’y a aucun groupe actif ou un petit noyau de volontaires pour guider un soulèvement ou une révolte. Les groupes de l’opposition ou les groupes souverainistes se contentent de faire des déclarations médiatiques. Le moment est venu pour mettre en application les réformes déjà prévues par l’accord de Taëf. C’est le rôle des groupes de réflexion, d’universitaires, de politiciens honnêtes et courageux. Dans ce monde de carnivores, le dialogue libre est indispensable pour guider le pays vers une stabilité nécessaire, rationnelle et non passionnelle.

Psychiatre, psychanalyste

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On discute de tout, mais on ne s’entend sur rien. De plus, « une discussion avec une personne animée d’une passion envahissante est toujours une mauvaise idée. La raison ne tient pas face à l’émotion », c’est la remarque de Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux États-Unis. La passion est une attirance pour une activité, un idéal qui peut aboutir à un...

commentaires (2)

Un peu tard pour commenter, mais mieux vaut tard que jamais. Merci pour cette excellente analyse. On devrait vous entendre plus souvent.

Raed Habib

12 h 17, le 04 août 2023

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Commentaires (2)

  • Un peu tard pour commenter, mais mieux vaut tard que jamais. Merci pour cette excellente analyse. On devrait vous entendre plus souvent.

    Raed Habib

    12 h 17, le 04 août 2023

  • L'education civique est nécéssaire pour ramener, globalement, le sens de communauté plutôt qu'intèrêt personnel.

    Irene Souki

    15 h 19, le 29 juillet 2023

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