Encore un pied de nez de Nagib Mikati et Nabih Berry au reste des protagonistes politiques. Moins d’une semaine avant l’expiration du mandat de Riad Salamé à la tête de la Banque du Liban, le président de la Chambre et le Premier ministre sortant se sont entendus pour que le Conseil des ministres se réunisse dans les prochains jours afin de nommer son successeur. « J’ai demandé au Premier ministre de convoquer une séance gouvernementale consacrée à la nomination d’un nouveau gouverneur de la banque centrale, car nécessité fait loi. Et il a accepté », affirme à L’Orient-Le Jour le président de la Chambre. « Elle aura lieu jeudi », précise-t-il, quelques minutes après une réunion avec le Premier ministre sortant. « Durant cet entretien, j’ai informé le président du Parlement de mon intention de nommer un nouveau gouverneur », déclare pour sa part à L’OLJ M. Mikati. Deux heures seulement après ce tête-à-tête, la présidence du Conseil a convoqué les ministres à une séance jeudi à 11 heures au Sérail. Le tandem Berry-Mikati vient ainsi d’inaugurer une nouvelle phase de la confrontation avec les partis chrétiens majoritaires, mais aussi avec Bkerké, qui voient tous d’un mauvais œil le responsable chiite et son « protégé » sunnite gérer le pays comme si de rien n’était en l’absence d’un chef de l’État. Un défi est également lancé au Hezbollah qui, tout en étant un des principaux parrains du cabinet sortant, s’oppose à toute nomination du futur gouverneur. L'objectif étant pour le parti de Hassan Nasrallah de se rabibocher avec son turbulent allié chrétien, le Courant patriotique libre, avec qui il vient de reprendre langue après des mois de froid.
Mais telle n’est pas la seule conclusion à tirer de l’épisode de mardi. Il y a aussi et surtout le fait que le président de la Chambre n’en démord pas. Pour remplir son objectif déclaré d’épargner à Wassim Mansouri, premier vice-gouverneur censé prendre la relève après le départ de Riad Salamé, cette tâche difficile, Nabih Berry est prêt à tout, y compris se mettre à dos les protagonistes chrétiens. « L’option Mansouri n’est plus sur la table », affirme M. Berry à notre journal. Comme pour mettre un terme aux spéculations portant sur la question d’une démission de ce dernier et de ses trois collègues vice-gouverneurs, qui avaient menacé de jeter l'éponge si un successeur à M. Salamé n'était pas nommé avant le 31 juillet.
Si les quatre vice-gouverneurs passent à l'acte, leur démarche pourrait entraîner un recours à des sanctions à caractère pénal. Dans son article 340, le code pénal stipule en effet que « les fonctionnaires liés à l’État par un contrat peuvent être déchus de leurs droits civiques s’ils démissionnent collectivement ou décident de suspendre leur travail dans des circonstances dans le cadre desquelles le service public serait entravé ». « À la lumière de cet article, c’est surtout la légalité d’une éventuelle démission des quatre vice-gouverneurs qui est actuellement à l’étude », explique une source ministérielle, au lendemain de la réunion, lundi, entre Nagib Mikati et les quatre vice-gouverneurs. De source proche du dossier, on indique que lors de cet entretien (organisé à la suite d’une rencontre entre les vice-gouverneurs et la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice), les hauts responsables financiers ont demandé une couverture légale pour leur accession à la tête de la BDL et pour les politiques qu’ils y mettront en œuvre.
« J’étais prêt à tenir une séance législative dans les plus brefs délais. Mais la commission de l’Administration et de la Justice a rejeté toutes les demandes des vice-gouverneurs », a déclaré Nabih Berry mardi dans la soirée à la chaîne al-Hurra. « Les quatre vice-gouverneurs voulaient des lois qui leur permettraient de piocher dans les réserves obligatoires de la BDL », révèle un des parlementaires de la commission. « L’heure est actuellement aux négociations. Et les réunions entre Nagib Mikati et les quatre adjoints se poursuivent en vue de trouver une solution applicable », affirme une source proche du dossier. C’est d’ailleurs dans ce but que M. Mikati avait demandé un délai de deux ou trois jours avant de prendre une décision sur ce plan. « Sauf que Nabih Berry l’a pris de court et l’a pressé de réunir le cabinet en vue d’une nomination », déplore un député opposant.
Oui, mais… « les conditions ne sont pas réunies »
Il reste que la convocation à la séance ne suffit pas à elle seule pour affirmer que le futur gouverneur de la BDL sera nommé jeudi par le cabinet Mikati. Une telle décision requiert une entente élargie, difficile dans un contexte de polarisation politique. « Le gouvernement libanais démissionnaire n’est pas en mesure de nommer un successeur à Riad Salamé », a reconnu mardi le vice-Premier ministre Saadé Chami dans un entretien avec l’AFP. « Les circonstances ne sont pas réunies pour désigner un nouveau gouverneur dans un délai d’une semaine », a-t-il dit. Une thèse d’autant plus réaliste que dans leur nouvelle épreuve de force, MM. Berry et Mikati ne pourront pas compter sur le Hezbollah. « Nous n’assurerons pas le quorum à une telle séance », assure le porte-parole du Hezbollah, Mohammad Afif Naboulsi, avouant « ne pas comprendre les raisons derrière le forcing de Nabih Berry sur ce plan ». « Nous sommes en désaccord avec le chef du législatif à ce sujet, parce que nous sommes convaincus de l’inconstitutionnalité de nominations approuvées par un cabinet sortant », dit-il, tout en laissant la porte entrouverte à un éventuel changement de cap si le vide à la tête de l’État s’éternise, sachant que c’est le camp piloté par le parti de Dieu qui empêche depuis longtemps l’élection d’un nouveau président.
Sans le moindre doute, ce niet du parti de Hassan Nasrallah s’explique par sa volonté de ne pas secouer les rapports fraîchement rétablis avec un CPL qui se veut intraitable dans ce dossier et ne compte pas briser son boycottage des séances ministérielles, même si Nabih Berry y voit « la seule solution » qui permettrait la nomination d’un nouveau gouverneur. Quelques jours après un discours du chef du parti Gebran Bassil largement consacré à la question de la BDL, le conseil politique du courant aouniste est revenu à la charge mardi, mettant en garde le gouvernement contre « une atteinte au pacte national et à la Constitution. Car le vide à la tête de la BDL devrait être réglé conformément à la loi de la monnaie et du crédit », selon un communiqué publié mardi par le courant aouniste. Une façon d’appeler à ce que le premier vice-gouverneur succède à M. Salamé. « Et si certains ne veulent pas s’acquitter de leurs responsabilités, la solution serait de nommer un tuteur légal », poursuit le texte. Et d’exprimer le veto orange contre tout maintien de Riad Salamé à son poste. Un point sur lequel les aounistes convergent avec les Forces libanaises, dont le chef Samir Geagea avait pourtant, dans un premier temps, créé la surprise en accordant au gouvernement son feu vert pour nommer un gouverneur « dans les circonstances exceptionnelles actuelles ». Aujourd’hui, il semble avoir fait marche arrière. « Nous sommes pour le respect de la loi, loin des diktats des uns et des autres », affirme Pierre Bou Assi, député FL de Baabda, dans une critique évidente à Nabih Berry.
« Les chrétiens sont contre la nomination et le Hezbollah ne veut pas couvrir le gouvernement dans cette démarche. Le Conseil des ministres ne se tiendra donc pas. Et MM. Berry et Mikati sortiront un nouveau lapin de leur chapeau : la prorogation du mandat de M. Salamé à la dernière minute », résume un député opposant sur un ton réprobateur.
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Où sont les milliards de dollars entrés au Liban cet été ?
Fallah Jean
17 h 02, le 26 juillet 2023