
La place de l’Étoile, dans le centre-ville de Beyrouth, où se situent le Parlement et le Grand Sérail. Photo P.H.B.
Nommés en 2020, les quatre vice-gouverneurs de la Banque du Liban – Wassim Mansouri (1er vice-gouverneur), Bachir Yakzan (2e), Salim Chahine (3e) et Alexandre Moradian (4e) – vont pouvoir se rendre compte dans les jours qui viennent de l’impact des messages qu’ils ont tenté de faire passer depuis le début de l’été.
Le premier a été d’insister, en brandissant indirectement l’arme de la démission, pour que la classe dirigeante nomme un successeur en bonne et due forme au gouverneur Riad Salamé, qui arrive à la fin du mois au terme d’un 5e mandat en 30 ans. Considéré par une partie de l’opinion et de la classe politique comme un des principaux responsables de la crise que traverse le pays depuis 2019, il est aussi visé par une série de procédures judiciaires lancées au Liban et en Europe, ce qui complique toute perspective de le voir rester en place après le 31 juillet.
Le second message des vice-gouverneurs a pris corps dans les grandes lignes d’une stratégie visant à modifier, en six mois, la politique monétaire actuelle qui tolère la coexistence de plusieurs taux de change pour une nouvelle permettant au pays de laisser flotter sa monnaie. Le document a été présenté jeudi dernier par les intéressés devant la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice et implique plus particulièrement de remplacer la plateforme de change actuellement opérée par la BDL, Sayrafa, par une nouvelle gérée par un opérateur international et sur laquelle la banque centrale n’aura qu’une influence limitée. Le chantier s’accompagne d’un déclenchement de lourdes réformes que le Liban officiel rechigne à mettre en œuvre depuis les premiers mois de la crise qui a éclaté mi-2019.
Conférence de presse en suspens
À l’issue de la réunion jeudi dernier, Wassim Mansouri a déclaré que les discussions n’avaient pas abouti et que la décision des vice-gouverneurs dépendrait du résultat des discussions entre les députés concernant le plan. Alors qu’il était question à un moment qu’ils s’expriment dans une conférence de presse ce mardi, la situation n’était plus aussi certaine dimanche après-midi.
« Il n’y a pas encore de décision finale. Des négociations sont toujours en cours », a succinctement répondu à L’Orient-Le Jour le 3e vice-gouverneur, Salim Chahine. Certaines informations relayées par des médias (al-Nashra citant la LBCI, notamment) ont aussi indiqué que le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, avait demandé aux vice-gouverneurs de décaler leur conférence de presse et que ces derniers attendaient désormais que le chef du gouvernement s’exprime pour décider de la marche à suivre. Une réunion devrait avoir lieu dans le courant de la semaine entre M. Mikati et les quatre vice-gouverneurs.
Clivages dans les opinions
Dans l’opinion, les vice-gouverneurs alimentent un clivage entre ceux qui leur reprochent de s’être mobilisé trop tardivement et ceux qui jugent au contraire qu’ils n’avaient pas les moyens d’agir plus tôt. « À leur décharge, cela fait plusieurs mois qu’ils travaillent sur le dossier de la nouvelle plateforme de change pour laquelle ils ont sollicité une assistance technique du Fonds monétaire international », souligne une source financière souhaitant rester anonyme pour des raisons professionnelles.
À défaut d’avoir réussi à séduire instantanément les contribuables et les députés, la stratégie des vice-gouverneurs est vue d’un bon œil par le vice-président du Conseil des ministres, Saadé Chami. Contacté, il souligne notamment l’alignement des mesures préconisées avec le plan de redressement préparé par le gouvernement et les préconisation du FMI avec qui le Liban a signé un accord préliminaire en avril 2022.
« Cela a déjà a été mis en avant par d’autres, mais je le dis aussi : le fonctionnement de Sayrafa est obscur et il s’agit plus d’une plateforme d’enregistrement des transactions en espèces dont le taux de change n’est pas défini par l’offre et la demande », a estimé l’ancien du FMI. Il ajoute que le calendrier imposé par les vice-gouverneurs est très ambitieux », alors que le pays n’a toujours pas mis en œuvre toutes les réformes préliminaires listées par le Fonds monétaire dans l’accord préliminaire. « Mais s’il y a une volonté politique, on pourra faire beaucoup de choses en six mois », assure-t-il cependant.
Les scénarios possibles
Du côté du secteur bancaire, certaines voix considèrent qu’une partie des mesures phares du plan peuvent et doivent être lancées dans les meilleurs délais par les quatre vice-gouverneurs, une fois qu’ils auront les mains libres. « Tout ce qu’ils préconisent aurait déjà dû être mis en place, surtout l’adoption d’une loi instaurant un contrôle des capitaux formel ou l’instauration d’un taux de change flottant. Le problème, c’est la paralysie politique », affirme le dirigeant d’une des banques locales, souhaitant rester anonyme compte tenu de la sensibilité du dossier. Pour rappel, le secteur bancaire a restreint l’accès du commun des déposants à leurs fonds en devises et une partie de ses membres poussent pour l’adoption d’un contrôle formel des capitaux pour mettre fin à la vague de procès lancés contre eux au Liban mais aussi à l’étranger.
La source bancaire considère en outre que les vice-gouverneurs de la BDL doivent prendre leurs responsabilités. « Ils ne pourront pas quitter leur poste comme cela, du jour au lendemain. Et même s’ils démissionnent, ils devront faire des choix », indique-t-elle encore. Elle juge enfin envisageable, en cas de persistance de la paralysie, que les vice-gouverneurs s’approprient la prérogative prévue par le code de la monnaie et du crédit permettant de restreindre provisoirement et de manière exceptionnelle la circulation des capitaux pour protéger la monnaie nationale et le système financier. « Il est très peu probable que les vice-gouverneurs acceptent de se retrouver seuls face à cette responsabilité », tempère la source financière précitée, affirmant que l’absence d’engagement des parlementaires constituerait une cause de démission pour le quatuor.
« Or, si les vice-gouverneurs démissionnent et décident de ne plus se rendre sur leur lieu de travail, le gouverneur actuel sera seul à bord et la possibilité que l’exécutif prolonge son mandat, au moins pour un court laps de temps, deviendrait quasi certaine », prévient la source financière en conclusion. Les spéculations et bruits de couloir concernant la suite des événements à partir du 1er août se sont multipliés ces derniers temps dans la presse, tandis que la vacance présidentielle bloque depuis des mois toute avancée sur les nominations de fonctionnaires de première catégorie.
À ce stade, et bien qu’aucun ne fasse l’unanimité, les scénarios les plus probables sont les suivants : soit le 1er vice-gouverneur, considéré comme proche du président du Parlement Nabih Berry, prend la relève, soit la classe dirigeante parvient à s’entendre sur un successeur de pleins pouvoirs. La possibilité que Riad Salamé obtienne une extension semble de plus en plus lointaine à ce stade et le scénario selon lequel tout le conseil central déserterait la BDL après le 31 août est extrêmement improbable. Enfin, dans le premier cas de figure, la possibilité que Riad Salamé assure un rôle de conseiller auprès du premier vice-gouverneur est également évoquée par certains commentateurs.
Les Libanais en sauront normalement plus d’ici à la fin de la semaine.
commentaires (4)
Gouverneur principal du vice et vice-présidents ,tout n’est que vice …et vicieux viciés.
Citoyen Lambda
16 h 35, le 24 juillet 2023