Yassmin Saleh fait du vêtement un récit

Elle faisait partie d’une des dernières promotions Starch, fondé par Rabih Kayrouz et Tala Hajjar. En 2018, lauréate de cet incubateur de talents, elle avait développé sa marque éponyme et rejoint, avec son showroom à Gemmayzé, la communauté des créateurs de Beyrouth qui a subi de plein fouet la double explosion au port, le 4 août 2020. Alors qu’on se demandait ce qu’elle était devenue depuis, voici qu’elle réapparaît, nouveau témoin de la miraculeuse résilience de ces créateurs qui sont le sel de la ville :

« Depuis 2018, notre marque s’est développée, du lancement de notre showroom à Gemmayzé au déménagement après l’explosion, en passant par l’agrandissement de notre équipe à 10 personnes et le lancement de notre collection nuptiale », annonce-t-elle.

Des robes brodées au point d’ombre. Photo tirée de sa page officielle

Dès sa première collection, Yassmin Saleh manifestait déjà le désir de générer des conversations et de sensibiliser, à travers le vêtement, aux questions de société et de psychologie. « Aujourd’hui nous pouvons commencer le fil ! » déclare la créatrice.

Et le fil commence. Où sont les vêtements ? Là, dans cette série vidéo en quelques épisodes qui mettent en scène les femmes d’une famille ayant décidé de renvoyer leurs hommes le temps d’une rencontre entre filles dans la maison familiale pour profiter d’un moment de complicité.

Dans cette série publiée sur le compte Instagram de la marque, les archétypes féminins les plus audacieux de la société libanaise sont littéralement illustrés par les choix vestimentaires. « Chaque portrait est une célébration de la complexité et de la vulnérabilité qui se transforment en pouvoir et alimentent l’union entre les femmes », explique Yassmin Saleh qui précise aussi que quatre épisodes ont été publiés sur Instagram, et que d’autres sont programmés pour les prochains jours.

Robes brodées au point d’ombre, printanières, fleuries, gants d’opéra, tailleur pantalon féminisé par des broches florales qui en sculptent la géométrie, robe plissée lilas à haut minimaliste et dos nu, trois générations de femmes entourent la plus jeune d’entre elles. Elles sont assises autour d’une table où se déclinent des plats libanais du terroir. Entre conseils de cuisine et partage d’expériences, elles parlent d’amour, d’autonomisation, d’acceptation de soin, mieux d’amour et d’estime de soi contre la peur de l’échec, contre une certaine tendance à se flageller et s’imposer des contraintes. Même la chatte enceinte, qui s’approche timidement de la table pour essayer de chaparder une gourmandise, se voit offrir une gamelle pleine, par solidarité féminine. Le film est intitulé Flowers in the fountain : Fleurs dans le bassin, en référence à ces bourgeons qui s’épanouissent dans l’eau, à mesure qu’ils en ressentent la fraîcheur et la pureté. Au gré des épisodes, convergence vers le lieu des retrouvailles, participation collective à la préparation du repas, repas et sagesses de femmes. L’objectif s’arrête sur les détails couture quand, en fond sonore, on entend des bribes de conversation avec des saillies comme : « Aime-toi, dis-toi que tu es une reine. » Les robes contribuent à cette atmosphère tendre, bienveillante et doucement joyeuse. Elles ne sont pas ici des personnages à part entière, mais elles apportent un rayonnement, une aura de force tranquille qui résume avec une grande efficacité le propos de la créatrice.