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Campus - ARTS VISUELS

« The City and I » : l’exploration artistique des étudiants et leur relation intime avec Beyrouth

De l’art pour penser et comprendre sa relation à la ville. C’est l’exercice auquel se sont livrés sept étudiants de l’École des arts visuels de l’Université de Balamand (ALBA) dans le cadre de l’exposition « The City and I » organisée au palais Sursock à l’initiative de l’Unesco et de l’ambassade de Suisse au Liban et en Syrie.

« The City and I » : l’exploration artistique des étudiants et leur relation intime avec Beyrouth

Travail de Nadine Kerbaj. Photo Gregory Buchakjian

C’est leur rapport à la ville, ce lien intime, personnel, subjectif, émotionnel, présent ou quasi absent qu’ils entretiennent avec Beyrouth que sept étudiants de l’École des arts visuels de l’Université de Balamand (ALBA) ont été invités à explorer et à rendre tangible à travers des œuvres et installations dévoilées et présentées in situ dans le cadre de l’exposition « The City and I » (« La ville et moi »).

Travail de Yasmina Choueiri. Photo Gregory Buchakjian

Organisée à l’initiative de l’Unesco en collaboration avec l’ambassade de Suisse au Liban et en Syrie, l’exposition, organisée du 28 juin au 1er juillet au palais Sursock, a rassemblé également dans ce lieu emblématique des étudiants en arts issus de l’Université libanaise (UL) et de l’Université américaine de Beyrouth (AUB). « Défiés » en quelque sorte « de produire quelque chose qui a un sens », comme l’explique Gregory Buchakjian, directeur de l’École des arts visuels à l’ALBA, Carol Hobeika en 1re année de master, Chloé Hajj, Nadine Kerbaj, Roger Maaraoui, Chaker Abi Rached, Christina Maalouf et Yassmina Choueiri, tous en 2e année d’arts visuels, ont relevé le challenge avec brio.

Travail de Carole Hobeika. Photo Gregory Buchakjian

Les étudiants ont en effet saisi cette opportunité incroyable et se sont engagés audacieusement sur ce « chemin périlleux » parsemé d’enjeux liés d’abord à cet endroit symbolique, à cet espace d’exception que représente le palais Sursock, ensuite à la contrainte temporelle mais surtout au fait qu’ils sont encore de jeunes étudiants qui viennent d’intégrer l’école, qui n’ont jamais exposé devant un public et ne se sont jamais mis à nu sous le regard inquisiteur de l’autre, excepté lorsqu’ils ont pris part, en novembre 2022, à une exposition à l’ambassade de Pologne pour rendre hommage au dramaturge polonais Juliusz Stowacki qui a vécu à Ghazir... Durant environ trois mois, ils ont planché sur leurs projets, s’interrogeant sur leur relation/non-relation à la ville, révisant leurs démarches, expérimentant techniques et processus, effectuant sans cesse des allers-retours entre l’atelier mis à leur disposition par l’université et l’édifice chargé d’histoire sévèrement touché lors de la double explosion du port de Beyrouth survenue le 4 août 2020. Encadrés par M. Buchakjian, mais aussi par Charbel Samuel Aoun, Ricardo Mbarkho et Mayssa Khoury, les « artistes en devenir » se sont exprimés à travers des créations singulières porteuses de sens, illustrant leurs recherches conceptuelles, interprétant leurs vécus et véhiculant leurs ressentis personnels. Ils ont abordé plusieurs médiums : photographie, installation vidéo, sculpture, etc. Agréablement surpris par le résultat, le directeur de l’École des arts visuels à l’ALBA, fier de la participation des étudiants de l’École à trois expositions dont une en Suisse, a estimé que les travaux présentés par les étudiants dans le cadre de The City and I « dégagent beaucoup de sensibilité, de courage et d’engagement de leur part ». Interrogés tour à tour, ces artistes étudiants ont souligné unanimement l’importance de cette occasion qui les a poussés à la réflexion et leur a offert la possibilité d’exposer en tant qu’artistes pour la première fois, dans un cadre aussi historique.

Travail de Chaker Abi Rached. Photo Gregory Buchakjian

Replacer l’université dans la société

Originaire du Barouk, Nadine Kerbaj a déménagé il y a deux ans à Beyrouth afin de poursuivre ses études universitaires. Ayant un très faible rapport à la ville, elle a d’abord refusé de l’évoquer. « J’ai fini par comprendre que refuser de parler de la ville, c’est parler de la ville dans un sens », indique-t-elle. Intitulée Road 3, son œuvre, figurant trois bouts de route, cherche, d’après elle, à créer un discours sur la mobilité, un élément essentiel de son quotidien marqué ces deux dernières années par le fait de monter à la montagne et redescendre à Beyrouth… « La route créait ce lien entre moi et la ville », ajoute-t-elle.Idem pour Carol Hobeika qui admet ne pas avoir des liens avec des « lieux » mais avec des gens n’importe où qu’ils soient, à la ville ou à la campagne. L’étudiante qui a, par le biais de quatre photographies, illustré « le chaos, la violence, le macabre, la solitude et l’incertitude », des émotions qu’elle a, confie-t-elle, ressenties, a assuré qu’elle ne s’attendait pas à ce que sa première exposition se tienne dans un endroit pareil, soulignant au passage l’importance de bénéficier davantage de possibilités similaires qui permettraient à la petite communauté d’artistes au Liban de se rencontrer, d’exposer, d’échanger et de partager les expériences.

Travail de Roger Maaraoui. Photo Gregory Buchakjian

« Le rapport avec l’espace nous a aidés à développer plusieurs aspects, dans une approche particulière », avance Roger Maaraoui. Le jeune homme, dont la création consistait en un accrochage en tissu où il a fait fondre des morceaux de gomme pour évoquer une ville comme un circuit d’effacement d’espaces, de personnes, de souvenirs, a tenu à souligner l’importance du regard de l’autre, de l’interaction et du dialogue avec le public. Yasmina Choueiri a avoué de son côté entretenir avec la ville un rapport marqué par « l’insécurité et le démantèlement ». Selon ses termes, cette expérience « stimulante et enrichissante » lui a permis de concevoir une œuvre « centrée sur la recherche de la sécurité dans le transitoire, au cœur d’un vécu fragmentaire et corrosif, par le biais du somatique, ancrée dans une binarité géographique Beyrouth/Paris, et ce en présence des éléments spectraux sous-jacents aux deux lieux ». « Il est important que les étudiants en licence soient initiés et introduits aux dynamiques de la scène artistique locale comme phase critique et fondamentale de l’ébauche de notre pratique », a-t-elle encore ajouté.Évoquant son propre vécu « instable », la vidéo tournée par Christina Maalouf dans la cuisine du palais, « là où personne ne va et que personne ne voit » dit-elle, reflète, grâce à son travail sur le son et les petits détails filmés, tout le malaise que la jeune étudiante souhaitait exprimer.

Travail de Christina Maalouf. Photo Gregory Buchakjian

« La première fois que j’ai visité l’espace, je n’ai ressenti aucune connexion. Mais la deuxième fois que je me suis rendue sur les lieux, je suis entrée au palais par la porte arrière et je suis allée dans la cuisine. Et c’est à ce moment-là que le déclic s’est produit », relate-t-elle.Chloé Hajj, dont la relation avec la ville oscille entre amour et haine, souligne que le concept d’origine de son installation a changé plusieurs fois. En dépit des quelques difficultés techniques et temporelles rencontrées, elle assure cependant avoir été contaminée par l’énergie positive qui régnait sur place et parmi les étudiants. Comme une conversation avec tout ce qu’il a perdu, son père et le lien avec Saïfi, sa ville d’origine, Chaker Abi Rached est quant à lui parti du principe de l’existence d’une géographie personnelle parallèle à celle des villes, mais aussi de la relation des gens avec les pierres.

Travail de Chloe Hajj. Photo Gregory Buchakjian

Après des mois de recherches, il a mélangé l’asphalte au plomb et à la pierre pour en faire une structure, une sorte de cairn urbain issu de ce qui l’entoure et de son vécu. En quête de son propre langage, le jeune étudiant déclare « s’être retrouvé » lors de cette exposition qui lui a permis, dit-il, de côtoyer sous le même toit, dans un lieu historique, d’autres étudiants de l’UL et de l’AUB, et d’échanger avec « la nouvelle génération, voire les futurs artistes » appelés à marquer la scène artistique au Liban. Gregory Buchakjian souligne que « la participation des établissements d’enseignement supérieur à des événements similaires permet de replacer l’université dans la société ». « Une école d’arts visuels a pour mission de former des gens qui pensent, qui réfléchissent, qui sont impliqués dans la société et qui sont parties prenantes de cette société surtout que les artistes ont un rôle important à jouer dans le développement du pays particulièrement pendant les périodes difficiles », estime-t-il. Et d’ajouter : « Le rôle des artistes est vraiment de questionner ce qui se passe, que ce soit le fait historique ou politique mais aussi l’intime car tout est relié. »

C’est leur rapport à la ville, ce lien intime, personnel, subjectif, émotionnel, présent ou quasi absent qu’ils entretiennent avec Beyrouth que sept étudiants de l’École des arts visuels de l’Université de Balamand (ALBA) ont été invités à explorer et à rendre tangible à travers des œuvres et installations dévoilées et présentées in situ dans le cadre de...

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