Ce sont les tribunaux ordinaires qui sont compétents pour statuer sur la responsabilité des anciens ministres des Télécoms, Jamal Jarrah et Mohammad Choucair, dans l’achat litigieux par l’État, en août 2019, de l’immeuble abritant les locaux de l’opérateur de téléphonie mobile, Touch, près du centre-ville de Beyrouth (Bachoura). Voilà, en substance, la décision rendue par le juge d’instruction de Beyrouth, Farid Agib, la semaine dernière, rejetant les exceptions de forme que lui avaient soumises les deux ministres, dans le cadre d’une action intentée contre eux par Wassim Mansour, un actionnaire de la société Touch (gérée par une société privée pour le compte de l’État).
Le juge d’instruction a donc réfuté des arguments de MM. Jarrah et Choucair, qui considèrent qu’en cas de manquement aux devoirs de leurs charges, seule la Haute Cour de justice chargée de juger les ministres peut les poursuivre. Le magistrat a ainsi décrété que les actes qui leur sont reprochés, à savoir « corruption et détournement de fonds publics », constituent « des actes délictueux découlant de l’abus de la position de ministre », plutôt que des « manquements à leurs obligations ». Partant, « ces actes relèvent des tribunaux pénaux ordinaires », affirme-t-il dans sa décision que L’Orient-Le Jour a pu consulter.
Réduire l’immunité ministérielle
Contacté par notre journal, Nizar Saghiyé, directeur de Legal Agenda et avocat de Wassim Mansour, se satisfait de la décision du juge Agib. « Elle réduit la portée de l’immunité ministérielle derrière laquelle se cachent les ministres », se félicite-t-il, estimant qu’« elle constitue un premier pas vers la redevabilité des ministres visés ». Il évoque, à titre de comparaison, le dossier de la double explosion au port, dans laquelle les ministres impliqués ne sont toujours pas inquiétés. « L’argument des immunités ministérielles constitue l'un des grands obstacles qui se dressent devant le juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, en charge de l’enquête sur la catastrophe », observe-t-il à cet égard.
Le directeur de Legal Agenda indique que la Chambre d’accusation de Beyrouth a cependant été saisie la semaine dernière par deux recours déposés par MM. Jarrah et Choucair visant à infirmer la décision du juge Agib. Il faudrait donc attendre le verdict de cette juridiction de second degré pour savoir si les deux ministres seront poursuivis devant la justice ordinaire, plutôt que devant la Haute Cour de justice. Celle-ci est généralement considérée comme « virtuelle », n’ayant jamais siégé. Et pour cause : composée de 15 membres, dont 8 magistrats et 7 députés, elle ne peut être saisie qu’avec l’approbation des deux tiers des membres du Parlement. Elle ne peut, par ailleurs, rendre de verdict qu’à une majorité de dix voix.
Le bien-fonds de Bachoura avait été acquis pour la somme faramineuse de 75 millions de dollars. Son acquisition, annoncée par Mohammad Choucair, alors ministre des Télécoms, avait suscité de vives réactions dans la société civile et certains milieux politiques, qui l’avaient qualifiée de « marché douteux ».
Sa location, suivie de sa vente, avait été précédée d’un contrat de location d’un immeuble (appartenant à Jean Kassabian) situé à Chiyah (Beyrouth), en vertu duquel la société Touch payait 10,5 millions de dollars de loyer annuel.
S’étant saisie de l’ensemble de cette affaire de dilapidation des fonds publics, la Cour des comptes a établi en mai dernier un rapport dans lequel elle a porté des soupçons de responsabilité à l’encontre de MM. Jarrah et Choucair, mais également d’autres ministres qui se sont succédé depuis 2011 à la tête du ministère des Télécoms. Il s’agit de Nicolas Sehnaoui, Boutros Harb, Talal Hawat et Johnny Corm.
La cour a enjoint à chacun d’eux de se défendre face aux actes qui lui sont reprochés, leur accordant un délai de 60 jours, qui devrait expirer incessamment. C’est alors qu’elle pourra rendre sa décision définitive… que les ministres pourraient contester auprès du Conseil d’État.
Pour l'heure, Nizar Saghiyé salue la mesure prise par la Cour des comptes. « C’est bien la première fois de son histoire que la Cour pointe un doigt accusateur sur un nombre de ministres dans une seule décision », se réjouit-il, observant « une tendance actuelle à responsabiliser les responsables ».
commentaires (5)
Ou la la , les murs de Roumieh semblent se rapprocher pour certains…
Lecteur excédé par la censure
08 h 53, le 12 juillet 2023