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Idées - Commentaire

La ligue des victimes d’injustice

La ligue des victimes d’injustice

Des proches des victimes de l’explosion meurtrière qui a ravagé le port de Beyrouth et une partie de la ville rassemblés sur les lieux du drame pour marquer son 1er anniversaire, le 4 août 2021. Anwar Amro/ AFP

Le 13 juillet dernier, trois semaines avant le premier anniversaire de la double explosion au port de Beyrouth, les familles de plus de 200 victimes ont tenté de prendre d’assaut le domicile du ministre libanais sortant de l’Intérieur, Mohammad Fahmi. La raison de leur colère ? Le rejet, quatre jour plus tôt, de la demande de comparution du directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, devant le juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, chargé de l’enquête sur le drame du 4 août. Les familles, qui tenaient des cercueils vides à la mémoire de leurs proches, ont été repoussées par la police pour avoir demandé justice et responsabilité. Ce refus a été suivi par des efforts des parlementaires libanais pour bloquer des demandes similaires portant sur des responsables ministériels et sécuritaires soupçonnés d’avoir eu connaissance du stockage pendant des années au port des 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium à l’origine de l’explosion.

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La question des immunités semble ainsi confirmer aux yeux de l’opinion la ferme intention des dirigeants politiques libanais de bloquer l’enquête, en dépit de leurs déclarations rassurantes. Le juge Bitar risque ainsi de se heurter au même obstacle qui a eu raison de son prédécesseur, le juge Fadi Sawan, révoqué en février dernier après avoir accusé deux anciens ministres de négligence. Ce déni de justice flagrant et l’ampleur même de l’attentat du 4 août ont transformé les familles des victimes en un groupe de pression déterminé. Elles ont mené des protestations et sont restées unies dans un combat inégal contre une classe politique qui reste au-dessus de la loi et qui est principalement composée d’anciens chefs de guerre et d’hommes d’affaires corrompus.

Longue série

Compte tenu du système de partage du pouvoir au Liban et de son impact sur les décisions politiques et administratives, la responsabilité de la cargaison de nitrate d’ammonium englobe probablement un large éventail de membres de la classe politique. Le composé chimique était stocké dans le port depuis septembre 2013, et le fait que rien n’ait été fait pour le retirer illustre les crimes commis par les dirigeants au cours des trois décennies qui ont suivi la fin de la guerre civile au Liban. Les politiciens du pays ont gouverné en combinant l’avidité, l’indifférence au bien public et une absence totale de responsabilité. Cette mentalité de gouvernement a placé le pays sur la voie de l’autodestruction.

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Cependant, les victimes de l’explosion du port n’étaient que les dernières d’une longue série de victimes, remontant à la guerre civile libanaise de quinze ans qui a débuté en avril 1975. Du fait de la loi d’amnistie générale de 1991, la grande majorité des personnes ayant commis des crimes de guerre n’a jamais été tenue responsable de ces actes qui ont entraîné la mort de quelque 150 000 personnes, selon certaines estimations.

Seules les familles des personnes disparues pendant la guerre – entre 5 000 et 17 000 personnes selon les estimations – ont protesté contre les implications de la loi d’amnistie. Malgré la faible couverture médiatique et le peu de soutien de la société civile, elles ont poursuivi leurs efforts, souvent à un coût élevé. Najat Hashisho, l’épouse d’un professeur de lycée communiste, a porté le cas de son mari devant les tribunaux, identifiant l’un de ses voisins comme faisant partie des miliciens qui l’avaient enlevé. Son action en justice, déposée le 23 janvier 1991, n’a pas avancé pendant plus de 22 ans, les sessions du tribunal ayant été retardées à plusieurs reprises, de manière injustifiée, jusqu’à ce qu’elle perde cette bataille. « Est-il juste que ceux qui ont causé le mal vivent dans la sécurité et la stabilité, tandis que les familles des kidnappés souffrent de torture psychologique et d’anxiété persistante ? » s’est-elle alors exclamée à l’issue de ce marathon sans résultat.

Responsables épargnés

Cette question n’a jamais été aussi actuelle qu’aujourd’hui. La tragédie du Liban se poursuit, car sa classe politique reste entièrement épargnée par les souffrances qu’elle a causées. En octobre 2019, à la suite de manifestations massives à l’échelle nationale contre la direction politique du pays, les Libanais se sont réveillés pour découvrir que leurs banques avaient gelé leurs comptes, conséquence d’une crise financière croissante qui couvait depuis un certain temps. Pourtant, ces mêmes banques, dont beaucoup ont des liens étroits avec les dirigeants du pays, ont permis aux hommes politiques de transférer des milliards de dollars sur leurs comptes à l’étranger.

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Le fait qu’une majorité de la population libanaise soit depuis tombée sous le seuil de pauvreté n’a en rien modifié le comportement de la classe politique. Pour les politiciens du pays, tout se passe comme d’habitude. Personne n’est tenu pour responsable, donc personne ne s’en soucie, tandis que les mariages somptueux et les voyages à l’étranger de l’élite politique se poursuivent. Les politiciens se concentrent désormais sur les trois élections prévues l’année prochaine : les élections municipales, les élections législatives et l’élection présidentielle. Ils font campagne en renforçant la polarisation confessionnelle et en utilisant des devises fraîches ramenées de l’étranger pour acheter la loyauté politique.

Mercredi dernier, les familles des victimes de l’explosion du port et leurs partisans ont à nouveau battu le pavé pour demander des comptes. Des déposants qui ont perdu toutes leurs économies aux employés dont les salaires se sont évaporés en raison de l’effondrement de la livre libanaise, en passant par les familles des morts et des disparus des dernières décennies, la ligue des victimes libanaises ne cesse de gagner en ampleur. Alors qu’il est désormais clair pour la plupart des Libanais comme pour les acteurs extérieurs que la classe politique libanaise n’apporte que de la misère à la population, la liste de ses victimes devient trop longue pour que les choses restent en l’état.

Ce texte est aussi disponible en anglais et en arabe sur Diwan, le blog du Carnegie MEC.

Par Mohanad HAGE ALI

Chercheur et directeur de la communication du Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center. Dernier ouvrage : « Nationalism, Transnationalism, and Political Islam » (Palgrave, 2017).

Le 13 juillet dernier, trois semaines avant le premier anniversaire de la double explosion au port de Beyrouth, les familles de plus de 200 victimes ont tenté de prendre d’assaut le domicile du ministre libanais sortant de l’Intérieur, Mohammad Fahmi. La raison de leur colère ? Le rejet, quatre jour plus tôt, de la demande de comparution du directeur de la Sûreté générale, Abbas...

commentaires (6)

Ca ne mérite pas de commentaire, sujet maintes fois ressassé vu revu et corrigé, mais personne ne bouge. Il faut croire qui se complaisent dans leur misère ? Allez chez vos zaïms, cherchez-les chez eux ! bref on parle dans un désert et même l’écho est absent ! c’est affligeant !

Le Point du Jour.

22 h 52, le 07 août 2021

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • Ca ne mérite pas de commentaire, sujet maintes fois ressassé vu revu et corrigé, mais personne ne bouge. Il faut croire qui se complaisent dans leur misère ? Allez chez vos zaïms, cherchez-les chez eux ! bref on parle dans un désert et même l’écho est absent ! c’est affligeant !

    Le Point du Jour.

    22 h 52, le 07 août 2021

  • J,ATTENDS TOUJOURS, UN AN APRES, JUGE BITAR, LE NOM DU PRORIETAIRE QUI A STOCKE LE NITRATE DANS LE PORT DE BEYROUTH... MANIFESTE ET DOCUMENTS DOUANIERS PORTENT DES NOMS... ET LE OU LES NOMS DU OU DES UTILISATEURS.. DU PLUTOT... QUI RETIRAIT A DES INTERVALS DES QUANTITES TROUVEES DANS DES PAYS ETRANGERS AUX MAINS DE LIBANAIS PARTISANS DU HEZBOLLAH. LE JUGE COMME NOUS TOUS CONNAIT LES PAYS ET DOIT CONNAITRE LES NOMS. QU,EST-CE QUI L,EMPECHE DE REVELER LES NOMS AUX LIBANAIS ET DE COMMENCER LES POURSUITES DES TETES ET NON DES SUBALTERNES ? JUGE BITAR, REPONDEZ OU DESISTEZ-VOUS. QUE LA JUSTICE INTERNATIONALE PRENNE SON COURS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 46, le 07 août 2021

  • Faites un procès devant les tribunaux internationaux, c est possible et recevable, et empêcher ces abrutis de dirigeants de voyager dans des pays civilisés. Ils pourront du moins toujours faire du tourrisme en Iran, Syrie, Venezuella ou Coree du Nord...

    Aboumatta

    13 h 14, le 07 août 2021

  • Paroles, paroles…comme la chanson de Dalida…plus on écrit, plus on dit que la classe politique entière est corrompue plus une partie des libanais, nourrie par cette classe politique mafieuse, s’y accroche et la défend. Il n’y a que les familles martyrisées qui luttent en silence mais actuellement c’est le pot de terre contre le pot de fer. Les élections approchent et les Dollars « frais » vont inonder la scène pour acheter des voix et espérer se faire réélire.

    mokpo

    13 h 11, le 07 août 2021

  • en arrivant au Liban lever la tete pour lire: souriez vous etes au Liban

    barada youssef

    12 h 51, le 07 août 2021

  • Faites des messes.

    Nadim Mallat

    12 h 43, le 07 août 2021

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