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Idées - Point de vue

Pourquoi j'ai quitté Twitter

Quelques jours après le début des émeutes en France, à la demande de L'Orient-Le Jour, Ibrahim Maalouf réagit à la polémique suscitée après son tweet.

Photo Yann Ohran

L'Orient-Le Jour m’a demandé de réagir sur la polémique suscitée après mon tweet au sujet des émeutes qui se déroulent en France. N'étant pas du genre à me taire et ayant toujours assumé toutes mes paroles, qu'elles plaisent ou déplaisent, j'ai accepté.

Mon tweet disait ceci: « Un policier a tué Nael. Les émeutiers le tuent chaque nuit un peu plus. Une idée : si on avait appris à tous ces jeunes à jouer des instruments de musique quand ils étaient petits, les émeutes seraient de grands orchestres de protestation et tout le monde adhèrerait à la cause. »

Je l'admets, j'ai eu tort de publier ce tweet. J'ai eu tort et voici pourquoi : au début, Twitter était un média innovant et fascinant mais aujourd'hui ce n'est plus le cas. Feindre de ne pas le voir, de ne pas le savoir ou réagir en fonction de lui et de ses déboires est devenu selon moi une forme de complicité. Twitter a muté en une arme de désinformation. Et je suis convaincu que dans quelques années, nous considérerons, pour cette raison, qu'il met en péril l'équilibre de nos démocraties. Les comptes qui ont relayé l'information selon laquelle j'aurais fait un tweet « niais » ou « une gaffe », sont complices de cette désinformation. Ce sont soit des sites ou des comptes militants extrémistes, soit des « trolls », soit des comptes de relais d'information qui n'ont d'autre intérêt que de faire du « buzz » pour augmenter leurs audiences.

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Il n'y a dans les commentaires reçus strictement aucune réflexion véritablement constructive. Leur objectif n'est aucunement l'échange ou le débat d'idées. Le danger, c'est que la masse de ces relais laisse croire que ce qui est dit est vrai « puisque tout le monde l'écrit ». Or même si une information est répétée à profusion, elle n'est pas pour autant vérifiée ni véridique. Les petits groupes minoritaires crient leurs haines beaucoup plus fort que l'immense majorité silencieuse qui lit ces ignominies, ébahie, en refusant d'y prendre part.

Twitter est donc devenu à mes yeux l'équivalent rédactionnel du « deep fake » : vous voyez sur un écran un visage qui parle, mais ce n'est pas qui vous croyez. C'est un visage numérique derrière lequel se cache quelqu'un d'autre.

Vous l'avez compris, je n'accorde plus aucun crédit à ce qui est dit ou relayé sur Twitter, ni à mon sujet, ni sur le reste. Raison pour laquelle j'ai quitté cette plateforme, définitivement.

Venons-en au sujet spécifique de mon tweet afin de ne pas donner l'impression de balayer du revers de la main les nombreuses réactions hostiles (bien qu'elles le mériteraient). Tout d'abord, ceux qui prétendent que je me serais exprimé sur un sujet que je ne connaîtrais pas ont la mémoire opportunément courte.

Sur la police, on m'a reproché d'être déconnecté de la réalité, et d'avoir un avis de « bourgeois hors sol ». Pourtant ces 25 dernières années je me suis souvent exprimé sur ce thème, et je me suis fait systématiquement critiquer – par l'extrême droite en particulier, qui me reprochait de faire de la récupération. Toute mon adolescence j'ai été contrôlé au faciès, dans les transports en commun, dans la rue etc. Parfois de façon musclée, et toujours sans raison. Même en tournées, mes musiciens et mon équipe technique pourraient en témoigner, je suis systématiquement celui qui se fait contrôler par la police et les douanes, sans motif si ce n'est mon visage ou mon prénom. Le plus marquant restera mon contrôle d'identité à la gare du Nord en allant vers Londres pour un concert, en 2015, juste après les attentats de Paris, où l’on m'a confisqué mon passeport sans motif. Cette histoire a fait le tour de la France malgré moi, car les gens autour qui m'avaient reconnu, ont été scandalisés qu'on puisse me prendre pour un potentiel terroriste. Personnellement, j'ai demandé le calme et la compréhension face au climat tendu dans lequel la France se trouvait. J'ai fait quelques interviews pour apaiser. Et tout est rentré dans l'ordre. Pour autant, je ne généraliserai jamais et ne résumerai pas la police à mes douloureuses expériences : ce n'est pas parce que certains fonctionnaires font des erreurs ou provoquent parfois des drames, que tous les policiers sont violents. Et c'est la même réflexion que j'attends des forces de l'ordre : ce n'est pas parce que certains jeunes font des bêtises que tous les jeunes sont des délinquants. Pour avoir discuté avec nombre de policiers, l'immense majorité d'entre eux pensent ainsi. Je ne nie donc pas l'existence des autres, ceux qui provoquent et abusent de leur pouvoir. Et il en est de même du côté des habitants des quartiers difficiles, que je connais bien par ailleurs, et qui sont convaincus que la majorité des policiers font bien leur travail.

Ensuite pour ceux qui pensent que ma réflexion autour de la musique et des instruments était naïve, je tiens à leur rappeler que la musique a toujours été un vecteur de rébellion positif et constructif. Le blues et le jazz ont été au départ des musiques de révoltes et de libération face à l'assujettissement et à la barbarie esclavagiste. Le hip-hop est une culture de révolte et nombre de messages de rétablissement de l'équilibre social sont passés à travers cette musique et passent encore. Et je ne parle pas que du MC (chanteur, Ndlr) qui écrit des textes revendicatifs. Je parle de tous les jeunes producteurs derrière leurs ordinateurs ou leurs instruments qui font du son et créent les bandes originales de nos vies de demain. Les femmes se sont libérées en partie grâce à la musique engagée de certaines (et certains) artistes, des pays entiers sont drainés par des hymnes, la musique a toujours été un outil de libération. C'est la raison d'ailleurs pour laquelle dans certaines cultures elle est crainte, et que l’on préfère l'interdire. Par ailleurs, dans le domaine de la musique classique, le programme éducatif « El Sistema » a fait ses preuves en Amérique du sud. Ce qu'ils appellent le « social change » grâce à la musique. Le résultat est que l'orchestre Bolivar au Venezuela, dont les musiciens sont issus des classes défavorisées est devenu l'un des orchestres classiques les plus apprécié au monde. Bref, la polémique autour de mon tweet relève en réalité d'une guerre d'information et d'idéologie. Les coups bas sont alors légion. Après bientôt 30 ans de carrière, d'enseignement de plusieurs milliers de jeunes, dont 7 ans au Conservatoire d'Aubervilliers La Courneuve (93), de rencontres avec mes fans etc. Quelques personnes mal intentionnées veulent décrédibiliser mes mots et n'ont pas d'autre choix que d'utiliser la seule chose qu'ils peuvent croire pouvoir me reprocher, c'est à dire l’accusation mensongère d'agression sexuelle dont j'ai été victime il y a quelques années. L'utilisant comme une arme de discrédit, ils la sortent dès que je donne mon avis sur des sujets qui les dérangent. C'est évidemment pratique pour ne pas avoir à débattre du fond.

Je me vois donc obligé de rappeler que j'ai été innocenté par la justice en 2020, et que le journal qui avait sorti cette histoire a été lourdement condamné en 2021 pour avoir publié, de mauvaise foi (selon la justice), un article sans fondement. Autrement dit, j'ai été entièrement, intégralement et définitivement innocenté. Je précise aussi, même si je ne dois rien à personne, que ces mêmes malveillants qui répètent inlassablement que j'aurais été innocenté seulement par « manque de preuve », omettent de préciser que les nombreux mensonges de la jeune femme ont été démontrés preuves et témoignages à l'appui.

Ne soyons pas dupes. Je le répète : il s'agit d'une guerre d'information. Nous devons apprendre à ne pas nous contenter de relayer sans savoir, juste parce que l'information nous fascine, nous étonne ou nous impressionne. Nous devons apprendre à nos jeunes à discerner le vrai du faux, surtout sur internet. Il faudrait des classes dans les écoles pour apprendre à nos jeunes à reconnaître les « deep fake », les faux comptes, les « trolls » etc... Ne serait-il pas temps d'instruire nos enfants aux enjeux de demain en leur donnant des cours de discernement ? Comment reconnaître une vraie info d'une « intox » ? Peut-on croire une vidéo avant une vérification légale ? Comment apprendre à lire un article en fonction du média qui le publie ? Est-il objectif ? Est-ce un média d'extrême droite ? De gauche ? Anarchiste ? Religieux ? Ce média a-t-il un agenda caché ?

Twitter est une plateforme spécialisée dans le relais d'informations incomplètes. D'ailleurs pour l'immense majorité de ses utilisateurs, le nombre de caractères est limité. Autrement dit, son principe même est de ne pas donner d'information complète : c'est la définition même de la désinformation. Le nouveau propriétaire de la plateforme, a même, dès son arrivée, et au nom de la liberté d'expression, rouvert de nombreux comptes qui avaient été fermés pour avoir relayé de fausses informations.

J'ai donc décidé de quitter Twitter. Et pour un artiste, souffrez de reconnaître que c'est une décision courageuse. Je le redis, j'ai eu tort de m'exprimer sur Twitter. J'ai encore dans mon cœur les rêves de mes parents, qui fuyant la guerre civile, rêvaient pour leurs enfants d'une France instruite, éduquée, cultivée, humaniste et capable de discernement.

Alors oui, je suis moi aussi un rêveur, un idéaliste. N'a-t-on pas ces temps-ci terriblement besoin de rêver ?

Par Ibrahim MAALOUF

Musicien

L'Orient-Le Jour m’a demandé de réagir sur la polémique suscitée après mon tweet au sujet des émeutes qui se déroulent en France. N'étant pas du genre à me taire et ayant toujours assumé toutes mes paroles, qu'elles plaisent ou déplaisent, j'ai accepté.Mon tweet disait ceci: « Un policier a tué Nael. Les émeutiers le tuent chaque nuit un peu plus. Une idée : si on avait appris...

commentaires (12)

Merci Mr Maalouf, nous qui sommes de la generation de vos parents , nous voyons avec tristesse et consternation ce qui se passe dans ce vaste monde. Vous nous mettez du baume sur le cœur.

Catherine Nasr

06 h 35, le 07 juillet 2023

Tous les commentaires

Commentaires (12)

  • Merci Mr Maalouf, nous qui sommes de la generation de vos parents , nous voyons avec tristesse et consternation ce qui se passe dans ce vaste monde. Vous nous mettez du baume sur le cœur.

    Catherine Nasr

    06 h 35, le 07 juillet 2023

  • Très bon texte. Pensée claire et juste.

    Saleh Issal

    01 h 34, le 07 juillet 2023

  • Bravo,Ibrahim ! Twitter et compagnie....des instruments faciles de guerre moderne et de fausse information en masse cancérigène ! et des trillions de $$$$$ pour ses fondateurs! Allez voir qui.

    Marie Claude

    11 h 31, le 06 juillet 2023

  • Ne vous découragez pas Ibrahim. En fin du 19e me siècle il y a un musicien qui s’appelait Anselm CLAVE qui a sorti par la musique plusieurs centaines de pauvres travailleurs qui n’avaient comme occupation après le boulot que de boire et de se soûler. Il a eu l’idée de former des équipes de chorales et de chanter. L’idée a plu. Les travailleurs se retrouvaient après le travail pour chanter ensemble . Nombreux avaient abondones la boisson. L’ignorance et la mauvaise fois amènent à la bêtise. Ne vous arrêtez pas. Bon courage.

    HIJAZI ABDULRAHIM

    19 h 42, le 05 juillet 2023

  • Merci pour cette réponse dans une société où tout est régi par la formule choc réductrice et sans nuance. Les romains avaient une vertu qui s'appelait "mediocritas" . C'était un faux ami pour les traductions hâtives qui veut dire en réalité le juste milieu. Méfions nous des extrêmes dont la violence physique ou verbale qui n'ont jamais fait progresser les choses dans le bon sens.

    Thierry Germain

    19 h 35, le 05 juillet 2023

  • Un très bel article, bravo !

    Politiquement incorrect(e)

    16 h 55, le 05 juillet 2023

  • Bravo pour votre courage M. Maalouf ! Votre tribune révèle votre bon sens et votre humanité. Vous devriez la publier aussi en France dans un grand média. Bon corage pour affronter vos détracteurs, ils sont jaloux de vos succès et de vos qualités. Laissez-les vociférer dans le vide et restez au dessus de leurs petitesses ...

    GM92190

    15 h 38, le 05 juillet 2023

  • Bravo pour ce que vous ecrivez! C’est eclairé -plein de sagesse et nuancé !!Ca fait du bien au milieu de tout ce manque de discernement et de finesse dans’l’analyse de ces evenements violents …et bravo pour le desabonnement de twitter - j’espere que beaucoup vous suivront - …un acte de resistance et de liberté!! Ines

    de Villeneuve- Flayosc Ines

    14 h 23, le 05 juillet 2023

  • "Les émeutiers le tuent chaque nuit un peu plus. Une idée : si on avait appris à tous ces jeunes à jouer des instruments de musique quand ils étaient petits, les émeutes seraient de grands orchestres de protestation et tout le monde adhèrerait à la cause. » très vrai, vrai signe de maturité, vrai signe d'honnêteté et vrai signe de courage! Bonne continuation Mr Maalouf

    Wlek Sanferlou

    14 h 23, le 05 juillet 2023

  • Vous avez reussi a tenir plusieurs paragraphes sans mentionner l'extreme-droite, c'est impressionnant...

    Khoueiry Marc

    13 h 42, le 05 juillet 2023

  • Le monde a toujours été comme ça. Des méchants, des indifférents, et des gens de valeur, une minorité vraiment. Il le sera toujours pareil. Vous avez eu affaire aux 3 types, comme chacun d'entre nous. Rien d'inquiétant.

    Esber

    11 h 06, le 05 juillet 2023

  • Cher Monsieur Maalouf. Les chiens aboient, la caravane passe. Expression française du XIXe siècle d’origine ARABE qui servait auparavant à décrire le chiens qui surveillaient les campements nomades rencontrés lors de leur passage.

    Tamimtamim

    10 h 59, le 05 juillet 2023

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