Rechercher
Rechercher

Culture - Parcours urbain

À la recherche de cet art qui amène à penser la ville...

Se promener à Beyrouth et y découvrir des œuvres et des interventions artistiques disséminées dans des lieux aussi insolites qu’une pharmacie, une cage d’ascenseur, un parking ou un « forn mana’iche »... Voici ce que propose TAP, une plateforme curatoriale de soutien à la production d’art dans les espaces publics, dans son dernier projet « OnRooftops and Under the Ground ». Jusqu’au 15 juillet.

À la recherche de cet art qui amène à penser la ville...

Image tirée de la vidéo « Common Threads » de Nesrine Khodr. Photo DR

Samedi 1er juillet à 18h : de petits groupes de promeneurs munis de grandes cartes jaunes font leur apparition dans le secteur de Ras-Beyrouth de la capitale. Ils sont à la recherche d’œuvres exposées dans les pharmacies, les halls et les ascenseurs d’immeuble, les stations de lavage de voitures, les parkings ou encore les boulangeries traditionnelles... Si la plupart de ces Indiana Jones citadins font partie intégrante de la scène artistique contemporaine beyrouthine, quelques passants, attirés par la légère agitation qu’ils provoquent dans l’ambiance assoupie du long congé d’al-Adha, s’engouffrent rapidement à leur suite, mus par la curiosité...

C’est justement à ce public non averti que veut s’adresser aussi la Temporary Art Platform (TAP) qui est à l’initiative de cet événement. Car si cette ONG, fondée par la curatrice Amanda Abi-Khalil en 2014 pour soutenir et encourager la production d’un art contemporain dans l’espace public libanais, a pour objectif premier d’amener les artistes à « penser la ville » à travers des pratiques de recherches artistiques, elle veut tout autant rendre leurs œuvres plus accessibles à tous par le biais de leur présentation dans divers lieux de la vie quotidienne.

Dans cette optique, la TAP a inauguré samedi « On Rooftops and Under the Ground », une exposition de pièces visuelles, sculpturales et sonores de cinq plasticiens libanais disséminées dans le périmètre s’étendant de Clemenceau à Aïn el-Mreissé, via la rue de Phénicie. Une exposition non conventionnelle qui se présente sous la forme d’un parcours dans ce quartier caractérisé par une certaine mixité architecturale et sociale, et qui a gardé de fortes empreintes du Beyrouth d’avant-guerre. Et qui, de ce fait, offre un cadre idéal pour les œuvres qui y sont présentées, toutes issues de problématiques en lien avec les multicrises actuelles et leur impact socialement significatif sur l’évolution de la ville et de la cohésion de ses habitants.

Des œuvres au four et à la pharmacie

Coupures d’électricité, pénuries diverses, pollution de l’air, eaux contaminées, profusion anarchique de câbles et de panneaux solaires, problèmes de générateurs, de voisinage… Sans parler de la paupérisation galopante de toute une population… Voilà plus de 3 ans que Beyrouth sombre silencieusement. Son tissu social et urbain est profondément impacté, ses habitants déboussolés. Et ses artistes aussi, forcément, perturbés par la transformation souterraine de cette ville blessée. « L’aggravation de la crise libanaise est devenue un sujet de conversation permanent. Nous en avons discuté avec des artistes qui vivent cette situation, même si certains se sont temporairement éloignés du pays pour la viabilité de leur art. Et de ces discussions est né le projet de passer commande à 5 d’entre eux afin qu’ils réalisent des œuvres nourries de cette problématique et de leur implication citoyenne », indique Amanda Abikhalil. Qui signale que pour la réalisation de ce projet, la TAP s’est appuyée sur la collaboration de deux artistes et chercheurs issus du monde universitaire et académique. À savoir, l’architecte et urbaniste Hiba Abou Akar, directrice du Columbia University’s Post-Conflict Cities Lab, et l’artiste plasticien et professeur à la Leed Beckett University, Mohammad Hafeda.

Quant aux artistes, il s’agit, en l’occurrence, de Nesrine Khodr, Lara Tabet, Mohammad Kanaan, Moustapha Jundi et Monica Basbous qui ont en commun une certaine orientation de leur art vers l’expérimental, la réflexion et le processus de recherche. Des artistes visuels, plasticiens, vidéastes, architectes et graphistes dont les pratiques dites contextuelles, portées sur le mode de l’intervention urbaine, de la création in situ et du détournement des signalétiques urbaines, offrent une nouvelle grille de lecture de l’espace temporel et social dans lequel ils évoluent et apportent un regard différent sur le rôle sociopolitique de la création artistique. Inspirées donc des multiples crises libanaises de ces dernières années, les œuvres commissionnées par la TAP dans le cadre de ce nouveau projet d’art dans l’espace public ne sont pas pour autant toujours immédiatement repérables. Ainsi, vous pourrez passer à côté de l’installation d’affiches de Monica Basbous (How Long Is the Coast of Lebanon ?), qui interroge l’accès de la population aux lieux de baignade, ou de l’intervention de la plasticienne Nesrine Khodr sur Furn el-Aasry et son générateur – « qui n’est pas une œuvre d’art », s’amuse-t-elle à répéter –, sans vous douter qu’il y a là des pièces au discours aussi frappant que leur conception est allusive.

Lire aussi

Pourquoi ces quatre expositions sont à voir à Beyrouth

Idem pour la vidéo (Resilience Overflow) au format complexe de Lara Tabet. Cette artiste, médecin biologiste de formation, aborde dans un mélange de récit personnel et de propos scientifiques le sujet de la toxicité de l’eau à Beyrouth. Il faut entrer à la pharmacie Clemenceau pour visionner, casque audio à l’appui, sa pièce nichée dans un coin entre les étagères de produits pour nouveau-nés et celles des shampooings et piercing de nombril…


Une intervention de Lara Tabet sur panneau LED au Ring (DR)

Dans « le ventre du monstre » …

Seule et unique œuvre réalisée in situ, celle de Mohammad Kanaan qui a signé (The Belly of the Beast) une intervention poétique sur les rideaux des balcons du Letco Star Hotel. Cet ancien hôtel des années soixante, reconverti aujourd’hui, en dépit de son état de délabrement avancé, en logement locatif de salariés et de familles aux ressources réduites, héberge actuellement un nombre conséquent de jeunes du Akkar qui travaillent dans l’industrie de la restauration à Zaitunay Bay et y partagent souvent à 4 ou 5 une même chambre. Dans cette bâtisse, parfaite illustration des conditions de vie déplorables de ses habitants, l’artiste a installé 12 nouveaux rideaux extérieurs sur lesquels il a inscrit un texte arabe tiré de l’un de ses poèmes. Suivant leur fermeture complète ou partielle, le passant dans la rue peut y lire différentes formulations de phrases évoquant « un monstre, plus précisément cette baleine qui nous a avalés ». Celle-ci pouvant symboliser la ville explosée, le capitalisme, la crise financière et économique ou tout simplement la mafia au pouvoir…

Parmi les autres œuvres qui se sont infiltrées dans un lave-auto souterrain, dans un parking en attente d’un gratte-ciel, dans un ascenseur d’immeuble, dans les commerces du quartier et même sur les écrans Led publicitaires qui bordent l’artère dite du Ring, il ne faut pas rater la vidéo (Common Thread) de Nesrine Khodr au café Le Bistrot. Elle raconte, dans un mélange d’images réelles, de collages et d’animation en stop-motion, la défiguration de la ville par les enchevêtrements de câbles électriques et l’installation sauvage de plaques solaires. Mais aussi, de manière sous-jacente (dans une pièce audio au discours complémentaire, installée dans l’ascenseur de l’immeuble Daouk 77), cette étonnante impossibilité à tisser des liens de connexion entre ces communautés d’habitants d’un même immeuble, d’un même quartier et d’une même ville, tous pourtant confrontés aux mêmes difficultés de survie au quotidien…

Vous l’aurez compris, « On Rooftops and Under the Ground » est une exposition d’œuvres faites pour ouvrir le regard, l’aiguiser sur certaines problématiques, susciter l’étonnement, parfois aussi la remise en question de certaines perceptions… Et finalement, générer une réflexion chez l’observateur, même le plus lambda…

Un parcours artistico-urbain à expérimenter. Muni bien sûr du plan jaune « numérisé » distribué à l’entrée de l’immeuble Kanaan (où trône d’ailleurs la sculpture rose fluo de Moustapha Jundi) à l’angle de la rue de Phénicie, dans la descente qui mène de Clemenceau à Aïn el-Mreissé. Jusqu’au 15 juillet.

Rencontres autour d’« On Rooftops and Under the Ground »

– Mercredi 5 juillet, de 18h à 20h : discussion autour d’un café, sur le rooftop de l’immeuble Jamil Kanaan, modérée par Amanda Abi-Khalil, Hiba Bou Akar et Mohammad Hafeda. « On Rooftops, Everyday Life and Social Networks », avec Lina Mounzer, Abir Saksouk et Kirsten Scheid. Et « On Undergrounds, Water and Infrastructure », avec Marc Ghazali, Sergio Kesrouani et Reem Shadid.

– Samedi 15 juillet à 20h : Sandy Chamoun chante The Belly of the Beast, l’intervention de Mohammad Kanaan, au Letco Star Hotel.

Samedi 1er juillet à 18h : de petits groupes de promeneurs munis de grandes cartes jaunes font leur apparition dans le secteur de Ras-Beyrouth de la capitale. Ils sont à la recherche d’œuvres exposées dans les pharmacies, les halls et les ascenseurs d’immeuble, les stations de lavage de voitures, les parkings ou encore les boulangeries traditionnelles... Si la plupart de ces Indiana...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut