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Culture - Les recommandations culturelles de L’OLJ

Pourquoi ces quatre expositions sont à voir à Beyrouth

Dans le foisonnement d’accrochages artistiques de ce début d’été en ville, il devient difficile, sinon inutile, de tout voir. Pour vous aider à choisir votre parcours des galeries en fonction de vos goûts et centres d’intérêt, voici une sélection – forcément subjective et non exhaustive* – des meilleures cimaises beyrouthines du moment.

Pourquoi ces quatre expositions sont à voir à Beyrouth

Une toile de l’exposition « Sur le toit du monde » de Yann Leto à la galerie Août. Photo DR

« Artful Crimes » de Die Famous à la galerie Mark Hachem

Pourquoi faut-il voir cette exposition qui, à en juger par son titre, semble faire l’apologie du crime ? Pour la vision mordante qu’elle nous renvoie de notre monde contemporain. Une vision désabusée, ironique et dénonciatrice qui s’exprime dans les peintures narratives et hyper colorées que l’artiste libano-finlandaise Yasmina Nysten et le peintre américain Morrison Pierce signent à deux, sous le pseudo (ambitieux !) « Die Famous ». Et qu’ils présentent pour la première fois à Beyrouth sous l’intitulé (provocateur) « Artful Crimes » (Crimes astucieux).

Issus d’univers différents, les deux artistes se sont rencontrés au hasard d’une déambulation à Astoria, une petite ville de l’Oregon, aux États-Unis. Ils se sont aussitôt reconnus dans ce même regard critique porté sur l’actualité mondiale. Mais aussi dans l’évidente influence du pop art, du street art et des peintres progressistes de la côte est des années 1980-1990 sur leur travail. D’où l’idée de joindre leurs pinceaux dans des œuvres communes présentées avec succès, il y a deux ans, à la foire Miami Art Basel.

« Banderos », une toile de la collaboration Die Famous (193,5 x 152,5 cm, 2023). Photo DR

Une collaboration que les deux complices ont poursuivie dans les trois séries de techniques mixtes sur toile qu’ils présentent jusqu’au 6 juillet à la galerie Mark Hachem de Beyrouth (centre-ville). Réalisées littéralement à quatre mains, leurs peintures en grand format et aux couleurs saturées dégagent une énergie assez captivante. Et pour cause, elles dépeignent, sans ménagement mais avec une certaine esthétique, des scènes identifiables aux quatre coins de la planète : vendeurs à la sauvette de faux sacs de luxe, prostituées attendant le client dans la rue ou encore (moins réalistes et plus symboliques) les salles de réanimation laissées dans un état cataclysmique… Autant d’illustrations d’un monde dominé par le crime, la corruption et les malversations d’un tentaculaire marché noir (une série intitulée Black Market), qui s’étend même au domaine de la santé (dans Malapractice) et dont les abus mènent inévitablement au chaos. Cet état de bouleversement total a d’ailleurs inspiré au duo une troisième série, d’influence très « Basquiat » cette fois. Et tout simplement intitulée Bosta (« bus »en libanais). Éloquent !

« Sœurs de solitude » d’Annie Kurkdjian à la LT Gallery 

De la sororité en dessin et en peinture. Voilà un thème rarement, pour ne pas dire quasiment jamais, exploré par nos artistes libanaises. Du moins pas avec la profondeur, la sincérité et la… crudité propres à Annie Kurkdjian. Un an à peine après sa dernière exposition beyrouthine, la peintre libano-arménienne est de retour sur les cimaises de la LT Gallery à Mar Mikhaël, jusqu’au 16 juillet, avec une nouvelle série d’œuvres rassemblées sous l’intitulé « Sœurs de solitude ». Autant vous dire que le titre tient ses promesses. Car tout dans cet accrochage renvoie à un univers purement féminin auquel les hommes n’ont pas accès. Il y a quelque chose de l’ordre des confidences intimes qui se déverse dans ces toiles aux couleurs voilées. Des histoires que se racontent les filles d’Ève uniquement entre elles. Celles de leurs drames secrets, leurs rêves brimés, leurs ambitions malmenées, leurs désirs trop souvent inassouvis, notamment celui de la maternité à laquelle ne peuvent pas avoir accès les célibataires dans ce pays… Tout cela est dit à travers une trentaine de portraits de personnages féminins qui cassent délibérément les codes de la féminité convenue – celle surfaite et triomphante des images de magazines et des réseaux sociaux – pour dépeindre une réalité dans laquelle baigne l’artiste, elle qui confie avoir renoncé à son propre insu « à la maternité en solo, entre autres… »

Portrait de la série « Sœurs de solitude » d’Annie Kurkdjian à la LT Gallery. Photo DR

Représentées, en solo ou en groupe, dans un état suspendu d’immobilité et d’intensité, ces femmes aux formes généreusement sinueuses et aux postures étrangement contorsionnées parlent au spectateur, frontalement, de leur solitude intrinsèque de victimes de la société patriarcale et de ses préjugés.

Les habitués de l’univers cruel et fantasmagorique, relevé d’une pointe d’humour noir, d’Annie Kurkdjian percevront sans doute un certain adoucissement, tirant vers la mélancolie, dans cette dernière cuvée d’œuvres. Les autres sont encouragés à les découvrir pour le mélange d’émotion et de réflexion qu’elles suscitent.

« The Future Is Near » de Tarek Elkassouf chez Saleh Barakat

Visiter l’exposition de Tarek Elkassouf à la galerie Saleh Barakat (rue Justinien, secteur Clemenceau), c’est entrer dans un univers futuriste et introspectif tout à la fois. C’est pénétrer dans une dimension artistique où l’architecture, l’abstraction minimaliste et les questionnements existentiels se conjuguent. C’est aussi, et surtout, accepter de se laisser désarçonner par l’antagonisme apparent entre l’aspect géométrique, structuré et froid des œuvres entièrement réalisées en marbre de Carrare, basalte, pierre libanaise (testa) et feuille d’or, et le récit émotionnel d’une expérience à la fois collective et personnelle qui les sous-tend.

Vue partielle des colonnes totémiques de Tarek Elkassouf à la galerie Saleh Barakat. Photo DR

Car cette installation immersive de cinquante pièces (sculptures et murales de différents formats et dimensions) est censée emmener le visiteur dans un parcours de deuil. Celui que tout un chacun est amené à expérimenter tôt ou tard dans sa vie. Une expérience que l’artiste relie surtout à une ville, « Beyrouth, qui s’est désintégrée (…) et n’a plus été la même ces dernières années », indique-t-il dans sa note d’intention. « Au lieu que ses habitants partagent leurs rêves d’un pays florissant, ils devraient d’abord partager l’expression du traumatisme collectif qu’ils ont vécu (celui de la double explosion au port le 4 août 2020, NDLR) », poursuit-il. Celui pour qui la création artistique est aussi une démarche de guérison a ainsi baptisé son exposition « The Future Is Near » (Le futur est proche), parce qu’elle exprime, une fois les cinq étapes du deuil achevées, « un appel réaliste à l’optimisme », soutient-il.

Si le propos émotionnel ne se lit pas spontanément dans les œuvres présentées, leur présence puissante, en particulier celle de certaines pièces monumentales comme les colonnes totémiques qui occupent le centre de la grande salle, irradie une énergie et une esthétique (n’ayons pas peur des mots !) impressionnantes. Car ces œuvres intégralement créées à partir « de matériaux extraits du cœur de la terre » sont d’une précision et d’une qualité de travail remarquables. On y décèle la rigueur de l’architecte, qui est la formation première de Tarek Elkassouf, et sa quête d’équilibre entre ombre et lumière, vides et pleins, pensée et matière… Un artiste qui partage son temps entre Sydney et Beyrouth et dont l’art « est du niveau de ce que l’on voit au Guggenheim et à Art Basel », assure Saleh Barakat, qui se dit extrêmement fier de pouvoir le présenter dans ses murs. D’autant, signale-t-il, que le travail de Tarek Elkassouf a fait l’objet de commandes de musées internationaux tels que l’Institut du monde arabe (IMA) en France et Ithra en Arabie saoudite.

À découvrir jusqu’au 12 août, pour sortir du familier et de l’attendu…

« Sittin’ on the Top of the World » de Yann Leto à Août Gallery

« J’aime que les gens retrouvent dans mes peintures ce qu’ils vivent », confiait Yann Leto à L’Orient-Le Jour lors de son passage à Beyrouth pour le vernissage de son exposition « Sittin’ on the Top of the World » (Assis sur le toit du monde) à Août Gallery, à Gemmayzé.

Par conséquent, si vous êtes jeune et que vous aimez faire la fête, sur les rooftops en particulier, les œuvres récentes de cet artiste français sont pour vous ! Vous y verrez représentées dans de grandes huiles – relevées de quelques sprays d’aérographe « pour leur donner un petit côté lumineux », précise leur auteur – des ambiances raconteuses de vies urbaines plutôt fêtardes et arrosées. Vous y trouverez même dans l’une d’entre elles, réalisée juste avant la venue de l’artiste au Liban, quelques détails purement libanais…

Né en 1979 à Bordeaux, installé depuis quelques années en Espagne, où il est représenté par l’importante galerie madrilène Yusto/Giner, Yann Leto fait partie de cette génération de peintres émergents qui cultivent un langage artistique hybride et iconoclaste. Souvent en déplacement, au gré de ses expositions à Londres, Singapour, Los Angeles ou Rome, ce cosmopolite dans l’âme nourrit ses toiles narratives de son regard curieux sur les gens qu’il croise dans « les hôtels, les restaurants, la rue, les soirées…» Mais aussi de cette « inquiétude de bien faire » qui le ronge, dit-il, et qui le pousse, a contrario, à s’éloigner dans son art des règles conventionnelles et académiques. Mixant ainsi dans ses œuvres le réalisme et la distorsion, le figuratif et le surréalisme, le regard critique et une certaine légèreté de l’être, ce quadragénaire exubérant peut tout aussi bien glisser la figure du Christ – « reconnaissable aux traces de clous dans ses mains » – dans sa représentation d’une joyeuse bande de plongeurs en piscine que s’amuser à mélanger les personnages, les atmosphères et les références classiques et numériques dans une même composition…

Autant de traits paradoxaux qui donnent à ses peintures une vitalité décomplexée évocatrice d’une société actuelle marquée au sceau d’une agitation frénétique… Trompeusement heureuse peut-être ? À voir, pour tenter de répondre à cette question…

*Il faut ajouter à cette sélection les expositions de Zena Assi et Talib Almarri chez Tanit et celle des jeunes talents à la galerie Janine Rubeiz, préalablement présentées dans ces colonnes et qui méritent également le déplacement. 

« Artful Crimes » de Die Famous à la galerie Mark HachemPourquoi faut-il voir cette exposition qui, à en juger par son titre, semble faire l’apologie du crime ? Pour la vision mordante qu’elle nous renvoie de notre monde contemporain. Une vision désabusée, ironique et dénonciatrice qui s’exprime dans les peintures narratives et hyper colorées que l’artiste...

commentaires (1)

J’adore la page culture de l’OLJ, son professionnalisme et son éclectisme. Mine de rien, au fil des papiers lus ces derniers mois, je tiens les spots incontournables de mon prochain séjour au Liban, y compris un détour par Hrajel et, bien sûr, les expos du moment.

Marionet

10 h 34, le 01 juillet 2023

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Commentaires (1)

  • J’adore la page culture de l’OLJ, son professionnalisme et son éclectisme. Mine de rien, au fil des papiers lus ces derniers mois, je tiens les spots incontournables de mon prochain séjour au Liban, y compris un détour par Hrajel et, bien sûr, les expos du moment.

    Marionet

    10 h 34, le 01 juillet 2023

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