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Nos Lecteurs ont la Parole

Qui serions-nous d’autre sans les autres ?

Imaginons le récit de l’humanité avec cette phrase : « Il y eut un jour sur terre une discrimination... »

En effet, l’histoire de l’humanité s’étend comme un vaste livre de mille pages, chacune décrivant plus de deux siècles d’événements captivants !

Dans les pages de ce livre, le cannibalisme occupe plusieurs centaines de pages, mais un tournant survient lorsque les hommes décident d’y mettre fin. Poussés par la faim, ils choisissent de se nourrir d’animaux et de végétaux, évitant ainsi la perte absurde de leurs proches. Ce choix fut crucial pour la perpétuation de l’espèce humaine.

Dans les méandres de ce livre, l’inceste se déploie également sur plusieurs centaines de pages, mais un changement intervient lorsque les hommes décident de mettre un terme à ces relations intimes avec leurs frères, sœurs, pères, mères, fils et filles. Cette décision est motivée par la prise de conscience des malformations que de telles unions pourraient engendrer chez les générations futures. Ainsi, la perpétuation de l’espèce humaine fut une fois de plus assurée.

Dans les pages de ce livre, le sacrifice d’êtres humains pour apaiser les dieux est longuement décrit. Tant d’hommes et de femmes offrent leur vie pour éloigner le mal d’un village et étancher la soif des dieux avec le sang frais d’un innocent. Puis vint un jour où les religions célestes mirent fin à de telles pratiques, considérant une fois de plus que cela sauverait l’humanité, mais cette fois-ci grâce à des offrandes d’une nature différente.

Plus tard, au fil des pages de ce livre, les hommes adoptent l’esclavage comme moyen d’assujettir et d’opprimer leurs semblables. Cependant, cette pratique accentue la misère, la pauvreté, l’injustice, la dépression et les guerres. Finalement, les hommes firent le choix de mettre fin à cette abomination, contribuant ainsi à la pérennité de leur espèce.

Pourtant, dans les impasses tumultueuses de ce livre, la discrimination se reproduit à chaque page. Elle imprègne chaque ligne des dernières pages, et je crains que les pages à venir ne se contentent plus simplement de répéter cette triste réalité, mais qu’elles lassent l’écrivain lui-même avec cette narration absurde ! Alors, qu’est-ce que cette discrimination et pourquoi persiste-t-elle tout au long de l’histoire de l’humanité ?

La discrimination est une erreur conceptuelle qui découle de la conviction que l’autre est différent de nous. Sur la base de cette différence, on s’octroie le droit de l’isoler, de le haïr, de l’opprimer, de l’insulter, de le persécuter, de l’emprisonner, de le voler, de le violer, de le maltraiter, voire de l’anéantir. Cette discrimination se nourrit de l’ignorance de l’autre et de sa façon de penser, et se contente de sauter aux conclusions qui renforcent l’existence de la discrimination. Elle émane d’une pensée erronée et non scientifique qui prétend que les êtres humains sont fondamentalement divergents, alors que ni la génétique, ni la neurobiologie, ni les religions, ni la philosophie, ni l’anthropologie, ni l’art, etc. ne fournissent d’éléments en faveur d’une telle divergence.

Au nom de cette discrimination, les hommes jouissent de beaucoup de privilèges dans leurs travaux et leurs droits par rapport aux femmes. Cette discrimination alimente également une conviction chez les personnes de race blanche selon laquelle elles seraient supérieures aux autres races. Dans ce contexte discriminatoire, les personnes hétérosexuelles s’octroient le droit de considérer que les autres orientations sexuelles sombrent dans l’erreur et la décadence. Les riches se perçoivent comme une élite supérieure aux pauvres, les Occidentaux se voient comme plus développés que les Orientaux, les capitalistes estiment être plus vertueux que les communistes, les chrétiens se considèrent plus tolérants que les musulmans, et ainsi de suite.

Ce qui est le plus dangereux dans la question de la discrimination, c’est qu’elle entretient l’illusion selon laquelle elle servirait à préserver l’espèce. En pratiquant la discrimination, on crée une séparation, mais on encourage aussi la solidarité. Ainsi, ceux qui endoctrinent, dans un esprit sombre, exploitent l’intelligence des personnes effrayées par autrui en amplifiant leur sentiment de divergence... Ainsi, ce n’est plus l’espèce humaine qui est préservée, mais plutôt la catégorie à laquelle nous sommes censés appartenir. Combien d’identités collectives existent qui n’ont développé aucune caractéristique identitaire autre que celle liée à la différence avec les « autres » ? C’est dans la quête de cette identité collective en tant qu’êtres distincts des « autres » que la discrimination a trouvé sa raison d’être tout au long de l’histoire.

Il est essentiel de poser les pieds sur la terre ferme, comme dans tout voyage à la recherche d’un remède, et d’identifier la source de la douleur : le Liban. Ce pays est submergé par la discrimination, à travers laquelle chaque groupe d’individus pense façonner une identité spéciale et différente des autres. Cette discrimination le maintient dans une stabilité instable depuis le début de son histoire. Pour résoudre ce problème, il est temps de prendre collectivement conscience de l’effet destructeur de cette discrimination.

Mais qu’est-ce que la conscience collective ? N’est-ce pas une notion qui a été constamment évoquée dans les pages de l’histoire de l’humanité ? N’est-ce pas grâce à cette conscience collective que le cannibalisme, les sacrifices humains, l’inceste, l’esclavage et bien d’autres pratiques ont pris fin ? Dans le contexte de la discrimination, qu’en est-il de cette conscience collective ? Il s’agit en effet d’un effort d’intégration des sensations externes et internes, aboutissant à la réalisation que tous les Libanais sont égaux ! Tout ce qui distingue un Libanais de son compatriote (et d’ailleurs de tout autre être humain sur terre) n’est que l’enveloppe d’une même entité : l’humanisme. Au sein de cette entité, nous trouvons la foi, la confiance, la peur, l’ambition, la réciprocité, la générosité, l’entraide, etc.

C’est pourquoi il n’y a pas deux Libanais qui ne se réjouissent pas ensemble en écoutant une chanson de Feyrouz tout en partageant une assiette de taboulé et en évoquant leurs aventures uniques vécues sur le territoire libanais ! Si cette notion semble irréaliste pour la majorité des esprits libanais, c’est parce que notre conscience collective est en déphasage constant avec la réalité tangible. Il est grand temps d’accepter que nous vivions dans un endoctrinement discriminatoire qui nous éloigne de la réalité et de l’humanisme. Acceptons dès à présent la réalité que nous sommes tous égaux et ne reportons plus à dix autres pages de notre histoire pour acquérir cette conscience collective...

Chef de service de psychiatrie à l’Hôtel-Dieu de France

Professeur associé à la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Imaginons le récit de l’humanité avec cette phrase : « Il y eut un jour sur terre une discrimination... » En effet, l’histoire de l’humanité s’étend comme un vaste livre de mille pages, chacune décrivant plus de deux siècles d’événements captivants ! Dans les pages de ce livre, le cannibalisme occupe plusieurs centaines de pages, mais un tournant survient...
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