Les Libanais de confession sunnite ou chiite sont-ils plus susceptibles que leurs compatriotes chrétiens de se voir refuser leur visa pour les Émirats arabes unis ?
Si plusieurs témoignages l'affirment, et que cette discrimination semble être confirmée par certaines agences de voyage, chargées au Liban du traitement des demandes de visa pour les Émirats, l'information a été catégoriquement démentie par la diplomatie libanaise. Pour l'ambassadeur du Liban aux Émirats, Fouad Chéhab Dandan, ces rumeurs ont même été lancées par certaines agences de voyages qui espèrent tirer profit de la situation.
La controverse concernant l'octroi discriminatoire de visas a éclaté alors que les Émirats ont levé le 13 juin une restriction sur les visas imposée aux ressortissants libanais fin mai pour des « raisons de sécurité ».
Des rumeurs
Contacté par L'Orient-Le Jour, M. Dandan a catégoriquement démenti les informations sur une potentielle discrimination religieuse ou confessionnelle parmi les Libanais.
« Depuis que les EAU ont cessé de délivrer des visas aux Libanais, les demandes se sont accumulées. Lorsque la procédure a repris, les EAU ont d'abord traité les requêtes urgentes. Certaines demandes moins pressantes nécessitent désormais plusieurs jours, généralement deux à trois, pour être approuvées », contrairement aux 24 heures normalement nécessaires, explique l'ambassadeur. « Malheureusement, certains agents de voyages malhonnêtes exploitent la situation en demandant aux Libanais une somme d'argent » qui garantirait d'après eux l'acceptation de la demande. « Pendant ce temps, le traitement du dossier est déjà en cours auprès du centre des visas et le visa finit par être accordé naturellement » ajoute-t-il.
La suspension des traitements de demandes de visa par les Émirats était survenue au moment de l'enlèvement crapuleux d'un Saoudien à Beyrouth, fin mai, par des hommes suspectés d'appartenir à un clan de la région de Baalbeck. Aucune communication officielle n'avait été publiée cependant sur le sujet par Abou Dhabi.
« Il convient de souligner que l'octroi ou le refus d'un visa relève de la souveraineté et du droit de chaque pays. En tant qu'ambassadeur, je n'ai pas le pouvoir de m'immiscer dans ces décisions. Chaque pays a le droit de procéder à des vérifications de sécurité et de prendre des décisions en conséquence, que ce soit pour accorder ou refuser une demande de visa », poursuit l'ambassadeur.
Le directeur du cabinet du ministre libanais des Affaires étrangères, Walid Haïdar, confirme les explications de M. Dandan. « En raison de la suspension des visas, le nombre de demandes a augmenté. Les EAU accordent actuellement la priorité aux familles, aux voyages professionnels, puis au tourisme », explique-t-il. Il poursuit : « Il y a des personnes qui appellent l'ambassade du Liban aux Émirats en affirmant que leur visa a été refusé. Après vérification, la demande est en fait toujours en cours de traitement. D'autres se plaignent d'un refus de visa, mais en réalité, le bureau qu'ils ont chargé de présenter le dossier n'a pas soumis de demande.» « En tant que ministère des Affaires étrangères du Liban, nous ne pouvons dicter à aucun pays comment traiter ses visas. Cela relève de son choix et de sa compétence », insiste le chef de cabinet.
L'Orient-Le Jour a cependant recueilli plusieurs témoignages qui vont à l'encontre de ces explications officielles.
Rana, qui appartient à une famille chiite, explique que le visa de sa mère âgée de 70 ans a été rejeté. « Mon frère travaille pour une grande marque de luxe française aux Émirats. Ma mère voulait, comme d'habitude, lui rendre visite. Ce n'est pas la première fois qu'elle s'y rend », explique la femme. Mais cette fois, la demande a été rejetée. Selon Rana, le bureau qui a traité son dossier leur a affirmé que 200 personnes de confession musulmane ont présenté une demande de visa lundi et ont été refusées. Ce bureau a refusé de donner des explications à L'OLJ.
« Aucun lien avec un groupe politique mal vu »
« J'ai également essayé d'envoyer un courriel à l'ambassade des EAU au Liban pour connaître la raison de ce rejet », confie la femme. Dans son texte, elle explique son cas et demande si elle pourrait fournir des détails en plus pour appuyer sa demande de visa. Elle n'a toujours pas reçu de réponse.
Rana affirme que bien qu'étant née dans une famille chiite, « elle est laïque et n'a aucun lien avec un groupe politique mal vu par les EAU au Liban », en référence claire au Hezbollah.
Des dizaines de Libanais, en majorité chiites, ont été arrêtés et parfois condamnés ou expulsés ces dernières années aux Émirats arabes unis pour des liens présumés avec le Hezbollah, qui est inscrit par le gouvernement émirati et plusieurs autres monarchies du Golfe sur la liste des organisations terroristes. Ces arrestations sont intervenues dans un contexte de tensions régionales et d’un bras de fer continu entre les monarchies sunnites du Golfe et l’Iran chiite. Un rapprochement a toutefois eu lieu entre les deux puissances régionales en mars dernier.
Le témoignage de Rana n'est pas isolé.
Visa refusé trois fois
Diala, une Libanaise issue d'un milieu sunnite et dont l'époux est propriétaire d'une entreprise aux EAU, s'est aussi vu refuser trois fois son visa depuis lundi. Elle explique : « Les demandes de visa peuvent être à nouveau déposées depuis samedi. Mardi, j'ai décidé de faire une demande pour ma fille et moi afin d'aller aider mon mari qui a le pied dans le plâtre. J'ai d'abord déposé ma demande comme d'habitude dans une agence de voyages près de chez moi à Clemenceau, à Beyrouth. Quelques heures plus tard, la femme responsable de l'agence m'a appelée pour me dire : "Je vous déconseille de faire une demande de visa, les musulmans sont en train d'être rejetés, mais c'est à vous de décider". J'ai quand même décidé d'introduire un dossier, mais quelques heures plus tard, j'ai essuyé un refus », explique la dame. Elle a ensuite décidé de faire une deuxième tentative, qui a eu les mêmes résultats. Pour son troisième essai, Diala a décidé de présenter sa demande de visa auprès d'un bureau situé dans une région chrétienne, sans plus de succès.
Contactée par L'Orient-Le Jour, l'agence de voyages World Wide à Clemenceau, où Diala a présenté sa première demande, explique : « Depuis que les demandes de visa sont de nouveau acceptées, nous avons reçu de nombreuses candidatures. Plus de 200 en une journée ont été refusées pour des personnes qui ne sont pas chrétiennes. En revanche, lorsque nous présentons des visas pour des chrétiens, ils sont acceptés immédiatement », précise un agent, qui souhaite rester anonyme.
Un autre bureau, situé à Kfarhabab dans le Kesrouan, une région à prédominance chrétienne, n'a de son côté reçu aucun refus de visa cette semaine. « Nous avons un groupe WhatsApp avec tous les agents de voyages. Nous avons entendu beaucoup d'échos à ce sujet, certains visas ont été acceptés et d'autres refusés », explique Raymonda Sayegh, responsable du bureau. « De mon côté, je ne peux ni affirmer ni démentir cette information, mais la majorité des personnes qui ont reçu des visas rejetés sont des musulmans. De mon côté, tous mes clients chrétiens ont été acceptés. »
En octobre 2021, les Émirats, à l'instar de l'Arabie saoudite, de Bahreïn et du Koweït, avaient rappelé leurs diplomates du Liban, au lendemain d'une grave crise diplomatique entre Beyrouth et les pays du Golfe, déclenchée par des propos polémiques du ministre libanais de l'Information d'alors, Georges Cordahi, sur le Yémen. Des propos qu'il avait tenus avant d'être nommé à son poste. Une détente avait toutefois eu lieu en avril 2022.
On récolte ce que l on sème….
16 h 58, le 26 juin 2023