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Nos Lecteurs ont la Parole

Leçons du paradoxe et du désastre au Liban : État officiel, État parallèle et unicité de l’État

Les situations morbides, à la fois pénibles et désastreuses, servent aussi à affiner les diagnostics, à découvrir les remédiations, mais également à élaborer les théories les plus profondes. À l’origine, ce sont les malades qui ont appris aux médecins la médecine !

Les Libanais, au lieu de palabrer avec des lamentations, des critiques, des contestations et des généralités rabâchées, doivent aujourd’hui ouvrir les yeux, et cela fait très mal, sur la réalité profonde d’un Liban sans État.

Le désastre actuel au Liban, surtout depuis 2016 et depuis l’accord de Mar Mikhaïl du 6/2/2006, constitue un laboratoire pour l’étude scientifique à la fois de la sociogenèse de l’État, de l’anthropologie juridique de l’État et de l’expérience hégémonique régionale qui a partout foiré avec un État parallèle pour asseoir une occupation régionale par procuration au Yémen, en Irak, en Syrie, au Soudan, au Liban…

Il y a au Liban un État officiel symbolique, le plus souvent bloqué, et un État parallèle qui a son armée et sa diplomatie en opposition avec le préambule de la Constitution : « Liban arabe par son identité et appartenance. » Il s’agit d’une stratégie régionale d’hégémonie qui, parallèlement à l’armée nationale, crée une garde révolutionnaire (« harass thaourî »), une milice armée au Yémen, en Irak, en Syrie, au Soudan, au Liban…, dans un but d’occupation et d’extension hégémonique. L’occupation directe par invasion est ostentatoire. Elle a une faible chance de parvenir à ses fins, comme l’avait tentée Saddam Hussein et comme le montre l’invasion de l’Ukraine. Dans le monde d’aujourd’hui, avec les mutations actuelles, nul ne gagne une guerre directe !

Des gardes révolutionnaires et des milices fortement armées, alimentés par une puissance régionale et subordonnés à la volonté de cette puissance, sont la mise en pratique et à outrance de la théorie de l’auteur israélien Sammy Smooha pour la gestion du pluralisme religieux et culturel, celle de dominant, « majoriy et minority control ». C’est le cas en Israël à l’égard de la composante arabe, en Syrie et au Liban avec la manipulation institutionnalisée du blocage. Or tout l’édifice constitutionnel du Liban avec le nouvel article 65 de la Constitution est un chef-d’œuvre de l’imagination constitutionnelle en droit constitutionnel comparé du fait qu’il évite à la fois l’abus de majorité et l’abus de minorité.

Des politiciens éclairés ont longtemps proposé que l’État parallèle qui bloque, forme un gouvernement, gouverne directement assume les responsabilités gouvernementales et réponde ainsi de sa politique auprès de la population et des instances internationales. Non ! L’État parallèle, qui régit tout, se couvre de la feuille de vigne de l’État officiel et symbolique, camoufle tout par la démagogie, le populisme.

La leçon fort importante en anthropologie de l’État, et pour l’acculturation de l’État dans la conscience collective du Libanais, est celle, dans la théorie générale de l’État, de l’unicité de l’État. L’État officiel et symbolique au Liban est complètement délabré. L’État parallèle, subordonné par son armement et sa diplomatie à un État extérieur qui se propose, par des moyens détournés, d’exercer une hégémonie régionale, est à découvert auprès de sa propre clientèle avec le désastre au Liban.

Le jeu de la feuille de vigne est fini ! Désastre généralisé et pour tous ! L’unicité de l’État est au cœur de la théorie générale de l’État sans partage, sans manipulation, avec ses pleins attributs régaliens (rex, regis, roi) : monopole de la force organisée, monopole des rapports diplomatiques, gestion et perception de l’impôt, et gestion des politiques publiques. Diane Khair avait abordé le problème de l’unité de l’État et les minorités (Unité de l’État et droits des minorités, LGDJ, Fondation Varenne, 2011).

Nous sommes au Liban au cœur du problème de l’unicité de l’État face à une stratégie diabolique d’hégémonie régionale au Liban et dans des pays environnants, avec des gardes révolutionnaires parallèles, des milices subordonnées, et manipulation du pluralisme avec dominant, « majority ou minority control ».

La responsabilité profonde du désastre incombe moins à l’État parallèle et à des partis dits traditionnels qui ont défendu le Liban démocratique qu’à une mentalité maronite du Petit Liban d’autrefois (nous ne disons pas les maronites) qui, à l’occasion du centenaire de la proclamation de « l’État (sic) du Grand Liban » et en violation de l’art 49 de la Constitution (« Le président de la République est le chef de l’Etat… » ), a couvert et couvre encore, avec un silence qui devient tonitruant, la violation de la souveraineté de l’État.

Il s’agit de maronites (nous ne disons pas les maronites), candidats à la présidence formelle de la République ou candidats potentiels ou qui se veulent à égale distance dans l’espoir d’une position ultérieure dans un État sans pouvoir. La souveraineté par essence est dichotomique, où la réponse est : oui ou non ! Unicité donc de l’État ou désastre et tribalisme préétatique !

Unicité de l’État ? Que signifient unicité et unique ? Ils signifient « seul en son genre, au-dessus des autres, incomparable, singulier » (Larousse), « Dont on ne trouve pas le double, infiniment supérieur aux autres, auquel nul ne peut être comparé » (Littré). Ni État officiel symbolique, ni État parallèle, ni compromis, ni compromission, ni silence désormais tonitruant de présidentiables et équidistants en rupture avec tout le patrimoine séculaire de pères fondateurs.

« L’État pluriel » relève improprement un auteur à propos de la gestion du pluralisme (Patrice Guillamaud, Le Divin et l’État : essai d’ousiologie théologico-politique sur la coexistence, Kiné, 2022). C’est la société qui peut être plurielle, mais régie par un contrat social. Sinon, la gouvernabilité est impossible (« Liban : l’État monstre ingouvernable », Le Monde, 30/11/2020).

Ancien membre du Conseil constitutionnel, 2009-2019

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Les situations morbides, à la fois pénibles et désastreuses, servent aussi à affiner les diagnostics, à découvrir les remédiations, mais également à élaborer les théories les plus profondes. À l’origine, ce sont les malades qui ont appris aux médecins la médecine ! Les Libanais, au lieu de palabrer avec des lamentations, des critiques, des contestations et des...

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