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Nos Lecteurs ont la Parole

L’indivisible santé à l’époque de la division maladive

Est-ce une véritable dichotomie entre le corps et l’âme, ou une unité cohérente, suffisante et complète ? Est-il possible de guérir un corps lorsque l’âme est morte ou de s’adresser à cette âme sans répondre aux besoins du corps ?

Qu’est-ce que le corps sinon l’outil par lequel l’âme s’exprime ? Et qu’est-ce que l’âme sans ce support visible, palpable et tangible qu’est le corps ?

Dans mon pays, déjà déchiré par des erreurs conceptuelles, une erreur encore plus cruelle sépare le corps de l’âme. Nous avons suffisamment été les architectes de catégories fictives, où chrétiens et musulmans, sunnites et chiites, riches et pauvres, villageois et citadins, nordistes et sudistes, etc. s’entrelacent dans une confusion absurde. Pourtant, une brèche majeure s’est ouverte lorsque quelqu’un, rusé manipulateur, a osé découper la nature humaine en deux entités distinctes : d’un côté le corps, de l’autre l’âme. Ses intentions troubles visaient à séparer la santé mentale de la santé physique, emprisonnant ainsi notre essence dans un marché où le moindre souffle est évalué et vendu. Le corps est devenu une marchandise lucrative, tandis que l’accès à la santé mentale demeure un mirage lointain. Le stigmate entourant les maladies mentales étouffe tout appel à cette lueur d’espoir. Les gouvernements, désertant leurs responsabilités, refusent d’exiger la prise en charge des maladies mentales, alimentant l’irresponsabilité des institutions de santé. Les médias, souvent indifférents, contribuent à enfoncer cette tragédie dans l’ombre. En vérité, nous sommes tous complices de cette déplorable situation.

Il est important de reconnaître que le fait que les maladies mentales ne soient pas visibles à l’œil nu ou détectables par des marqueurs biologiques ne devrait jamais servir d’excuse aux tiers payants pour refuser de couvrir les coûts des soins nécessaires que la société doit fournir à ces personnes malades. Peu importe le pays dans lequel nous vivons, les tiers payants publics et privés ne peuvent se dérober à leur responsabilité dans la lutte contre les maladies mentales. Tout comme il serait illogique de greffer un rein sur un corps en état de mort cérébrale, il serait tout aussi inauthentique de traiter le cœur, les reins, les intestins, les os, la peau, les poumons, etc., sans tenir compte de la souffrance de l’âme dans un corps sans assurance ni perspectives. Ainsi, la responsabilité morale de ceux qui prétendent assurer la vie des individus dans sa dimension physique mais négligent sa dimension psychique repose en partie et en premier lieu sur eux. Ceux qui sont confrontés au choix confus entre la mort et la mort et finissent par se suicider sont les victimes de cette négligence.

Lors d’une mission au Tchad, j’ai pu constater une réticence chez les médecins locaux à se spécialiser en psychiatrie, par crainte que les esprits malveillants qui tourmentent les patients atteints de troubles mentaux ne s’en prennent à leurs propres familles. Cette réalité imaginée aggrave la santé mentale du peuple tchadien et trouve sa source dans une erreur conceptuelle persistante : la croyance en une dichotomie entre le corps et l’âme. Pourtant, dans mon pays, nous savons que le traitement des maladies mentales ne provoque aucune représaille de la part des affections elles-mêmes. Malgré cela, l’offre de soins reste insuffisante pour répondre à la demande croissante en matière de prise en charge des maladies mentales. De plus, la classification de ces affections dans des catégories distinctes, basée sur la dichotomie entre le corps et l’âme, risque de sous-estimer délibérément leur impact et de priver les patients de traitements appropriés.

Il est vrai que si les autorités compétentes maintiennent une dichotomie entre le corps et l’âme, justifiant leur manque d’intérêt à financer les soins des maladies mentales, les citoyens ordinaires se retrouvent impuissants. Cependant, cette approche peut avoir des conséquences encore plus graves. Au Tchad, la crainte des représailles imaginaires liées aux maladies mentales peut entraver leur prise en charge. Cependant, au Liban, la non-reconnaissance délibérée de ces pathologies et le refus d’accorder aux individus l’accès aux soins nécessaires pourraient engendrer de véritables représailles, tant de la part des personnes affectées que de l’ensemble de la société. Cette situation met en danger les individus les plus vulnérables, menace le bien-être collectif et compromet l’aspect crucial du développement d’une nation, qui consiste à prendre soin des plus faibles. De plus, elle risque d’entraîner la chute de ceux qui en sont responsables. En fin de compte, les autorités qui prônent le développement de nos sociétés libanaises divisées contribuent à aggraver l’absence de protection des plus vulnérables, les rendant ainsi elles-mêmes vulnérables face à la moindre faiblesse dans un avenir proche…

Rami BOU KHALIL, MD, PhD

Chef de service de psychiatrie

à l’Hôtel-Dieu de France

Professeur associé à la faculté

de médecine de l’Université Saint-Joseph

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Est-ce une véritable dichotomie entre le corps et l’âme, ou une unité cohérente, suffisante et complète ? Est-il possible de guérir un corps lorsque l’âme est morte ou de s’adresser à cette âme sans répondre aux besoins du corps ?Qu’est-ce que le corps sinon l’outil par lequel l’âme s’exprime ? Et qu’est-ce que l’âme sans ce support visible, palpable et tangible...

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