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Culture - Exposition

Si la Vierge Marie était née aujourd’hui, à quoi ressemblerait-elle ?

Dans le quartier de Badaro, Emné Mroué a consacré un espace en étage pour honorer la Vierge Marie comme elle aurait aimé la voir. Les sculptures revisitées, les œuvres en lino-gravure ou les dessins sur plexiglass attestent de ce que l’artiste croit profondément : la Vierge Marie était d’abord une femme parmi les femmes.

Si la Vierge Marie était née aujourd’hui, à quoi ressemblerait-elle ?

Emné Mroué dans son espace vital à Badaro. Photo Michel Sayegh

Pour retrouver Emné Mroué, établie à Badaro dans son espace multifonctionnel, et parcourir sa première exposition en solo « If Mary Was Born Today », il a fallu galérer pour se garer. « À la station d’essence, vous dites que vous venez chez Emné ! » nous a-t-elle tout simplement dit. Dans ce quartier de Beyrouth qu’elle a investi depuis qu’elle vit en mère célibataire, tout le monde la connaît, connaît son fils, son petit café, son atelier où elle offre des cours, ses activités, ce qu’elle fait pour aider les artisans dans son espace (concept store) baptisé Naïve. « C’est un copain qui m’a affublée de cet adjectif, il trouvait que je laissais passer trop de choses dans la vie. Si je suis naïve, c’est parce que je ne crois pas dans le mal. Alors j’ai adopté ce nom pour mon espace », dit-elle. Et pourtant, quand on rencontre cette jeune femme, elle donne l’impression de tout sauf d’être naïve… Avec sa chevelure solaire, son sourire contagieux qu’elle a dû, comme elle le pense, hériter de sa grand-mère, et son allure d’adolescente, cette jeune femme de 34 ans, mariée à 22 ans, mère à 24 ans et aujourd’hui célibataire, avec à sa charge son petit garçon de 9 ans, Jude, est un exemple qui ferait pâlir de honte toutes les femmes assistées. Emné Mroué est tout simplement une jeune femme remarquable.

Emné Mroué a voulu représenter la Vierge Marie comme une femme parmi les femmes et non comme on a l’habitude de la voir. Photo Michel Sayegh

« L’éducation, c’est tout ce que je lègue à mon fils »

Issue d’une famille originaire du Liban-Sud, Emné Mroué est née en 1989 en Côte d’Ivoire, où elle a vécu jusqu’à l’âge de 11 ans, puis, après plusieurs déplacements avec sa famille dans divers pays d’Afrique, elle décide de s’installer à Beyrouth pour y réaliser ses études universitaires. Elle obtient sa licence en design graphique à la Lebanese American University (LAU), puis une licence en arts plastiques à la faculté des beaux-arts de l’Université libanaise. Ses diplômes en poche, elle fera d’abord des petits boulots pour survivre, avant de devenir enseignante en arts plastiques à l’école du Carmel Saint-Joseph. Mariée à 22 ans, elle est contrainte, enceinte, de prendre une année de répit. À 24 ans, elle met au monde Jude, qu’elle scolarisera ensuite au Grand Lycée franco-libanais. « À défaut de lui laisser des terrains et des appartements, l’éducation est la seule chose que je lui léguerai », lance-t-elle. En 2017, elle inaugure un des premiers concept stores, Semicolon, avec plus de 30 designers représentés. Pourquoi ce nom ? « Parce que dans la vie, on a toujours quelque chose à dire », explique-t-elle.

Après avoir abandonné l’enseignement en 2020, elle trouve un nouvel espace dans le quartier de Badaro qu’elle inaugure en 2021 et où elle décide de faire tout ce dont elle a toujours rêvé. Enseigner (aux adultes et aux enfants), avoir son propre atelier de création, son petit café où elle sert des produits du terroir du Sud ou d’autres régions libanaises. « Un espace, dit-elle, où les gens aiment se rencontrer. » Dans son concept store, l’artiste propose des sacs réalisés par sa famille spécialisée dans le cuir, des savons produits par de petits artisans qu’elle a rencontrés au gré du hasard, des cahiers avec son propre design, des tisanes qui sont le fruit de la cueillette d’une amie du Akkar amoureuse de la nature, des assiettes dont les dessins sont réalisés par son fils et exécutés par arcenciel. Même la sœur du concierge de l’immeuble réalise des broderies qu’Emné applique sur des tee-shirts. Si elle fait travailler toute une communauté autour d’elle, c’est parce que « lorsque j’avais besoin d’aide, je n’ai vu personne se présenter. Alors, si je peux aider, je n’hésite pas ». Aujourd’hui artiste accomplie, elle réalise un premier rêve, une exposition en solo sur un thème qui lui tient à cœur, la Vierge Marie.

Emné Mroué et son fils Jude au milieu du bric-à-brac de son atelier à Badaro. Photo Michel Sayegh

Et si la Vierge était une femme du XXe siecle ?

Pour sa première exposition, on pourrait croire qu’Emné Mroué fait dans la provocation. « Ce n’est pas du tout mon intention, confie la jeune femme. “If Mary Was Born Today” est un projet que je cogite depuis toute petite. Ma grand-mère, de son prénom Khanom, en est l’inspiration. Elle avait un très beau sourire et portait toujours le médaillon de la Vierge autour du cou. Bien que chiite, elle se rendait régulièrement à l’église de Maghdouché pour prier la Vierge. Ce n’était pas tant le côté religieux que l’image apaisante de la Vierge qui la réconfortait. » Emné a donc voulu représenter la Vierge Marie comme une femme parmi les femmes et non comme on a l’habitude de la voir, toujours debout, dans une position figée, ne souriant jamais, habillée de la même façon (en blanc ou en bleu ciel). Aucune connotation religieuse ou remise en question, simplement un regard humain sur celle qui fut une humaine parmi les hommes, une femme qui a vu son fils souffrir et mourir.

« Dans notre famille, avoue l’artiste, nous n’avons jamais évoqué la religion. J’ignorais, jusqu’à tard dans mon adolescence, à quel rite nous appartenions, je croyais que chiite (de chouyou’é) voulait dire communiste. » Et de se poser la question : si la Vierge était née aujourd’hui ? Certes, elle a eu Jésus quand elle avait 14 ans et c’était une sainte femme, mais a-t-elle jamais chanté ou dansé en bord de rivière, pourquoi n’est-elle représentée que dans une position verticalement rigide, jamais assise ou allongée ?

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Emné Mroué décide de la faire bouger, de la dessiner sur un support en plexiglass avec des néons qui éclairent sa silhouette, un tigre, synonyme de puissance, à ses côtés, assise dans un jardin d’orangers ou de grenadiers (symboles de la vie et de l’immortalité). L’artiste a éliminé les fleurs traditionnelles et le serpent (symbole du mal), les a remplacés par des coquelicots et des cyclamens (en arabe on appellerait cette fleur bakhoour Mariam), la représente assise avec un cœur qui pousse derrière elle, avec des tournesols et de la dentelle qui tapisse les fonds des œuvres, l’habille de tissus colorés qu’elle vernit, la pare de perles et remplace son visage par un miroir. « Quand on la regarde, on voit son propre visage, parce qu’elle est toute l’humanité, dit Emné Mroué. J’ai juste voulu ramener la figure de la Vierge à notre portée. Si la Vierge était née aujourd’hui, elle aurait été appréciée en tant que femme avant d’être une mère. »

Pour se rendre à son exposition qui se tient aujourd’hui jeudi 25 mai et demain vendredi 26 mai, arriver chez elle tient presque du jeu de piste. L’on peut s’amuser à suivre les inscriptions qu’elle a taguées à chaque coin du quartier, un Betwannassak bik en lettres arabes colorées, titre de la première chanson qu’elle a écoutée sur une cassette avec un walkman pour calmer ses angoisses alors qu’elle avait cinq ans. Depuis, quand Emné a besoin de se ressaisir, elle déambule dans les rues en écoutant la chanson. « C’est comme l’image de la Vierge, dit-elle, elle me calme. »

Pour retrouver Emné Mroué, établie à Badaro dans son espace multifonctionnel, et parcourir sa première exposition en solo « If Mary Was Born Today », il a fallu galérer pour se garer. « À la station d’essence, vous dites que vous venez chez Emné ! » nous a-t-elle tout simplement dit. Dans ce quartier de Beyrouth qu’elle a investi depuis qu’elle vit en mère...

commentaires (1)

On ne sait pas très bien à quoi elle ressemblerait sous son hidjab.

Ca va mieux en le disant

22 h 13, le 25 mai 2023

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Commentaires (1)

  • On ne sait pas très bien à quoi elle ressemblerait sous son hidjab.

    Ca va mieux en le disant

    22 h 13, le 25 mai 2023

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